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Le Journal d'une Femme de Chambre. Octave MirbeauЧитать онлайн книгу.

Le Journal d'une Femme de Chambre - Octave  Mirbeau


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devons marcher, et vite, et toujours... marcher, au risque de tomber... Drinn!... drinn!... drinn!... Et si, au coup de sonnette, l'on tarde un peu à venir, alors, ce sont des reproches, des colères, des scènes.

      —Eh bien?... Que faites-vous donc?... Vous n'entendez donc pas?... Êtes-vous sourde?... Voilà trois heures que je sonne... C'est agaçant, à la fin...

      Et, le plus souvent, ce qui se passe, le voici...

      —Drinn!... drinn!... drinn!...

      Allons bon!... Cela vous jette de votre chaise, comme sous la poussée d'un ressort...

      —Apportez-moi une aiguille.

      Je vais chercher l'aiguille.

      —Bien!... apportez-moi du fil.

      Je vais chercher le fil.

      —Bon!... apportez-moi un bouton...

      Je vais chercher le bouton.

      —Qu'est-ce que c'est que ce bouton?... Je ne vous ai pas demandé ce bouton... Vous ne comprenez rien... Un bouton blanc, numéro 4... Et dépêchez-vous!

      Et je vais chercher le bouton blanc, numéro 4... Vous pensez si je maugrée, si je rage, si j'invective Madame dans le fond de moi-même?... Durant ces allées et venues, ces montées et ces descentes, Madame a changé d'idée... Il lui faut autre chose, ou il ne lui faut plus rien:

      —Non... remportez l'aiguille et le bouton... Je n'ai pas le temps...

      J'ai les reins rompus, les genoux presque ankylosés, je n'en puis plus... Cela suffit à Madame... elle est contente... Et dire qu'il existe une société pour la protection des animaux...

      Le soir, en passant sa revue, dans la lingerie, elle tempête:

      —Comment?... Vous n'avez rien fait?... A quoi employez-vous donc vos journées?... Je ne vous paie pas pour que vous flâniez du matin au soir...

      Je réplique d'un ton un peu bref, car cette injustice me révolte:

      —Mais, Madame m'a dérangée, tout le temps.

      —Je vous ai dérangée, moi?... D'abord, je vous défends de me répondre... Je ne veux pas d'observation, entendez-vous?... Je sais ce que je dis.

      Et des claquements de porte, des ronchonnements qui n'en finissent pas... Dans les corridors, à la cuisine, au jardin, des heures entières, on entend sa voix qui glapit... Ah! qu'elle est tannante!

      En vérité, on ne sait par quel bout la prendre... Que peut-elle donc avoir, dans le corps, pour être toujours dans un tel état d'irritation? Et comme je la planterais là, si j'étais sûre de trouver une place, tout de suite...

      Tantôt je souffrais plus encore que de coutume... Je ressentais une douleur si aiguë que c'était à croire qu'une bête me déchirait, avec ses dents, avec ses griffes, l'intérieur du corps... Déjà, le matin, en me levant, à force d'avoir perdu du sang, je m'étais évanouie... Comment ai-je eu le courage de me tenir debout, de me traîner, de faire mon service? Je n'en sais rien... Parfois, dans l'escalier, j'étais obligée de m'arrêter, de me cramponner à la rampe afin de reprendre haleine et de ne pas tomber... J'étais verte, avec des sueurs froides qui me mouillaient les cheveux... C'était à hurler... Mais je suis dure au mal, et j'ai cette fierté de ne jamais me plaindre devant mes maîtres... Madame me surprit, à un moment où je pensais défaillir. Tout tournait autour de moi, la rampe, les marches et les murs.

      —Qu'avez-vous? me dit-elle, rudement.

      —Je n'ai rien.

      Et j'essayai de me redresser.

      —Si vous n'avez rien, reprit Madame, pourquoi ces manières-là?... Je n'aime pas qu'on me fasse des figures d'enterrement... Vous avez un service très désagréable...

      Malgré ma douleur, je l'aurais giflée...

      Au milieu de ces épreuves, je repense toujours à mes places anciennes... Aujourd'hui, c'est celle de la rue Lincoln que je regrette le plus... J'y étais seconde femme de chambre et je n'avais, pour ainsi dire, rien à faire. La journée, nous la passions dans la lingerie, une lingerie magnifique, avec un tapis de feutre rouge, et garnie du haut en bas de grandes armoires d'acajou, à serrures dorées. Et l'on riait, et l'on s'amusait à dire des bêtises, à faire la lecture, à singer les réceptions de Madame, tout cela sous la surveillance d'une gouvernante anglaise, qui nous préparait du thé, du bon thé que Madame achetait en Angleterre, pour ses petits déjeuners du matin... Quelquefois, de l'office, le maître d'hôtel—un qui était à la coule—nous apportait des gâteaux, des toasts au caviar, des tranches de jambon, un tas de bonnes choses...

      Je me souviens qu'un après-midi on m'obligea à revêtir un costume très chic de Monsieur, de Coco, comme nous l'appelions entre nous... Naturellement, on joua à toutes sortes de jeux risqués; on alla même très loin dans la plaisanterie. Et j'étais si drôle en homme, et je ris tellement fort de me voir ainsi que, n'y tenant plus, je laissai des traces humides dans le pantalon de Coco...

      Ça c'était une place!...

      Je commence à bien connaître Monsieur... On a raison de dire que c'est un homme excellent et généreux, car, s'il n'était point tel, il n'y aurait pas dans le monde de pire canaille, de plus parfait filou... Le besoin, la rage qu'il a d'être charitable le poussent à commettre des actions qui ne sont pas très bien. Si l'intention est louable, chez lui, il n'en va pas de même, chez les autres, du résultat qui est souvent désastreux... Il faut le dire, sa bonté fut la cause de petites vilenies, dans le genre de celle-ci...

      Mardi dernier, un très vieux bonhomme, le père Pantois, apportait des églantiers que Monsieur avait commandés, en cachette de Madame, naturellement... C'était à la tombée du jour... J'étais descendue chercher de l'eau chaude pour un savonnage en retard... Madame, sortie en ville, n'était pas encore rentrée... Et je bavardais à la cuisine, avec Marianne, quand Monsieur, cordial, joyeux, expansif et bruyant, amena le père Pantois... Il lui fait aussitôt servir du pain, du fromage et du cidre... Et le voilà qui cause avec lui.

      Le bonhomme me faisait pitié, tant il était exténué, maigre, salement vêtu... Son pantalon, une loque; sa casquette, un bouchon d'ordures... Et sa chemise ouverte laissait voir un coin de sa poitrine nue, gercée, gaufrée, culottée comme du vieux cuir... Il mangea avec avidité.

      —Eh bien, père Pantois... s'écria Monsieur... en se frottant les mains... ça va mieux, hein?...

      Le vieillard, la bouche pleine, remercia:

      —Vous êtes ben honnête, monsieur Lanlaire... Parce que, voyez-vous, depuis ce matin, quatre heures, que je suis parti de chez nous... j'avais rien dans le corps... rien...

      —Eh bien, mangez, mon père Pantois... régalez-vous, nom d'un chien!...

      —Vous êtes ben honnête, monsieur Lanlaire... Faites excuse...

      Le vieux se taillait d'énormes morceaux de pain, qu'il était longtemps à mâcher, car il n'avait plus de dents... Quand il fut un peu rassasié:

      —Et les églantiers, père Pantois? interrogea Monsieur... Ils sont beaux, hein?

      —Y en a de beaux... y en a de moins beaux... y en a quasiment de toutes les sortes, monsieur Lanlaire... Dame!... on ne peut guère choisir... et c'est dur à arracher, allez... Et puis, monsieur Porcellet ne veut plus qu'on les prenne dans son bois... Faut aller loin, maintenant, pour en trouver... ben loin... Si je vous disais que je viens de la forêt de Raillon, à plus de trois lieues d'ici?... Ma foi, oui, monsieur Lanlaire...

      Pendant que le bonhomme parlait, Monsieur s'était attablé auprès de lui... Gai, presque farceur, il lui tapa sur les épaules, et il s'exclama:

      —Cinq lieues!... sacré père Pantois, va!... Toujours fort... toujours jeune...

      —Point tant qu'ça, monsieur Lanlaire... point tant qu'ça...

      —Allons


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