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Le Journal d'une Femme de Chambre. Octave MirbeauЧитать онлайн книгу.

Le Journal d'une Femme de Chambre - Octave  Mirbeau


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aucune réticence, pas plus vis-à-vis de moi-même que vis-à-vis des autres. J'entends y mettre au contraire toute la franchise qui est en moi et, quand il le faudra, toute la brutalité qui est dans la vie. Ce n'est pas de ma faute si les âmes, dont on arrache les voiles et qu'on montre à nu, exhalent une si forte odeur de pourriture.

      Voici la chose:

      J'avais été arrêtée, dans un bureau de placement, par une sorte de grosse gouvernante, pour être femme de chambre chez un certain M. Rabour, en Touraine. Les conditions acceptées, il fut convenu que je prendrais le train, tel jour, à telle heure, pour telle gare; ce qui fut fait selon le programme.

      Dès que j'eus remis mon billet au contrôleur, je trouvai, à la sortie, une espèce de cocher à face rubiconde et bourrue, qui m'interpella:

      —C'est-y vous qu'êtes la nouvelle femme de chambre de M. Rabour?

      —Oui, c'est moi.

      —Vous avez une malle?

      —Oui, j'ai une malle.

      —Donnez-moi votre bulletin de bagages, et attendez-moi là...

      Il pénétra sur le quai. Les employés s'empressèrent. Ils l'appelaient «Monsieur Louis» sur un ton d'amical respect. Louis chercha ma malle parmi les colis entassés et la fit porter dans une charrette anglaise, qui stationnait près de la barrière.

      —Eh bien... montez-vous?

      Je pris place à côté de lui sur la banquette, et nous partîmes.

      Le cocher me regardait du coin de l'oeil. Je l'examinais de même. Je vis tout de suite que j'avais affaire à un rustre, à un paysan mal dégrossi, à un domestique pas stylé et qui n'a jamais servi dans les grandes maisons. Cela m'ennuya. Moi, j'aime les belles livrées. Rien ne m'affole comme une culotte de peau blanche, moulant des cuisses nerveuses. Et ce qu'il manquait de chic, ce Louis, sans gants pour conduire, avec un complet trop large de droguet gris bleu, et une casquette plate, en cuir verni, ornée d'un double galon d'or. Non vrai! ils retardent, dans ce patelin-là. Avec cela, un air renfrogné, brutal, mais pas méchant diable au fond. Je connais ces types. Les premiers jours, avec les nouvelles, ils font les malins, et puis après ça s'arrange. Souvent, ça s'arrange mieux qu'on ne voudrait.

      Nous restâmes longtemps sans dire un mot. Lui faisait des manières de grand cocher, tenant les guides hautes et jouant du fouet avec des gestes arrondis... Non, ce qu'il était rigolo!... Moi, je prenais des attitudes dignes pour regarder le paysage, qui n'avait rien de particulier; des champs, des arbres, des maisons, comme partout. Il mit son cheval au pas pour monter une côte et, tout à coup, avec un sourire moqueur, il me demanda:

      —Avez-vous au moins apporté une bonne provision de bottines?

      —Sans doute! dis-je, étonnée de cette question qui ne rimait à rien, et plus encore du ton singulier sur lequel il me l'adressait... Pourquoi me demandez-vous ça?... C'est un peu bête ce que vous me demandez-là, mon gros père, savez?...

      Il me poussa du coude légèrement et, glissant sur moi un regard étrange dont je ne pus m'expliquer la double expression d'ironie aiguë et, ma foi, d'obscénité réjouie, il dit en ricanant:

      —Avec ça!... Faites celle qui ne sait rien... Farceuse va... sacrée farceuse!

      Puis il claqua de la langue, et le cheval reprit son allure rapide.

      J'étais intriguée. Qu'est-ce que cela pouvait bien signifier? Peut-être rien du tout... Je pensai que le bonhomme était un peu nigaud, qu'il ne savait point parler aux femmes et qu'il n'avait pas trouvé autre chose pour amener une conversation que, d'ailleurs, je jugeai à propos de ne pas continuer.

      La propriété de M. Rabour était assez belle et grande. Une jolie maison, peinte en vert clair, entourée de vastes pelouses fleuries et d'un bois de pins qui embaumait la térébenthine. J'adore la campagne... mais, c'est drôle, elle me rend triste et elle m'endort. J'étais tout abrutie quand j'entrai dans le vestibule où m'attendait la gouvernante, celle-là même qui m'avait engagée au bureau de placement de Paris, Dieu sait après combien de questions indiscrètes sur mes habitudes intimes, mes goûts; ce qui aurait dû me rendre méfiante... Mais on a beau en voir et en supporter de plus en plus fortes chaque fois, ça ne vous instruit pas... La gouvernante ne m'avait pas plu au bureau; ici, instantanément, elle me dégoûta et je lui trouvai l'air répugnant d'une vieille maquerelle. C'était une grosse femme, grosse et courte, courte et soufflée de graisse jaunâtre, avec des bandeaux plats grisonnants, une poitrine énorme et roulante, des mains molles, humides, transparentes comme de la gélatine. Ses yeux gris indiquaient la méchanceté, une méchanceté froide, réfléchie et vicieuse. A la façon tranquille et cruelle dont elle vous regardait, vous fouillait l'âme et la chair, elle vous faisait presque rougir.

      Elle me conduisit dans un petit salon et me quitta aussitôt, disant qu'elle allait prévenir Monsieur, que Monsieur voulait me voir avant que je ne commençasse mon service.

      —Car Monsieur ne vous a pas vue, ajouta-t-elle. Je vous ai prise, c'est vrai, mais enfin, il faut que vous plaisiez à Monsieur...

      J'inspectai la pièce. Elle était tenue avec une propreté et un ordre extrêmes. Les cuivres, les meubles, le parquet, les portes, astiqués à fond, cirés, vernis, reluisaient ainsi que des glaces. Pas de flafla, de tentures lourdes, de choses brodées, comme on en voit dans de certaines maisons de Paris; mais du confortable sérieux, un air de décence riche, de vie provinciale cossue, régulière et calme. Ce qu'on devait s'ennuyer ferme, là-dedans, par exemple!... Mazette!

      Monsieur entra. Ah! le drôle de bonhomme, et qu'il m'amusa!... Figurez-vous un petit vieux, tiré à quatre épingles, rasé de frais et tout rose, ainsi qu'une poupée. Très droit, très vif, très ragoûtant, ma foi! il sautillait, en marchant, comme une petite sauterelle dans les prairies. Il me salua et avec infiniment de politesse:

      —Comment vous appelez-vous, mon enfant?

      —Célestine, Monsieur.

      —Célestine... fit-il... Célestine?... Diable!... Joli nom, je ne prétends pas le contraire... mais trop long, mon enfant, beaucoup trop long... Je vous appellerai Marie, si vous le voulez bien... C'est très gentil aussi, et c'est court... Et puis, toutes mes femmes de chambre, je les ai appelées Marie. C'est une habitude à laquelle je serais désolé de renoncer... Je préférerais renoncer à la personne...

      Ils ont tous cette bizarre manie de ne jamais vous appeler par votre nom véritable... Je ne m'étonnai pas trop, moi à qui l'on a donné déjà tous les noms de toutes les saintes du calendrier... Il insista:

      —Ainsi, cela ne vous déplaît pas que je vous appelle Marie?... C'est bien entendu?...

      —Mais oui, Monsieur...

      —Jolie fille... bon caractère... Bien, bien!

      Il m'avait dit tout cela d'un air enjoué, extrêmement respectueux, et sans me dévisager, sans fouiller d'un regard déshabilleur mon corsage, mes jupes, comme font, en général, les hommes. A peine s'il m'avait regardée. Depuis le moment où il était entré dans le salon, ses yeux restaient obstinément fixés sur mes bottines.

      —Vous en avez d'autres?... me demanda-t-il, après un court silence, pendant lequel il me sembla que son regard était devenu étrangement brillant.

      —D'autres noms, Monsieur?

      —Non, mon enfant, d'autres bottines...

      Et il passa, sur ses lèvres, à petits coups, une langue effilée, à la manière des chattes.

      Je ne répondis pas tout de suite. Ce mot de bottines, qui me rappelait l'expression de gouaille polissonne du cocher, m'avait interdite. Cela avait donc un sens?... Sur une interrogation plus pressante, je finis par répondre, mais d'une voix un peu rauque et troublée, comme s'il se fût agi de confesser un péché galant:

      —Oui, Monsieur, j'en ai d'autres...

      —Des


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