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Lettres à Mademoiselle de Volland. Dénis DiderotЧитать онлайн книгу.

Lettres à Mademoiselle de Volland - Dénis Diderot


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à moi, et à qui je ne m'intéresse guère, puisque je ne la remets pas? mais il en est une autre qui m'a suivi jusqu'ici. Je n'ai que faire de vous la nommer; madame votre mère m'en parlait hier à table et m'examinait. Je crois aussi que mon discours et mon visage étaient un peu embarrassés. C'est que je ne saurais parler à moitié; il faut que je dise tout ou rien.

      Il me dit des choses tendres, douces; il les pense; mais, n'en dit-il qu'à moi? Belle occasion pour mentir! Mais pourquoi faire de ces questions? il me prend envie d'imiter votre ton léger; mais je ne saurais. Non, mademoiselle; je n'aime que vous; je n'aimerai jamais que vous, et je ne laisserai jamais croire à une autre que je la trouve aimable sans me le reprocher. N'allez-vous pas dire encore de cette phrase qu'elle convient également à l'innocent et au coupable? La remarque que vous faites sur la circonspection des méchants n'est pas juste; et quand elle le serait, qu'est-ce que cela me fait? Je n'ai pas été circonspect; je me suis laissé aller tout bonnement, et les méchants ne font pas ainsi. Je suis bien aise que vous, Mme Le Gendre, Mlle Boileau me désiriez, pourvu que ce ne soit pas pour vous mettre d'accord. Je n'entends rien ni en fausseté ni en hypocrisie. Je me souviens seulement d'avoir lu une fois sur la table d'un docteur de Sorbonne ces deux mots: «Humilité, pauvre vertu; hypocrisie, vice dont il ne serait pas difficile de faire l'apologie.»

      Adieu, madame, adieu, mademoiselle. Ni moi non plus je ne finirai pas sans vous renouveler les protestations que je vous ai faites si souvent et qui vous ont plu à entendre autant qu'à moi à vous les offrir, parce qu'elles sont vraies et qu'elles le seront toujours. Vous m'aimerez donc bien? Rappelez-vous tout, et faites vous-même ma réponse.

      Mon respect à Mlle Boileau. Tout ce qu'il vous plaira à Mme Le Gendre; je n'oserais presque plus lui parler. J'en dirais trop ou trop peu; et ces mots sont peut-être dans ce cas.

      XVII

      Au Grandval, le 5 octobre 1759[15].

      Que pensez-vous de mon silence? Le croyez-vous libre? Je partis mercredi matin. Il était onze heures passées que mon bagage n'était pas encore prêt, et que je n'avais point de voiture. Madame fut un peu surprise de la quantité de livres, de hardes et de linge que j'emportais. Elle ne conçoit pas que je puisse durer loin de vous plus de huit jours. J'arrivai une demi-heure avant qu'on se mît à table. J'étais attendu. Nous nous embrassâmes, le Baron et moi, comme s'il n'eût été question de rien entre nous. Depuis nous ne nous sommes pas expliqués davantage. Mme d'Aine[16], Mme d'Holbach, m'ont revu avec le plus grand plaisir, celle-ci surtout; je crois qu'elle a de l'amitié pour moi. On m'a installé dans un petit appartement séparé, bien tranquille, bien gai et bien chaud. C'est là que, entre Horace et Homère, et le portrait de mon amie, je passe des heures à lire, à méditer, à écrire et à soupirer. C'est mon occupation depuis six heures du matin jusqu'à une heure. À une heure et demie je suis habillé et je descends dans le salon où je trouve tout le monde rassemblé. J'ai quelquefois la visite du Baron; il en use à merveille avec moi; s'il me voit occupé, il me salue de la main et s'en va; s'il me trouve désœuvré, il s'assied et nous causons. La maîtresse de la maison ne rend point de devoirs, et n'en exige aucun: on est chez soi et non chez elle.

      Il y a ici une Mme de Saint-Aubin qui a eu autrefois d'assez beaux yeux. C'est la meilleure femme du monde; nous faisons ordinairement ensemble un trictrac, soit avant, soit après dîner. Elle joue mieux que moi; elle aime à gagner; moi, je ne me soucie pas de perdre beaucoup; elle gagne donc; je ne perds que le moins que je peux, et nous sommes contents tous les deux. Nous dînons bien et longtemps. La table est servie ici comme à la ville, et peut-être plus somptueusement encore. Il est impossible d'être sobre, et il est impossible de n'être pas sobre et de se bien porter. Après dîner les dames courent; le Baron s'assoupit sur un canapé; et moi, je deviens ce qu'il me plaît. Entre trois et quatre, nous prenons nos bâtons et nous allons promener; les femmes de leur côté, le Baron et moi du nôtre; nous faisons des tournées très-étendues. Rien ne nous arrête, ni les coteaux, ni les bois, ni les fondrières, ni les terres labourées. Le spectacle de la nature nous plaît à tous deux. Chemin faisant, nous parlons ou d'histoire, ou de politique, ou de chimie, ou de littérature, ou de physique, ou de morale. Le coucher du soleil et la fraîcheur de la soirée nous rapprochent de la maison où nous n'arrivons guère avant sept heures. Les femmes sont rentrées et déshabillées. Il y a des lumières et des cartes sur une table. Nous nous reposons un moment, ensuite nous commençons un piquet. Le Baron nous fait la chouette. Il est maladroit, mais il est heureux. Ordinairement le souper interrompt notre jeu. Nous soupons. Au sortir de table nous achevons notre partie; il est dix heures et demie; nous causons jusqu'à onze, à onze heures et demie nous sommes tous endormis ou nous devons l'être. Le lendemain nous recommençons.

      Voilà notre vie; et la vôtre, quelle est-elle? vous portez-vous bien? vous ménage-t-on? pensez-vous quelquefois à moi? m'aimez-vous toujours? Si vous n'avez point entendu parler de moi plus tôt, croyez que ce n'est pas ma faute. Le Grandval est à deux lieues et demie de Charenton, et à la même distance de Gros-Bois. Il n'y a point de poste plus voisine. J'espérais toujours qu'il nous viendrait quelqu'un que je chargerais d'une lettre pour la rue des Vieux-Augustins; mais nous n'avons encore vu personne, et nous ne sommes point dans un village. Cela n'empêchera point que je ne sois un peu plus exact dans la suite. Un domestique qui me sert portera mes lettres à Charenton; vous adresserez les vôtres au directeur de la poste pour m'être rendues, et le même domestique les prendra. Voilà qui est arrangé. Demain je saurai le nom de ce directeur; il sera prévenu. Mercredi ou jeudi vous saurez mon adresse, et nous tâcherons de réparer le temps perdu.

      Mme d'Houdetot est venue ici de Villeneuve-le-Roi. C'est une sœur à Mme d'Épinay. Nous avons un peu jasé d'elle et de Grimm. Il n'y a pas d'apparence que je revoie mon ami aussitôt que je l'espérais; cela me fâche. Il serait venu ici, et j'aurais eu quelqu'un à qui j'aurais ouvert mon cœur et parlé de vous. Ce cœur est malade, il est rempli de sentiments qui le surchargent et qui n'en peuvent sortir. Je prévois que l'ennui et le chagrin ne tarderont guère à me gagner, et qu'il faudra souffrir ou s'en retourner.

      Il y a à Valence, en Dauphiné, un M. Daumont[17] qui me rendrait un grand service, s'il le voulait. J'en attends depuis deux mois des papiers qui compléteraient deux lettres, de seize que j'ai à rendre aux libraires. J'ai prié Le Breton de m'instruire de l'arrivée de ces papiers, de l'argent à toucher, de l'ouvrage à rendre. Les bons prétextes pour retourner à Paris! Ces papiers ne viendront-ils point?

      Je travaille beaucoup; mais c'est avec peine. Il est une idée qui se présente sans cesse, et qui chasse les autres: c'est que je ne suis pas où je veux être. Mon amie, il n'y a de bonheur pour moi qu'à côté de vous; je vous l'ai dit cent fois, et rien n'est plus vrai. Si j'étais condamné à rester longtemps ici et que je ne pusse vous y voir, il est sûr que je ne vivrais pas; je périrais d'une ou d'autre façon. Les heures me paraissent longues; les jours n'ont point de fin; les semaines sont éternelles, je ne prends un certain intérêt à rien: si vous éprouvez les mêmes choses, que je vous plains! Mais que fait donc ce Grimm à Genève? qui est-ce qui l'y retient? Encore si je l'avais!

      Il n'y a point de doute que si madame votre mère avait eu avec moi les procédés que je méritais, ou je ne serais pas venu ici, ou j'en serais déjà revenu. Mais je me dis: Quand je serais à Paris, qu'y ferais-je? Plus voisin d'elle et ne la voyant pas davantage, je n'en serais que plus tourmenté. Peut-être ajouterais-je à ses peines, par quelque visite inconsidérée? Et votre petite sœur, en avez-vous des nouvelles? Comment se porte-t-elle? Sa santé déjà ébranlée par les peines qu'elle a...

      (Le reste de la lettre manque.)

      XVIII

      À Paris, 9 octobre 1759.

      Je revenais chercher mon bouquet, un mot doux, un baiser, une caresse... et vous saviez que j'arrivais, et que c'était le jour de ma fête[18]! et vous vous êtes absentée! mais il n'a pas dépendu de vous de rester; il a fallu suivre. La mauvaise journée que vous aurez passée! Bonsoir, ma chère amie; vous vous portez bien; Clairet me l'a dit; c'est


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