Résurrection (Roman). León TolstoiЧитать онлайн книгу.
Je ne suis coupable de rien! — répondit aussitôt l’accusée. — Comme je l’ai dit depuis le commencement, je le dis encore: je n’ai rien pris, rien pris, rien pris, rien du tout! Et la bague, c’est lui-même qui me l’a donnée!
— Vous ne vous reconnaissez pas coupable d’avoir pris les 2.600 roubles? — demanda le président.
— Je n’ai rien pris, rien que les 40 roubles!
— Et d’avoir versé la poudre dans le verre du marchand Smielkov, de cela vous reconnaissez-vous coupable?
— Cela, je l’avoue. Mais je pensais, comme on me l’avait dit, que cette poudre était pour endormir, qu’il n’en sortirait aucun mal. Est-ce que j’aurais été capable d’empoisonner quelqu’un? — ajouta-t-elle en fronçant les sourcils.
— Ainsi vous ne vous reconnaissez pas coupable d’avoir dérobé l’argent et la bague du marchand Smielkov; mais, d’autre part, vous avouez que vous avez versé la poudre?
— Je l’avoue, seulement je croyais que c’était une poudre pour endormir. Je l’ai donnée seulement pour qu’il s’endormît. Et voilà que…
— Fort bien! — interrompit le président, évidemment satisfait des résultats obtenus. — Racontez-nous maintenant comment la chose s’est passée! — poursuivit-il en se renversant dans le fond du fauteuil et en mettant les deux mains sur la table. — Racontez-nous tout ce que vous savez! Un aveu sincère pourra adoucir votre position.
La Maslova continuait à fixer le président; mais elle se taisait et rougissait, et l’on voyait qu’elle s’efforçait de vaincre sa timidité.
— Allons! Racontez-nous comment les choses se sont passées!
— Comment elles se sont passées? — fit brusquement la Maslova. — Eh bien! Le marchand est venu un soir dans la maison où je travaillais; il s’est assis près de moi, m’a offert du vin…
Elle se tut de nouveau, comme si elle avait perdu le fil de son récit, ou qu’un autre souvenir lui fût revenu en mémoire.
— Eh bien! Ensuite?
— Quoi, ensuite? Eh bien! Il est resté, et puis il est reparti.
À ce moment le substitut du procureur se souleva à demi, s’appuyant avec affectation sur un de ses coudes.
— Vous désirez poser une question? — demanda le président.
Et, sur la réponse affirmative du substitut, il lui donna à entendre, d’un geste, qu’il pouvait parler.
— La question que je voudrais poser est celle-ci: la prévenue connaissait-elle antérieurement Simon Kartymkine? — demanda solennellement le substitut, sans tourner les yeux vers la Maslova. Puis, la question posée, il serra les lèvres et fronça les sourcils. Le président répéta la question. La Maslova jetait des regards épouvantés sur le substitut.
— Simon? Oui, je le connaissais, — dit-elle.
— Je voudrais savoir encore en quoi consistaient les relations de la prévenue avec Kartymkine. Se voyaient-ils souvent?
— En quoi consistaient nos relations? Il me recommandait aux étrangers de l’hôtel, mais ce n’étaient pas des relations! — répondit la Maslova, promenant un regard inquiet du substitut sur le président, et inversement.
— Je voudrais savoir pourquoi Kartymkine ne recommandait aux étrangers que la Maslova, et non pas d’autres filles! — dit le substitut avec un sourire rusé, et de l’air d’un homme qui tendrait un piège longuement préparé.
— Je ne sais pas! Comment le saurais-je? — répondit la Maslova, regardant autour d’elle avec épouvante. — Il recommandait celles qu’il voulait.
«M’aurait-elle reconnu?» songeait Nekhludov, sur qui les yeux de la prévenue s’étaient arrêtés une seconde; et tout son sang lui affluait au visage. Mais la Maslova ne l’avait pas distingué des autres jurés, et avait vite rejeté ses regards terrifiés sur le substitut.
— Ainsi la prévenue nie qu’elle ait eu aucune relation intime avec Kartymkine? C’est parfait. Je n’ai rien de plus à demander.
Et le substitut, retirant aussitôt son coude de la table, se mit à écrire quelque chose. En réalité, il n’écrivait rien du tout, se bornant à faire repasser sa plume sur les lettres de l’acte d’accusation; mais il avait vu que les procureurs et les avocats, après chaque question posée par eux, notaient toujours dans leurs discours des remarques destinées ensuite à écraser leur adversaire.
Le président qui, pendant ce temps, s’était entretenu tout bas avec le juge en lunettes, se retourna aussitôt vers la prévenue.
— Et que s’est-il passé ensuite? — demanda-t-il, poursuivant son interrogatoire.
— C’était la nuit, — déclara la Maslova, reprenant courage à la pensée qu’elle n’avait plus affaire qu’au seul président. — J’étais remontée dans ma chambre et j’allais me coucher, quand la femme de chambre Berthe vint me dire: «Descends, voilà ton marchand qui est revenu!» Et, moi, je ne voulais pas descendre, mais Madame me l’a ordonné. Et le défunt était là, au salon, en train de faire boire toutes les dames; et puis il voulait commander encore du vin, et voilà qu’il n’avait plus d’argent! Madame n’a pas voulu lui faire crédit. Alors il m’a envoyée dans sa chambre, à l’hôtel. Il m’a dit où était son argent, et combien je devais prendre. Et je suis partie.
Le président continuait à parler tout bas avec son voisin et n’avait pas écouté ce que venait de dire la Maslova; mais, pour prouver qu’il avait cependant tout entendu, il crut devoir répéter ses dernières paroles:
— Vous êtes partie! Et ensuite?
— Je suis arrivée à l’hôtel et j’ai tout fait comme le marchand me l’avait ordonné; j’ai pris quatre billets rouges de dix roubles, — dit la Maslova; et de nouveau elle s’interrompit, comme si une crainte subite l’avait envahie; puis, reprenant: — Je ne suis pas allée seule dans la chambre, poursuivit-elle, j’ai appelé Simon Mikaïlovitch, et elle aussi, ajouta-t-elle en désignant la Botchkova.
— Elle ment! Pour entrer, je ne suis pas entrée! — commença la Botchkova, mais l’huissier l’arrêta.
— C’est en leur présence que j’ai pris les quatre billets rouges.
— Je voudrais savoir si l’accusée, en prenant ces quarante roubles, a vu combien il y avait d’argent dans la valise? — demanda de nouveau le substitut.
— Je n’ai pas compté, j’ai vu qu’il n’y avait que des billets de cent roubles.
— Ainsi la prévenue a vu des billets de cent roubles! Je n’ai rien de plus à demander.
— Et alors vous avez rapporté l’argent? — poursuivit le président en consultant sa montre.
— Je l’ai rapporté.
— Et ensuite?
— Ensuite le marchand m’a de nouveau fait venir dans sa chambre, — dit la Maslova.
— Hé bien! Et comment lui avez-vous donné la poudre? — demanda le président.
— Je l’ai versée dans un verre, et puis il l’a bue.
— Et pourquoi la lui avez-vous donnée?
— Mais pour me délivrer! — dit-elle avec un sourire gêné.
— Comment! Pour vous délivrer? — fit le président, souriant aussi.
— Eh bien, pour me délivrer! Il ne voulait pas me lâcher. Alors je suis sortie dans le corridor et j’ai dit à Simon Mikaïlovitch: «S’il pouvait me