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Les Oeuvres Complètes de Proust, Marcel. Marcel ProustЧитать онлайн книгу.

Les Oeuvres Complètes de Proust, Marcel - Marcel Proust


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Mais ayant constaté, sans erreur possible, les mille prévenances dont nous entourait et dont l’entourait elle-même Mme de Villeparisis, Françoise l’excusa d’être marquise et comme elle n’avait jamais cessé de lui savoir gré de l’être, elle la préféra à toutes les personnes que nous connaissions. C’est qu’aussi aucune ne s’efforçait d’être aussi continuellement aimable. Chaque fois que ma grand’mère remarquait un livre que Mme de Villeparisis lisait ou disait avoir trouvé beaux des fruits que celle-ci avait reçus d’une amie, une heure après un valet de chambre montait nous remettre livre ou fruits. Et quand nous la voyions ensuite, pour répondre à nos remerciements, elle se contentait de dire, ayant l’air de chercher une excuse à son présent dans quelque utilité spéciale: «Ce n’est pas un chef-d’oeuvre, mais les journaux arrivent si tard, il faut bien avoir quelque chose à lire.» Ou: «C’est toujours plus prudent d’avoir du fruit dont on est sûr au bord de la mer.» «Mais il me semble que vous ne mangez jamais d’huîtres nous dit Mme de Villeparisis, (augmentant l’impression de dégoût que j’avais à cette heure-là, car la chair vivante des huîtres me répugnait encore plus que la viscosité des méduses ne me ternissait la plage de Balbec); elles sont exquises sur cette côte! Ah! je dirai à ma femme de chambre d’aller prendre vos lettres en même temps que les miennes. Comment, votre fille vous écrit tous les jours? Mais qu’est-ce que vous pouvez trouver à vous dire!» Ma grand’mère se tut, mais on peut croire que ce fut par dédain, elle qui répétait pour maman les mots de Mme de Sévigné: «Dès que j’ai reçu une lettre, j’en voudrais tout à l’heure une autre, je ne respire que d’en recevoir. Peu de gens sont dignes de comprendre ce que je sens.» Et je craignais qu’elle n’appliquât à Mme de Villeparisis la conclusion: «Je cherche ceux qui sont de ce petit nombre et j’évite les autres.» Elle se rabattit sur l’éloge des fruits que Mme de Villeparisis nous avait fait apporter la veille. Et ils étaient en effet si beaux que le directeur, malgré la jalousie de ses compotiers dédaignés, m’avait dit: «Je suis comme vous, je suis plus frivole de fruit que de tout autre dessert.» Ma grand’mère dit à son amie qu’elle les avait d’autant plus appréciés que ceux qu’on servait à l’hôtel étaient généralement détestables. «Je ne peux pas, ajouta-t-elle, dire comme Mme de Sévigné que si nous voulions par fantaisie trouver un mauvais fruit, nous serions obligés de le faire venir de Paris. – Ah, oui, vous lisez Mme de Sévigné. Je vous vois depuis le premier jour avec ses lettres (elle oubliait qu’elle n’avait jamais aperçu ma grand’mère dans l’hôtel avant de la rencontrer dans cette porte). Est-ce que vous ne trouvez pas que c’est un peu exagéré ce souci constant de sa fille, elle en parle trop pour que ce soit bien sincère. Elle manque de naturel.» Ma grand’mère trouva la discussion inutile et pour éviter d’avoir à parler des choses qu’elle aimait devant quelqu’un qui ne pouvait les comprendre, elle cacha, en posant son sac sur eux, les mémoires de Madame de Beausergent.

      Quand Mme de Villeparisis rencontrait Françoise au moment (que celle-ci appelait «le midi») où, coiffée d’un beau bonnet et entourée de la considération générale elle descendait «manger aux courriers», Mme de Villeparisis l’arrêtait pour lui demander de nos nouvelles. Et Françoise, nous transmettant les commissions de la marquise: «Elle a dit: «Vous leur donnerez bien le bonjour», contrefaisait la voix de Mme de Villeparisis de laquelle elle croyait citer textuellement les paroles, tout en ne les déformant pas moins que Platon celles de Socrate ou saint Jean celles de Jésus. Françoise était naturellement très touchée de ces attentions. Tout au plus ne croyait-elle pas ma grand’mère et pensait-elle que celle-ci mentait dans un intérêt de classe, les gens riches se soutenant les uns les autres, quand elle assurait que Mme de Villeparisis avait été autrefois ravissante. Il est vrai qu’il n’en subsistait que de bien faibles restes dont on n’eût pu, à moins d’être plus artiste que Françoise, restituer la beauté détruite. Car pour comprendre combien une vieille femme a pu être jolie, il ne faut pas seulement regarder, mais traduire chaque trait.

      – Il faudra que je pense une fois à lui demander si je me trompe et si elle n’a pas quelque parenté avec les Guermantes, me dit ma grand’mère qui excita par là mon indignation. Comment aurais-je pu croire à une communauté d’origine entre deux noms qui étaient entrés en moi l’un par la porte basse et honteuse de l’expérience, l’autre par la porte d’or de l’imagination?

      On voyait souvent passer depuis quelques jours, en pompeux équipage, grande, rousse, belle, avec un nez un peu fort, la princesse de Luxembourg qui était en villégiature pour quelques semaines dans le pays. Sa calèche s’était arrêtée devant l’hôtel, un valet de pied était venu parler au directeur, était retourné à la voiture et avait rapporté des fruits merveilleux (qui unissaient dans une seule corbeille, comme la baie elle-même, diverses saisons), avec une carte: «La princesse de Luxembourg», où étaient écrits quelques mots au crayon. A quel voyageur princier demeurant ici incognito, pouvaient être destinés ces prunes glauques, lumineuses et sphériques comme était à ce moment-là la rotondité de la mer, des raisins transparents suspendus au bois desséché comme une claire journée d’automne, des poires d’un outremer céleste? Car ce ne pouvait être à l’amie de ma grand’mère que la princesse avait voulu faire visite. Pourtant le lendemain soir Mme de Villeparisis nous envoya la grappe de raisins fraîche et dorée et des prunes et des poires que nous reconnûmes aussi, quoique les prunes eussent passé comme la mer à l’heure de notre dîner, au mauve et que dans l’outremer des poires flottassent quelques formes de nuages roses. Quelques jours après nous rencontrâmes Mme de Villeparisis en sortant du concert symphonique qui se donnait le matin sur la plage. Persuadé que les oeuvres que j’y entendais (le Prélude de Lohengrin, l’ouverture de Tannhauser, etc.) exprimaient les vérités les plus hautes, je tâchais de m’élever autant que je pouvais pour atteindre jusqu’à elles, je tirais de moi pour les comprendre, je leur remettais tout ce que je recélais alors de meilleur, de plus profond.

      Or, en sortant du concert, comme, en reprenant le chemin qui va vers l’hôtel, nous nous étions arrêtés un instant sur la digue, ma grand’mère et moi, pour échanger quelques mots avec Mme de Villeparisis qui nous annonçait qu’elle avait commandé pour nous à l’hôtel des «Croque-Monsieur» et des oeufs à la crème, je vis de loin venir dans notre direction la princesse de Luxembourg, à demi-appuyée sur une ombrelle de façon à imprimer à son grand et merveilleux corps cette légère inclinaison, à lui faire dessiner cette arabesque si chère aux femmes qui avaient été belles sous l’Empire et qui savaient, les épaules tombantes, le dos remonté, la hanche creuse, la jambe tendue, faire flotter mollement leur corps comme un foulard, autour de l’armature d’une invisible tige inflexible et oblique, qui l’aurait traversé. Elle sortait tous les matins faire son tour de plage presque à l’heure où tout le monde après le bain remontait pour déjeuner, et comme le sien était seulement à une heure et demie, elle ne rentrait à sa villa que longtemps après que les baigneurs avaient abandonné la digue déserte et brûlante. Mme de Villeparisis présenta ma grand’mère, voulut me présenter, mais dut me demander mon nom, car elle ne se le rappelait pas. Elle ne l’avait peut-être jamais su, ou en tous cas avait oublié depuis bien des années à qui ma grand’mère avait marié sa fille. Ce nom parut faire une vive impression sur Mme de Villeparisis. Cependant la princesse de Luxembourg nous avait tendu la main et, de temps en temps, tout en causant avec la marquise, elle se détournait pour poser de doux regards sur ma grand’mère et sur moi, avec cet embryon de baiser qu’on ajoute au sourire quand celui-ci s’adresse à un bébé avec sa nounou. Même dans son désir de ne pas avoir l’air de siéger dans une sphère supérieure à la nôtre, elle avait sans doute mal calculé la distance, car, par une erreur de réglage, ses regards s’imprégnèrent d’une telle bonté que je vis approcher le moment où elle nous flatterait de la main comme deux bêtes sympathiques qui eussent passé la tête vers elle, à travers un grillage, au Jardin d’Acclimatation. Aussitôt du reste cette idée d’animaux et de Bois de Boulogne prit plus de consistance pour moi. C’était l’heure où la digue est parcourue par des marchands ambulants et criards qui vendent des gâteaux, des bonbons, des petits pains. Ne sachant que faire pour nous témoigner sa bienveillance, la princesse arrêta le premier qui passa; il n’avait plus qu’un pain de seigle, du genre de ceux qu’on jette


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