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Les Oeuvres Complètes de Proust, Marcel. Marcel ProustЧитать онлайн книгу.

Les Oeuvres Complètes de Proust, Marcel - Marcel Proust


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– Présence réelle

      Nous nous sommes aimés dans un village perdu d’Engadine au nom deux fois doux: le rêve des sonorités allemandes s’y mourait dans la volupté des syllabes italiennes. À l’entour, trois lacs d’un vert inconnu baignaient des forêts de sapins. Des glaciers et des pics fermaient l’horizon. Le soir, la diversité des plans multipliait la douceur des éclairages. Oublierons-nous jamais les promenades au bord du lac de Sils-Maria, quand l’après-midi finissait, à six heures? Les mélèzes d’une si noire sérénité quand ils avoisinent la neige éblouissante tendaient vers l’eau bleu pâle, presque mauve, leurs branches d’un vert suave et brillant. Un soir l’heure nous fut particulièrement propice; en quelques instants, le soleil baissant, fit passer l’eau par toutes les nuances et notre âme par toutes les voluptés. Tout à coup nous fîmes un mouvement, nous venions de voir un petit papillon rose, puis deux, puis cinq, quitter les fleurs de notre rive et voltiger au-dessus du lac. Bientôt ils semblaient une impalpable poussière de rose emportée, puis ils abordaient aux fleurs de l’autre rive, revenaient et doucement recommençaient l’aventureuse traversée, s’arrêtant parfois comme tentés au-dessus de ce lac précieusement nuancé alors comme une grande fleur qui se fane. C’en était trop et nos yeux s’emplissaient de larmes. Ces petits papillons, en traversant le lac, passaient et repassaient sur notre âme, – sur notre âme toute tendue d’émotion devant tant de beautés, prête à vibrer, – passaient et repassaient comme un archet voluptueux. Le mouvement léger de leur vol n’effleurait pas les eaux, mais caressait nos yeux, nos coeurs, et à chaque coup de leurs petites ailes roses nous manquions de défaillir. Quand nous les aperçûmes qui revenaient de l’autre rive, décelant ainsi qu’ils jouaient et librement se promenaient sur les eaux, une harmonie délicieuse résonna pour nous; eux cependant revenaient doucement avec mille détours capricieux qui varièrent l’harmonie primitive et dessinaient une mélodie d’une fantaisie enchanteresse. Notre âme devenue sonore écoutait en leur vol silencieux une musique de charme et de liberté et toutes les douces harmonies intenses du lac, des bois, du ciel et de notre propre vie l’accompagnaient avec une douceur magique qui nous fit fondre en larmes.

      Je ne t’avais jamais parlé et tu étais même loin de mes yeux cette année-là. Mais que nous nous sommes aimés alors en Engadine! Jamais je n’avais assez de toi, jamais je ne te laissais à la maison. Tu m’accompagnais dans mes promenades, mangeais à ma table, couchais dans mon lit, rêvais dans mon âme. Un jour – se peut-il qu’un sûr instinct, mystérieux messager, ne t’ait pas avertie de ces enfantillages où tu fus si étroitement mêlée, que tu vécus, oui, vraiment vécus, tant tu avais en moi une «présence réelle»? – un jour (nous n’avions ni l’un ni l’autre jamais vu l’Italie), nous restâmes comme éblouis de ce mot qu’on nous dit de l’Alpgrun: «De là on voit jusqu’en Italie.» Nous partîmes pour l’Alpgrun, imaginant que, dans le spectacle étendu devant le pic, là où commencerait l’Italie, le paysage réel et dur cesserait brusquement et que s’ouvrirait dans un fond de rêve une vallée toute bleue. En route, nous nous rappelâmes qu’une frontière ne change pas le sol et que si même il changeait ce serait trop insensiblement pour que nous puissions le remarquer ainsi, tout d’un coup. Un peu déçus nous ruons pourtant d’avoir été si petits enfants tout à l’heure.

      Mais en arrivant au sommet, nous restâmes éblouis, Notre enfantine imagination était devant nos yeux réalisée. À côté de nous, des glaciers étincelaient. À nos pieds des torrents sillonnaient un sauvage pays d’Engadine d’un vert sombre. Puis une colline un peu mystérieuse; et après des pentes mauves entrouvraient et fermaient tour à tour une vraie contrée bleue, une étincelante avenue vers l’Italie. Les noms n’étaient plus les mêmes, aussitôt s’harmonisaient avec cette suavité nouvelle. On nous montrait le lac de Poschiavo, le pizzo di Verone, le val de Viola. Après nous allâmes à un endroit extraordinairement sauvage et solitaire, où la désolation de la nature et la certitude qu’on y était inaccessible à tous, et aussi invisible, invincible, aurait accru jusqu’au délire la volupté de s’aimer là. Je sentis alors vraiment à fond la tristesse de ne t’avoir pas avec moi sous tes matérielles espèces, autrement que sous la robe de mon regret, en la réalité de mon désir. Je descendis un peu jusqu’à l’endroit encore très élevé où les voyageurs venaient regarder. On a dans une auberge isolée un livre où ils écrivent leurs noms. J’écrivis le mien et à côté une combinaison de lettres qui était une allusion au tien, parce qu’il m’était impossible alors de ne pas me donner une preuve matérielle de la réalité de ton voisinage spirituel. En mettant un peu de toi sur ce livre il me semblait que je me soulageais d’autant du poids obsédant dont tu étouffais mon âme. Et puis, j’avais l’immense espoir de te mener un jour là, lire cette ligne; ensuite tu monterais avec moi plus haut encore me venger de toute cette tristesse. Sans que j’aie rien eu à t’en dire, tu aurais tout compris, ou plutôt de tout tu te serais souvenue; et tu t’abandonnerais en montant, pèserais un peu sur moi pour mieux me faire sentir que cette fois tu étais bien là; et moi entre tes lèvres qui gardent un léger parfum de tes cigarettes d’Orient, je trouverais tout l’oubli. Nous dirions très haut des paroles insensées pour la gloire de crier sans que personne au plus loin puisse nous entendre; des herbes courtes, au souffle léger des hauteurs, frémiraient seules. La montée te ferait ralentir tes pas, un peu souffler et ma figure s’approcherait pour sentir ton souffle: nous serions fous. Nous irions aussi là où un lac blanc est à côté d’un lac noir doux comme une perle blanche à côté d’une perle noire. Que nous nous serions aimés dans un village perdu d’Engadine! Nous n’aurions laissé approcher de nous que des guides de montagne, ces hommes si grands dont les yeux reflètent autre chose que les yeux des autres hommes, sont aussi comme d’une autre «eau». Mais je ne me soucie plus de toi. La satiété est venue avant la possession. L’amour platonique lui-même a ses saturations. Je ne voudrais plus t’emmener dans ce pays que, sans le comprendre et même le connaître, tu m’évoques avec une fidélité si touchante. Ta vue ne garde pour moi qu’un charme, celui de me rappeler tout à coup ces noms d’une douceur étrange, allemande et italienne: Sils-Maria, Silva Plana, Crestalta, Samaden, Celerina, Juliers, val de Viola.

      XXIII – Coucher de soleil intérieur

      Comme la nature, l’intelligence a ses spectacles. Jamais les levers de soleil, jamais les clairs de lune qui si souvent m’ont fait délirer jusqu’aux larmes, n’ont surpassé pour moi en attendrissement passionné ce vaste embrasement mélancolique qui, durant les promenades à la fin du jour, nuance alors autant de flots dans notre âme que le soleil quand il se couche en fait briller sur la mer. Alors nous précipitons nos pas dans la nuit. Plus qu’un cavalier que la vitesse croissante d’une bête adorée étourdit et enivre, nous nous livrons en tremblant de confiance et de joie aux pensées tumultueuses auxquelles, mieux nous les possédons et les dirigeons, nous nous sentons appartenir de plus en plus irrésistiblement. C’est avec une émotion affectueuse que nous parcourons la campagne obscure et saluons les chênes pleins de nuit, comme le champ solennel, comme les témoins épiques de l’élan qui nous entraîne et qui nous grise. En levant les yeux au ciel, nous ne pouvons reconnaître sans exaltation, dans l’intervalle des nuages encore émus de l’adieu du soleil, le reflet mystérieux de nos pensées: nous nous enfonçons de plus en plus vite dans la campagne, et le chien qui nous suit, le cheval qui nous porte ou l’ami qui s’est tu, moins encore parfois quand nul être vivant n’est auprès de nous, la fleur à notre boutonnière ou la canne qui tourne joyeusement dans nos mains fébriles, reçoit en regards et en larmes le tribut mélancolique de notre délire.

      XXIV – Comme à la lumière de la lune

      La nuit était venue, je suis allé à ma chambre, anxieux de rester maintenant dans l’obscurité sans plus voir le ciel, les champs et la mer rayonner sous le soleil. Mais quand j’ai ouvert la porte, j’ai trouvé la chambre illuminée comme au soleil couchant. Par la fenêtre je voyais la maison, les champs, le ciel et la mer, ou plutôt il me semblait les «revoir» en rêve; la douce lune me les rappelait plutôt qu’elle ne me les montrait, répandant sur leur silhouette une splendeur pâle qui ne dissipait pas l’obscurité, épaissie comme un oubli sur leur forme. Et j’ai passé des heures à regarder dans la cour


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