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Vie de Jeanne d'Arc. Vol. 1 de 2. Anatole FranceЧитать онлайн книгу.

Vie de Jeanne d'Arc. Vol. 1 de 2 - Anatole France


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d'un état avancé de la légende. Il est impossible, par exemple, d'attribuer à un témoin du siège l'erreur commise par le rédacteur relativement à la chute du pont des Tourelles17. Ce qui est dit, à la page 97 de l'édition P. Charpentier et C. Cuissart, des relations entretenues par les habitants avec les hommes d'armes ne semble pas à sa place et pourrait bien avoir été mis là pour effacer le souvenir des dissentiments graves qui s'étaient produits dans la dernière semaine. À partir du 8 mai, le journal n'est plus du tout un journal; c'est une suite de morceaux empruntés à Chartier, à Berry et au procès de réhabilitation. L'épisode du grand et gros Anglais que maître Jean de Montesclère tue au siège de Jargeau est visiblement tiré de la déposition que Jean d'Aulon fit en 1456, et cet emprunt est fait au mépris de la vérité, puisque Jean d'Aulon dit expressément que le grand et gros Anglais fut tué aux Augustins18.

      La chronique appelée Chronique de la Pucelle19, comme si elle était la chronique par excellence de l'héroïne, est extraite d'une histoire intitulée Geste des nobles François, et qui remonte jusqu'à Priam de Troye. Mais elle n'en fut pas tirée sans changements ni additions. Ce travail fut opéré après 1467. Quand on aura démontré que la Chronique de la Pucelle est d'un Cousinot, enfermé dans Orléans pendant le siège, ou même de deux Cousinot, oncle et neveu, selon les uns, père et fils, selon les autres, il n'en restera pas moins vrai qu'elle est en grande partie copiée du Journal du siège, de Jean Chartier et du procès de réhabilitation. Cet ouvrage ne fait pas grand honneur à son auteur, quel qu'il soit, car on ne peut pas beaucoup vanter un faiseur d'histoires qui raconte deux fois les mêmes événements avec des circonstances différentes et inconciliables, sans paraître le moins du monde s'en apercevoir. La Chronique de la Pucelle s'arrête brusquement au retour du roi en Berry après l'échec devant Paris.

      Il faut placer le Mistère du siège20 parmi les chroniques. C'est, en effet, une chronique dialoguée et rimée, qui présenterait un grand intérêt, du moins pour son ancienneté, si l'on pouvait, comme on l'a voulu, en faire remonter la composition à l'année 1435. Dans ce poème de 20529 vers, les éditeurs et, à leur suite, plusieurs érudits ont cru reconnaître «certain mistaire21» joué à Orléans lors du sixième anniversaire de la délivrance. Mais de ce que le maréchal de Rais, qui se plaisait à faire représenter magnifiquement des farces et des mystères, soit demeuré du mois de septembre 1434 jusqu'au mois d'août 1435 dans la cité du duc Charles, faisant grande dépense22, et que la ville ait acheté de ses deniers, en 1439, «un estandart et bannière qui furent à Monseigneur de Reys pour faire la manière de l'assault comment les Tourelles furent prinses sur les Anglois23», on ne peut tirer la preuve que, en 1435 ou en 1439, le 8 mai, une pièce de théâtre fut représentée, ayant le Siège pour sujet et pour héroïne la Pucelle. Si pourtant on veut faire de «la manière de l'assault comment les Tourelles furent prises» un mystère, plutôt qu'une cavalcade ou tout autre divertissement, et voir dans le «certain mistaire» de 1435 une représentation du Siège mis et levé par les Anglais, on obtiendra de cette façon un mystère du siège. Encore faudra-t-il voir si c'est celui dont nous possédons le texte.

      Comme parmi les cent quarante personnages parlants, de l'œuvre qui nous est parvenue, se trouve le maréchal de Rais, on a supposé que l'ouvrage fut écrit et représenté antérieurement au procès qui se termina par la sentence exécutée au-dessus des ponts de Nantes, le 20 octobre 1440. En effet, nous a-t-on dit, comment, après sa mort ignominieuse, montrer aux Orléanais le vampire de Machecoul combattant pour leur délivrance? Comment associer dans une action héroïque la Pucelle et Barbe-Bleue? Il est embarrassant de répondre à une semblable question, parce que nous ne savons pas ce que pouvait supporter, en ce genre de choses, la rudesse des vieux âges. Notre texte, convenablement interrogé, nous dira peut-être lui-même s'il est antérieur ou postérieur à 1440.

      Le bâtard d'Orléans fut fait comte de Dunois le 14 juillet 143924. Les vers du Mistère, où on lui donne ce titre, ne peuvent donc être plus anciens que cette date. Ils abondent et, par une singularité qu'on n'explique pas, se trouvent tous dans le premier tiers de l'ouvrage. Quand Dunois paraît ensuite, il redevient le Bâtard. De ce fait, voilà cinq mille vers que les éditeurs de 1862 considèrent comme ajoutés postérieurement au texte primitif, bien qu'ils ne se distinguent des autres ni par la langue, ni par le style, ni par la prosodie, ni par aucune qualité. Mais le reste du poème remonte-t-il à 1435 ou 39?

      Je n'en crois rien. Aux vers 12093 et 12094, la Pucelle annonce à Talbot qu'il mourra par la main «des gens du roi». Cette prophétie n'a pu être faite qu'après l'événement: elle constitue une manifeste allusion à la fin de l'illustre capitaine, et ces vers sont sûrement postérieurs à l'année 1453.

      Un clerc Orléanais, six ans après le siège, n'aurait pas travesti Jeanne en dame de haute naissance.

      Aux vers 10199 et suivants du Mistère du siège la Pucelle répond au premier président du Parlement de Poitiers qui l'interroge sur sa maison:

      Quant est de l'ostel de mon père,

      Il est en pays de Barois;

      Gentilhomme et de noble afaire

      Honneste et loyal François25.

      Pour qu'un clerc en arrivât à écrire de telles choses, il fallait que la famille de Jeanne fût depuis très longtemps anoblie et la première génération noble éteinte, ce qui advint en 1469; il fallait qu'il pullulât des du Lys, dont on ménageait les prétentions ridicules. Ces du Lys ne se contentaient point de remonter à leur tante; ils rattachaient le bonhomme Jacquot d'Arc à la vieille noblesse barroise.

      Bien que ces paroles de Jeanne sur «l'hôtel de son père» s'accordent assez mal avec d'autres scènes du même mystère, ce long ouvrage paraît être tout d'une venue.

      Il fut vraisemblablement compilé sous le règne de Louis XI par un orléanais qui possédait assez bien son sujet. Il y aurait intérêt à étudier ses sources plus attentivement qu'on ne l'a fait jusqu'ici. Ce poète semble avoir connu un Journal du siège très différent de celui que nous possédons.

      Son mystère fut-il représenté dans les trente dernières années du siècle, aux fêtes instituées en commémoration de la prise des Tourelles? Le sujet, le ton, l'esprit, tout y est parfaitement approprié. Il semble toutefois étrange qu'un poème fait pour célébrer à la date du 8 mai la délivrance d'Orléans, place expressément cette délivrance à la date du 9. C'est ce que fait l'auteur du Mistère du siège, quand il met ces vers dans la bouche de la Pucelle:

      … Ayez en souvenance…

      Comment Orléans eult délivrance…

      L'an mil iiijc xxix;

      Faites en mémoire tous dis;

      Des jours de may ce fut le neuf26.

      Voilà les principaux chroniqueurs du parti français qui ont écrit sur la Pucelle. Je puis me dispenser de citer les autres qui sont plus tardifs ou qui, traitant seulement de quelques épisodes de la vie de Jeanne, ne peuvent être examinés avec utilité qu'au moment où l'on entre dans le détail des faits. Dès à présent, sans nous inquiéter de ce qu'il peut y avoir à prendre dans la Chronique de l'établissement de la fête27, dans la Relation du greffier de La Rochelle28, et dans quelques autres textes contemporains, nous sommes à même de nous apercevoir que, si nous ne savions de Jeanne d'Arc que ce qu'ont dit d'elle les chroniqueurs français, nous la connaîtrions à peu près comme nous connaissons Çakia Mouni.

      Ce ne sont pas les chroniqueurs


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<p>17</p>

Ibid., p. 81. —Procès, t. IV, p. 162, note.

<p>18</p>

Journal du siège, p. 97. —Procès, t. III, p. 215.

<p>19</p>

Chronique de la Pucelle ou Chronique de Cousinot, publiée par Vallet de Viriville, Paris, 1859, in-16 (Bibliothèque Gauloise).

<p>20</p>

Mistère du siège d'Orléans, publ. pour la première fois d'après le manuscrit unique conservé à la bibliothèque du Vatican, par MM. F. Guessard et E. de Certain, Paris, 1862, in-4o. – Cf. Étude sur le mystère du siège d'Orléans, par H. Tivier, Paris, 1868, in-8o.

<p>21</p>

Procès, t. V, p. 309.

<p>22</p>

L'abbé E. Bossard et de Maulde, Gilles de Rais, maréchal de France dit Barbe-Bleue (1404-1440), 2e édit., Paris, 1886, in-8o, pp. 94 à 113.

<p>23</p>

Mistère du siège, p. viij.

<p>24</p>

Mistère du siège, préface, p. X.

<p>25</p>

Mistère du siège, pp. 397-398.

<p>26</p>

Mistère du siège, vers 14375-14381, p. 559.

<p>27</p>

Procès, t. V, pp. 285 et suiv.

<p>28</p>

Relation inédite sur Jeanne d'Arc, extraite du livre noir de l'hôtel de ville de La Rochelle, publ. par J. Quicherat, Orléans, 1879, in-8o, et Revue Historique, t. IV, 1877, pp. 329-344.

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