L'abîme. Чарльз ДиккенсЧитать онлайн книгу.
été parfaitement raisonnable.
– Où en étais-je, Monsieur Bintrey?
– Vous en êtes resté… mais, à votre place, je ne voudrais pas m'agiter en reprenant ce sujet quant à présent…
– J'y veillerai, je serai sur mes gardes, – dit Wilding. – À quel endroit ce diable de bourdonnement m'a-t-il pris?
– Au rôti, au bouilli, et à la bière. Vous disiez: logeant sous le même toit, afin que nous puissions tous tant que nous sommes…
– Tous tant que nous sommes!.. Ah! c'est cela… Tous tant que nous sommes, bourdonnant ensemble…
– Là… là… – interrompit Bintrey. – Quand je vous disais que vos bons sentiments ne sont propres qu'à vous exalter, à vous faire du mal… Voulez-vous encore essayer de la pompe?
– Non! non! c'est inutile. Je vais bien, Monsieur Bintrey. Je reprends donc: Afin que nous puissions, tous tant que nous sommes, formant une sorte de famille… Voyez-vous, je n'ai jamais été accoutumé à l'existence personnelle que tout le monde mène dans son enfance. Plus tard j'ai été absorbé par ma pauvre chère mère. Après l'avoir perdue, je me suis trouvé bien plus apte à faire partie d'une association qu'à vivre seul. Je ne suis rien par moi-même… Ah! Monsieur Bintrey, faire mon devoir envers ceux qui dépendent de moi et me les attacher sans réserve, cette idée revêt à mes yeux un charme tout patriarcal et ravissant! Je ne sais quel effet elle peut produire sur vous…
– Sur moi? – répliqua Bintrey, – il n'importe guère. Que suis-je en cette circonstance? Rien. C'est vous qui êtes tout, Monsieur Wilding? Par conséquent, l'effet que vos idées peuvent produire sur moi est ce qu'il y a de plus indifférent au monde.
– Oh! – s'écria Wilding avec un feu extraordinaire, – mon plan me parait, à moi, délicieux…
– En vérité! – interrompit brusquement l'homme d'affaires, – si j'étais à votre place, je ne voudrais pas m'agi…
– Ne craignez rien, – fit Wilding. – Tenez! – continua-t-il en prenant sur un meuble un gros livre de musique. – Voici Haendel.
– Haendel, – répéta Bintrey avec un grognement menaçant, – qui est cela?
– Haendel!.. Mozart, Haydn, Kent, Purcel, le Docteur Arne, Greene, Mendelssohn, je connais tous les chœurs de ces maîtres. C'est la collection de la chapelle des Enfants Trouvés. Les belles antiennes! Pourquoi ne les apprendrions-nous pas ensemble?
– Ensemble? que veut dire cet «ensemble?» – s'écria l'homme d'affaires exaspéré, – qui apprendra ces antiennes?
– Qui?.. le patron et les employés.
– À la bonne heure! c'est autre chose.
Pendant un moment il avait cru que Wilding allait lui répondra: l'homme d'affaires et le client: vous et moi!
– Non, ce n'est pas autre chose, – reprit Wilding, – c'est la même chose. La musique doit surtout servir de lien entre nous. Monsieur Bintrey, nous formerons un chœur dans quelque paisible église, près du Carrefour des Écloppés, après que nous aurons, avec joie, chanté ensemble, nous reviendrons ici dîner ensemble avec plaisir. Ce qui me préoccupe maintenant, c'est de mettre ce système en pratique dans le plus bref délai possible, de façon que mon nouvel associé se trouve établi en arrivant dans la maison.
– Grand bien vous fasse! – s'écria Bintrey en se levant. – Est-ce que Laddle sera aussi l'associé de Haendel, Mozart, Haydn, Kent, Purcel, le Docteur Arne, Greene, et Mendelssohn?
– Je l'espère.
– Je souhaite que ces messieurs en soient contents, reprit Bintrey. – Adieu, monsieur.
Ils se serrèrent la main et se séparèrent. À peine Bintrey s'était-il éloigné que l'on frappa à la porte. Quelqu'un entra dans le bureau de Wilding par une porte de communication qui s'ouvrait dans la salle où se tenaient les commis. C'était le chef des garçons de cave de Wilding et Co., jadis chef des garçons de cave de Pebblesson Neveu, Joey Laddle, lui-même, un homme lent et grave, comme architecture humaine un portefaix. Il était vêtu d'un vêtement froncé et d'un tablier à bavette qui ressemblait à la fois à un paillasson et à la peau d'un rhinocéros.
– … Quant à la même nourriture et au même logement, Monsieur Wilding, mon jeune maître… – dit-il, en entrant, d'un ton bourru.
– Quoi! Joey…
– Eh bien! s'il faut parler pour moi, Monsieur Wilding… et jamais je n'ai parlé ni ne parlerai pour d'autres que pour moi… je n'ai aucun besoin, ni d'être nourri, ni d'être logé. Si cependant vous désirez me loger et me nourrir, soit… je puis manger comme tout le monde et je me soucie moins de l'endroit où je mangerai que de ce qu'on me fera manger, ne vous en déplaise. Est-ce que tous vos employés vont aussi vivre chez vous, mon jeune maître? Les deux autres garçons de cave, les trois porteurs, les deux apprentis, les hommes de journée… tout le monde?
– Oui, Joey… et j'espère que nous formerons une famille unie.
– Bon, – dit Joey, – je l'espère pour eux.
– Pour eux?.. Dites aussi pour nous.
Joey Laddle secoua la tête.
– Ne comptez pas trop sur moi pour cela, Monsieur Wilding, mon jeune maître. Ce n'est pas à mon âge, et après les circonstances qui ont formé mon caractère, qu'on se prend tout d'un coup à aimer la société. Lorsque Pebblesson Neveu me disaient: «Joey, tâche donc de prendre une figure plus enjouée,» je leur ai souvent répondu: «C'est bon à vous qui êtes accoutumés à boire le vin, d'avoir un visage gai. Moi je ne fais que le respirer par les pores de ma peau. Pris de cette façon, il agit différemment. Autre chose, messieurs, de remplir vos verres dans une bonne salle à manger, bien chaude, en poussant un Hip hurrah! vigoureux et en portant des toasts aux convives; autre chose de s'en remplir soi-même par les pores et par les poumons, au fond d'une cave basse et noire et dans une atmosphère moisie.» Je disais cela à Pebblesson Neveu. Ah! Monsieur Wilding, mon jeune maître, j'ai été garçon de cave toute ma vie, j'ai appliqué toute mon intelligence au travail, et me voilà aussi abruti qu'un homme peut l'être. Allez! vous ne trouverez pas plus abruti que moi. Vous ne trouverez pas non plus mon égal en humeur noire. Chantez, videz gaiement vos verres. On dit que chaque goutte que vous répandez sur vous efface une ride… je ne dis pas non. Mais essayez de humer le vin par vos pores quand vous n'en avez pas besoin. Et vous verrez.
– Je suis désolé de ce que vous me dites, Joey, – répondit Wilding. – Et moi qui avais espéré que vous réuniriez une classe de chant dans cette maison.
– Moi, monsieur!.. Monsieur Wilding, mon jeune maître, vous ne prendrez pas Joey Laddle à s'occuper d'harmonie! Une machine à avaler, monsieur, c'est tout ce que je puis être en dehors de mes caves! L'estomac n'est pas mauvais. Cependant, je vous remercie, puisque vous pensez que je vaux la peine que vous voulez prendre en me faisant vivre chez vous.
– Je le veux, Joey.
– N'en parlons plus, monsieur. C'est dit… Mais, monsieur, n'êtes-vous pas sur le point de prendre le jeune George Vendale comme associé dans cette maison?
– Oui.
– Un changement de plus. Au moins ne changez pas encore la raison sociale. Ne faites pas cela. Vous l'avez déjà fait une fois. Et je vous le demande, n'aurait-il pas mieux valu conserver «Pebblesson et Co.», qui avaient toujours eu de la chance? On ne doit point risquer de changer la chance quand elle est bonne.
– Je ne modifierai point la raison sociale, Joey.
– Je suis content de l'apprendre, Monsieur Wilding, et je vous souhaite le bonjour. Mais vous auriez certainement mieux fait de conserver «Pebblesson et Co.» Vous auriez mieux fait.
La femme de charge entre
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