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Francia; Un bienfait n'est jamais perdu. Жорж СандЧитать онлайн книгу.

Francia; Un bienfait n'est jamais perdu - Жорж Санд


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vais l'aller chercher.

      – Non, je ne peux pas la voir ici.

      – A cause donc?

      – Je ne suis pas chez moi. Je la verrai chez elle.

      – En ce cas, je marche devant, suivez-moi.

      – Je ne peux pas sortir; mais dans trois jours…

      – Ah oui! vous êtes en pénitence! on a dit ça dans l'antichambre, ça venait d'être dit dans le salon. Allons! voilà notre adresse, ajouta-t-il en lui remettant un papier assez malpropre; mais trois jours, c'est long, et en attendant on va se manger les moelles.

      – Vous êtes donc bien pressés?

      – Oui, monsieur, oui, nous sommes pressés d'avoir, si c'est possible, des nouvelles de notre pauvre mère.

      – Qui, votre mère?

      – Une femme célèbre, monsieur le Russe, Mademoiselle Mimi la Source, que vous avez vue danser, ça n'est pas possible autrement, au théâtre de Moscou, dans les temps, avant la guerre.

      – Oui, oui, certainement, je me souviens, j'ai vécu à Moscou dans ce temps-là; mais je n'ai jamais été dans les coulisses. Je ne savais pas qu'elle eût des enfants… Ce n'est pas là que j'ai pu voir votre soeur.

      – Ce n'est pas là que vous l'avez vue. D'ailleurs, vous n'auriez peut-être pas fait attention à elle, elle était trop jeune! Mais notre mère, monsieur le prince, notre pauvre mère, vous l'avez bien revue à la Bérézina! Vous y étiez bien avec les cosaques qui massacraient les pauvres traînards! Je n'y étais pas, moi, j'ai pas été élevé en Russie; mais ma soeur y était; elle jure qu'elle vous y a vu.

      – Oui, elle a raison, j'y étais, je commandais un détachement, et à présent je me souviens d'elle.

      – Et de notre mère? Voyons, où est-elle?

      – Elle est probablement avec Dieu, mon pauvre garçon! Moi, je n'en sais rien!

      – Morte! répéta le gamin, dont les yeux enflammés se remplirent de larmes. C'est peut-être vous qui l'avez tuée!

      – Non, ce n'est pas moi: je n'ai jamais frappé l'ennemi sans défense. Sais-tu, enfant, ce que c'est qu'un homme d'honneur!

      – Oui, j'ai entendu parler de ça, et ma soeur se souvient que les cosaques tuaient tout. Alors vous commandiez des hommes sans honneur?

      – La guerre est la guerre; tu ne sais de quoi tu parles. Assez! ajouta-t-il en voyant que l'enfant allait riposter. Je ne puis te donner de nouvelles de ta mère. Je ne l'ai pas vue parmi les prisonniers. J'ai vu, à la première ville où nous nous sommes arrêtés après la Bérézina, ta soeur blessée d'un coup de lance; j'ai eu pitié d'elle, je l'ai fait mettre dans la maison que j'occupais, en la recommandant à la propriétaire. J'ai même laissé quelque argent en partant le lendemain, afin que l'on prit soin d'elle. A-t-elle encore besoin de quelque chose? J'ai déjà offert…

      – Non, rien. Elle m'a bien défendu de rien accepter pour elle.

      – Mais pour toi?.. dit Mourzakine en portant a main à sa ceinture.

      Les yeux du gamin de Paris brillèrent un instant, allumés par la convoitise, par le besoin peut-être; mais il fit un pas en arrière comme pour échapper à lui-même, et s'écria avec une majesté burlesque:

      – Non! pas de çà, Lisette! On ne veut rien des Russes!

      – Alors pourquoi ta soeur voulait-elle me voir? Espère-t-elle que je pourrai l'aider à retrouver sa mère? cela me paraît bien impossible!

      – On pourrait toujours savoir si elle a été faite prisonnière? Moi je ne peux pas vous dire au juste où c'était et comment ça c'est passé; mais Francia vous expliquerait…

      – Voyons, je ferai tout ce qui dépendra de moi. Qu'elle attende à dimanche, et j'irai chez vous. Es-tu content?

      – Chez nous… le dimanche… dit le gamin en se grattant l'oreille, ça ne se peut guère!

      – Pourquoi?

      – A cause de parce que! Il vaut mieux qu'elle vienne ici.

      – Ici, c'est complètement impossible.

      – Ah! oui, il y a une belle jolie dame qui serait jalouse…

      – Tais-toi, maraud!

      – Bah! les larbins se gênent bien pour le dire tout haut dans l'antichambre, que la bourgeoise en tient!..

      – Hors d'ici, faquin! dit Mourzakine, qui avait appris dans les auteurs français du siècle dernier comment un homme du monde parlait à la canaille.

      Mais il ajouta, dans des formes plus à son usage:

      – Va-t'en, ou je te fais couper la langue par mon cosaque.

      Le gamin, sans s'effrayer de la menace, porta la main à sa bouche en tirant la langue comme si la douleur lui arrachait cette grimace, puis, sans tourner les talons, avisant devant lui le mur peu élevé du jardin, il grimpa au treillage avec l'agilité d'un singe, enjamba le mur, fit un pied de nez très-accentué au prince russe, et disparut sans se demander s'il sautait dans la rue ou dans un autre enclos dont il sortirait par escalade.

      Mourzakine demeura confondu de tant d'audace. En Russie, il eût été de son devoir de faire poursuivre, arrêter et fustiger atrocement un homme du peuple capable d'un pareil attentat envers lui. Il se demanda même un instant s'il n'appellerait pas Mozdar pour franchir ce mur et s'emparer du coupable; mais, outre que le délinquant avait de l'avance sur le cosaque, le souvenir de Francia dissipa la colère de Mourzakine, et il s'arrêta sous un gros tilleul où un banc l'invitait à la rêverie.

      « – Oui, je me la remets bien à présent, se disait-il, et son esprit faisant un voyage rétrospectif, il se racontait ainsi l'événement. «C'était à Pletchenitzy, dans les premiers jours de décembre 1812. Platow commandait la poursuite. La veille nous avions donné la chasse aux Français, qui avaient réussi à se dégager après avoir délivré Oudinot, que mes cosaques tenaient assiégé dans une grange. Nous avions besoin de repos; la Bérézina nous avait mis sur les dents. J'avais trouvé un coin, une espèce de lit, pour dormir sans me déshabiller. Puis arrivèrent nos convois chargés du butin, des blessés et des prisonniers. J'avisai une enfant qui me parut avoir douze ans au plus, et qui était si jolie dans sa pâleur avec ses longs cheveux noirs épars! Elle était dans une espèce de kibitka pêle-mêle avec des mourants et des ballots. Je dis à Mozdar de la tirer de là et de la mettre dans l'espèce de taudis qui me servait de chambre. Il la posa par terre, évanouie, en me disant:

      » – Elle est morte.

      »Mais elle ouvrit les yeux et me regarda avec étonnement. Le sang de sa blessure était gelé sur le haillon qui lui servait de mante. Je lui parlai français; elle me crut Français et me demanda sa mère, je m'en souviens bien, mais je n'eus pas le loisir de l'interroger. J'avais des ordres à donner. Je dis à Mozdar, en lui montrant le grabat où j'avais dormi:

      » —Mets-la mourir tranquillement.

      »Et je lui jetai un mouchoir pour bander la blessure. Je dus sortir avec mes hommes. Quand je rentrai, j'avais oublié l'enfant. J'avais une heure à moi avant de quitter la ville; j'en profitai pour écrire trois mots à ma mère: une occasion se présentait. Quand j'eus fini, je me rappelai la blessée qui gisait à deux pas de moi. Je la regardai. Je rencontrai ses grands yeux noirs attachés sur moi, tellement fixes, tellement creusés, que leur éclat vitreux me parut être celui de la mort. J'allai à elle, je mis ma main sur son front; il était réchauffé et humide.

      » – Tu n'es donc pas morte? lui dis-je: allons! tâche de guérir.

      »Et je lui mis entre les dents une croûte de pain qui était restée sur la table. Elle me sourit faiblement, et dévora le pain qu'elle roulait avec sa bouche sur l'oreiller, car elle n'avait pas la force d'y porter les mains. De quelle pitié je fus saisi! Je courus chercher d'autres vivres, en disant à la femme de la maison:

      »


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