Mademoiselle La Quintinie. Жорж СандЧитать онлайн книгу.
qu'elle se préoccupait. Elle voulait savoir si je partageais toutes tes idées, et si, en les respectant beaucoup, je n'y apportais pas en moi-même quelque modification. La question était directe, sérieuse, et ne me déplut pas. D'autres eussent peut-être préféré une femme ne sachant parler que de choses frivoles, mais je ne me sentais pas mal à l'aise avec cet esprit net et sérieux qui me demandait compte avec douceur et délicatesse du fond de ma pensée. Je n'éprouvai pas le puéril besoin de la dominer et de lui prouver qu'un homme ordinaire en sait presque toujours plus long que la femme la mieux instruite. Je voyais bien qu'elle en était persuadée, et qu'en m'interrogeant, elle ne me demandait que cette solution de la conscience du vrai que tout être humain a le droit de vouloir soumettre à son point de vue.
Voici, je crois, le sens fidèle de ma réponse:
«Mon père a travaillé quarante ans, cherchant à travers les profondeurs du passé non pas tant les curiosités de l'érudition que les vérités de l'histoire philosophique. Il n'a été ni professeur ni fonctionnaire sous aucun gouvernement. Il n'a voulu appartenir à aucun corps de la science officielle. Sa fortune et son peu d'ambition directe lui ont permis de conserver une indépendance absolue, extrêmement rare dans le temps où nous vivons. Vous voyez que le résultat de tant de savoir et de liberté l'a conduit à repousser les systèmes de toutes pièces et à n'admettre qu'un très-petit nombre de vérités fondamentales. Vous êtes étonnée, disiez-vous tout à l'heure, de trouver dans ses résumés tant de respect pour des croyances qui ne sont pas les siennes, tant de mesure et de douceur envers les plus intolérants adversaires de sa philosophie: c'est que mon père est d'une générosité de tempérament dont rien n'approche, et que la forme amère ou irritée lui est antipathique; mais ne croyez pas que cette douceur d'âme change rien aux principes qu'il a une fois admis. Si vous avez lu attentivement, comme je le crois, ses conclusions générales, vous devez être certaine qu'il n'y a pas en lui de transaction possible avec ceux qui nient le développement de la lumière…
– C'est-à-dire avec les catholiques? dit mademoiselle La Quintinie en me regardant fixement.
– Non-seulement avec les catholiques, repris-je, mais avec les sectateurs de toute religion qui cloue la pensée humaine sur un dogme immobile et sans avenir.
– Et vous partagez entièrement cette révolte de votre père contre des croyances… qui sont les miennes, on vous l'a dit?
– Je la partage entièrement, répondis-je, non-seulement par respect pour son opinion, qui est celle de tous les vrais grands esprits, mais encore par la conviction que mes études, mes instincts et mes réflexions m'ont forcé d'avoir.»
C'était là, n'est-ce pas? une déclaration de guerre bien plus qu'une déclaration d'amour. Mademoiselle La Quintinie garda le silence assez longtemps pour me faire croire que tout était rompu, ou plutôt que rien ne serait jamais commencé entre nous. Elle avait mis sur ses genoux une touffe de ces petites fleurs qui avaient servi à commencer l'entretien, et elle avait l'air de jouer avec sans m'entendre. Tout à coup, elle leva la tête et me regarda encore en disant:
«Il y a une chose certaine, monsieur Lemontier, c'est que vous avez une franchise rare, et que c'est une grande qualité. J'aurais bien des choses à vous dire, mais c'est vraiment trop tôt. Je ne peux pas avoir tant de confiance. Donnez-moi le temps de vous connaître un peu plus, et alors je me permettrai peut-être de discuter quelquefois avec vous; car j'ai beau être une femme, encore enfant à bien des égards, vous savez que chacun tient à sa croyance, et que les faibles ont le droit de se défendre contre les forts.
– Pourquoi pas tout de suite? lui demandai-je. Êtes-vous aussi sincère que moi quand vous prétendez ne pas me connaître? Je me suis pourtant donné tout entier, et vous n'avez rien à découvrir que je ne vous aie livré.
– Vous avez raison, reprit-elle, et je crois que ce serait vous faire injure que de vous étudier comme un homme ordinaire. Qui comprend votre père et qui vous a vu un instant doit vous connaître, sous peine de tomber dans une méfiance niaise; mais pourtant… je ne peux pas dire un mot de plus sans vous faire une question absurde. Répondrez-vous à une question absurde?»
Et, comme j'hésitais à répondre, cherchant à deviner d'avance, elle ajouta en riant:
«La vérité exige quelquefois l'absurdité. Vous savez le fameux credo quia absurdum!»
Mais, tout en riant ainsi, elle rougissait beaucoup, et je la priai de s'expliquer en rougissant moi-même autant qu'elle.
«Eh bien, reprit-elle avec un héroïsme de franchise extraordinaire, on prétend que vous avez conçu pour moi, à première vue, une passion de roman. C'est Élise qui dit cela, et, pour vous tirer de votre embarras, sachez qu'elle prétend que j'ai répondu à cette passion comme par une commotion électrique. Vous reconnaissez là le style moqueur de notre amie; mais il y a quelque chose de vrai sous cette hyperbole. J'ai cru voir que vous étiez porté à une sympathie particulière pour moi, et, de mon côté, j'ai ressenti pour vous la même chose. Voilà les grands mots lâchés; ils ne sont pas si effrayants qu'ils en ont l'air, et nous pouvons à présent nous entendre, en braves gens que nous sommes, pour rire des attaques de nos amis, et pour leur répondre ensuite, sans rire, que nous nous estimons véritablement l'un l'autre. Du moins, quant à moi, je le déclare. En pouvez-vous dire autant de vous-même, et ma question est-elle absurde, indiscrète ou inconvenante?»
Cher père, je ne sais pas comment on dit à une femme qu'on est amoureux d'elle; mais je n'ai trouvé rien de si naturel et de si aisé que de lui dire qu'on l'aime sérieusement. Je l'ai dit à Lucie sans trouble immodeste, sans génuflexion indécente, en la regardant bien en face, comme elle me regardait, et sans aucun reste de timidité. Je lui ai dit que je ne savais pas si c'était de l'amitié, de l'amour ou de la passion, vu que je n'avais aucune expérience de mes propres sentiments, mais que je me sentais lui appartenir entièrement. J'ai ajouté qu'elle ne devait pas se préoccuper de cette vivacité d'impression, que je ne savais pas encore l'importance et la durée que cela pouvait avoir dans ma vie, que cet embrasement subit de tout mon être pouvait bien tenir à ma jeunesse et à mon enthousiasme naturel, que je n'étais pas assez sot pour m'en faire un mérite et pour vouloir qu'elle m'en sût gré. Il n'y avait en moi qu'une chose à prendre en grave considération, mon respect pour elle, c'est-à-dire une foi aveugle dans sa loyauté et un dévouement qui pouvait être mis à l'épreuve la plus rude le jour où il serait accepté.
Je ne sais pas si elle fut très-émue en m'écoutant. Dès qu'elle eut compris, elle mit sa figure dans ses mains, et elle se tenait assise, les coudes appuyés sur ses genoux. C'est tout ce qui m'a frappé dans son attitude, car tu penses bien que je n'étais pas de sang-froid et que je songeais à me faire bien comprendre dans l'énergie de ma sincérité beaucoup plus qu'à surprendre en elle un trouble physique quelconque. Ce trouble des sens, dont pour rien au monde je n'eusse voulu profiter, même pour effleurer seulement son vêtement, ne m'eût rien appris, sinon qu'elle était femme, et nullement blasée sur de pareils épanchements. Or, je savais bien qu'elle est femme; tout en elle exprime une vie intense gouvernée par une vie intellectuelle plus intense encore, et, quant à l'expérience qu'elle peut avoir, je ne croyais pas devoir la craindre. Personne, j'en réponds devant Dieu, ne lui a jamais exprimé une affection aussi forte et aussi vraie que la mienne.
Je vis seulement, quand elle releva son visage, qu'elle avait caché quelques larmes et qu'un beau sourire reprenait le dessus.
«Vous êtes, me dit-elle, la droiture en personne, puisque du premier mot vous risquez le tout pour le tout! De la part d'un autre, ce que vous m'avez dit là m'eût probablement choquée; mais, tout en ayant eu un peu mal aux nerfs, je ne sais trop pourquoi, j'ai été plus touchée que blessée de votre hardiesse. N'en concluez pas que je vous aime comme vous avez l'air de m'aimer. Sur l'honneur, je ne sais pas ce que c'est que l'amour; ni si je le saurai jamais; mais je connais l'amitié, et il me semble que vous me l'inspirez spontanément-, comme un droit que vous réclameriez au nom de Dieu, qui lit dans les âmes. Restons-en là jusqu'à nouvel ordre. Malgré le grand mystère qu'on se recommande autour de nous, et que chacun trahit de son mieux, nous savons fort bien l'un et l'autre qu'on veut que nous nous aimions. Ceci est une question immense, puisqu'elle conduit forcément au