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Valvèdre. Жорж СандЧитать онлайн книгу.

Valvèdre - Жорж Санд


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contrefaçon achetée à Genève, et un tout petit bouquin anonyme que j'hésitai un instant à joindre à mon envoi, et que j'y glissai, ou plutôt que j'y jetai tout à coup, avec l'émotion de l'homme qui brûle ses vaisseaux.

      Ce mince bouquin était un recueil de vers que j'avais publié à vingt ans sous le voile de l'anonyme, encouragé par un oncle éditeur qui me gâtait, et averti par mon père que je ferais sagement de ne pas compromettre son nom et le mien pour le plaisir de produire cette bagatelle.

      – Je ne trouve pas tes vers trop mauvais, m'avait dit cet excellent père; il y a même des pièces qui me plaisent; mais, puisque tu te destines aux lettres, contente-toi de lancer ceci comme un ballon d'essai, et ne t'en vante pas, si tu veux savoir ce qu'on en pense. Si tu es discret, cette première expérience te servira. Si tu ne l'es pas, et que ton livre soit raillé, d'une part tu en auras du dépit, de l'autre tu te seras créé un fâcheux précédent qu'il sera difficile de faire oublier.

      J'avais religieusement suivi ce bon conseil. Mes petits vers n'avaient pas fait grand bruit, mais ils n'avaient pas déplu, et même quelques passages avaient été remarqués. Ils n'avaient, selon moi, qu'un mérite, ils étaient sincères. Ils exprimaient l'état d'une jeune âme avide d'émotions, qui ne se pique pas d'une fausse expérience, et qui ne se vante pas trop d'être à la hauteur de ses rêves.

      C'était certes une grande imprudence que je venais de commettre en les envoyant à madame de Valvèdre. Si elle devinait l'auteur et qu'elle trouvât les vers ridicules, j'étais perdu. L'amour-propre ne m'aveuglait pas. Mon livre était l'oeuvre d'un enfant. Une femme de trente ans s'intéresserait-elle à des élans si naïfs, à une candeur si peu fardée?.. Mais pourquoi me devinerait-elle? n'avais-je pas su garder mon secret avec mes meilleurs amis? Et, si j'étais plus troublé à l'idée de ses sarcasmes que je ne pouvais l'être de ceux de toute autre personne, n'avais-je pas une chance de guérison dans le dépit que sa dureté me causerait?

      Je ne voulais pourtant pas guérir, je ne le sentais que trop, et les heures se traînaient, mortellement lentes, plus cruelles encore depuis que j'avais fait ce coup de tête d'envoyer mon coeur de vingt ans à une femme nerveuse et ennuyée qui ne lui accorderait peut-être pas un regard. Aucune nouvelle communication ne m'arrivant plus, je sortis pour ne pas étouffer. J'accostai le premier passant, et parlai haut sous la fenêtre des voyageuses. Personne ne parut. J'avais envie de rentrer, et je m'éloignai pourtant, ne sachant où j'allais.

      Je marchais à l'aventure sur le chemin qui mène à Varallo, lorsque je vis venir à moi un personnage que je crus reconnaître et dont l'approche me fit singulièrement tressaillir. C'était M. Moserwald, je ne me trompais pas. Il montait à pied une côte rapide; son petit char de voyage le suivait avec ses effets. Pourquoi le retour de cet homme me sembla-t-il un événement digne de remarque? Il parut s'étonner de mes questions. Il n'avait pas dit qu'il quittât la vallée définitivement. Il était allé faire une excursion dans les environs, et, comptant en faire d'autres, il revenait à Saint-Pierre comme au seul gîte possible à dix lieues à la ronde. Pour lui, il n'était pas grand marcheur, disait-il; il ne tenait pas à se casser le cou pour regarder de haut: il trouvait les montagnes plus belles, vues à mi-côte. Il admirait fort les chercheurs d'aventures, mais il leur souhaitait bonne chance et prenait ses aises le plus qu'il pouvait. Il ne comprenait pas qu'on parcourût les Alpes à pied et avec économie. Il fallait là plus qu'ailleurs dépenser beaucoup d'argent pour se divertir un peu.

      Après beaucoup de lieux communs de ce genre, il me salua et remonta dans son véhicule; puis, arrêtant son conducteur au premier tour de roue, il me rappela en disant:

      – J'y songe! C'est bientôt l'heure du dîner là-bas, et vous êtes peut-être en retard? Voulez-vous que je vous ramène?

      Il me sembla qu'après s'être montré très-balourd, à dessein peut-être, il attachait sur moi un regard de perspicacité soudaine. Je ne sais quelle défiance ou quelle curiosité cet homme m'inspirait. Il y avait de l'un et de l'autre. Mon rêve m'avait laissé une superstition. Je pris place à ses côtés.

      – Avez-vous quelque voyageur nouveau ici? me dit-il en me montrant le hameau, dont le petit clocher à jour se dessinait en blanc vif sur un fond de verdure sombre.

      Des voyageurs? Non! répondis-je en me retranchant dans un jésuitisme des plus maladroits.

      Je me sentais beaucoup moins d'aplomb pour cacher mon trouble à Moserwald, dont la sincérité m'était suspecte, que je n'en éprouvais à tromper effrontément Obernay, le plus droit, le plus sincère des hommes. C'était comme un châtiment de ma duplicité, cette lutte avec un juif qui s'y entendait beaucoup mieux que moi, et j'étais humilié de me trouver engagé dans cet assaut de dissimulation. Il eut un sourire d'astuce niaise en reprenant:

      – Alors vous n'avez pas vu passer une certaine caravane de femmes, de guides et de mulets?.. Moi, je l'ai rencontrée hier au soir, à dix lieues d'ici, au village de Varallo, et je croyais bien qu'elle s'arrêterait à Saint-Pierre; mais, puisque vous dites qu'il n'est arrivé personne…

      Je me sentis rougir, et je me hâtai de répondre avec un sourire forcé que j'avais nié l'arrivée de nouveaux voyageurs, non celle de voyageuses inattendues.

      – Ah! bien! vous avez joué sur le mot!.. Avec vous, il faut préciser le genre, je vois cela. N'importe, vous avez vu ces belles chercheuses d'aventures; quand je dis ces belles… vous allez peut-être me reprocher de ne pas faire accorder le nombre plus que le genre… car il n'y en a qu'une de belle! L'autre… c'est, je crois, la petite soeur du géologue… est tout au plus passable. Vous savez que monsieur… comment l'appelez-vous?.. votre ami? n'importe, vous savez qui je veux dire: il l'épouse!

      – Je n'en sais rien du tout; mais, si vous le croyez, si vous l'avez ouï dire, comment avez-vous eu le mauvais goût de faire des plaisanteries, l'autre jour, sur ses relations avec…?

      – Avec qui donc? Qu'est-ce que j'ai dit? Vrai! je ne m'en souviens plus! On dit tant de choses dans la conversation!Verba volant! N'allez pas croire que je sache le latin! Qu'est-ce que j'ai dit? Voyons! dites donc!

      Je ne répondis pas. J'étais plein de dépit. Je m'enferrais de plus en plus; j'avais envie de chercher noise à ce Moserwald, et pourtant il fallait prendre tout en riant ou le laisser lire dans mon cerveau bouleversé. J'eus beau essayer de rompre l'entretien en lui montrant les beaux troupeaux qui passaient près de nous, il y revint avec acharnement et il me fallut nommer madame de Valvèdre. Il fut aveugle ou charitable: il ne releva pas l'étrange physionomie que je dus avoir en prononçant ce nom terrible.

      – Bon! s'écria-t-il avec sa légèreté naturelle ou affectée: j'ai dit cela, moi, que M. Obernay (voilà son nom qui me revient) avait des vues sur la femme de son ami? C'est possible!.. On a toujours des vues sur la femme de son ami… Je ne savais pas alors qu'il dût épouser la belle-soeur, parole! Je ne l'ai su qu'hier au matin en faisant causer le domestique de ces dames. Je vous dirai bien que cela ne me paraît pas une raison sans appel… Je suis sceptique, moi, je vous l'ai dit; mais je ne veux pas vous scandaliser, et je veux bien croire… Mon Dieu, comme vous êtes distrait! A quoi donc pensez-vous?

      – A rien, et c'est votre faute! Vous ne dites rien qui vaille. Vous n'avez pas le sens commun, mon cher, avec vos idées de profonde scélératesse. Quel mauvais genre vous avez là! C'est très-mal porté, surtout quand on est riche et gras.

      Si j'avais su combien il était impossible de fâcher Moserwald, je me serais dispensé de ces duretés gratuites, qui le divertissaient beaucoup. Il aimait qu'on s'occupât de lui, même pour le rudoyer ou le railler.

      – Oui, oui, vous avez raison! reprit-il comme transporté de reconnaissance; vous me dites ce que me disent tous mes amis, et je vous en sais gré. Je suis ridicule, et c'est là le plus triste de mon affaire! J'ai le spleen, mon cher, et l'incrédulité des autres sur mon compte vient s'ajouter à celle que j'ai envers tout le monde et envers moi-même. Oui, je devrais être heureux, parce que je suis riche et bien portant, parce que je suis gras! Et cependant je m'ennuie, j'ai mal au foie, je ne crois pas aux hommes, aux femmes encore moins! Ah çà! comment faites-vous pour croire aux femmes, par exemple? Vous me direz que vous êtes jeune! Ce n'est pas une raison. Quand


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