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Nouveaux Contes à Ninon. Emile ZolaЧитать онлайн книгу.

Nouveaux Contes à Ninon - Emile Zola


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La tante reste dans son fauteuil, le Château appartient à la chère enfant qui doit y rêver les plus étonnantes fantaisies. Cela la soulage. Quand elle sort de ce trou, elle est sage pour une année.

      Pendant quinze jours, elle est la fée, l'âme des verdures. On la voit en toilette de gala, promener des dentelles blanches et des noeuds de soie au milieu des broussailles. On m'a même assuré l'avoir rencontrée en marquise Pompadour, avec de la poudre et des mouches, assise sur l'herbe, dans le coin le plus désert du parc. D'autres fois, on a aperçu un petit jeune homme blond qui suivait doucement les allées. Moi, j'ai une peur affreuse que le petit jeune homme ne soit cette chère toquée.

      Je sais qu'elle fouille le Château des caves aux greniers. Elle furète dans les encoignures les plus noires, sonde les murs de ses petits poings, flaire de son nez rosé toute cette poussière du passé. On la trouve sur des échelles, perdue au fond des grandes armoires, l'oreille tendue aux fenêtres, rêveuse devant les cheminées, avec l'envie évidente de monter dedans et de regarder. Puis, comme elle ne trouve sans doute pas ce qu'elle cherche, elle court le parterre aux grands coquelicots, les sentiers noirs d'ombre, les clairières blanches de soleil. Elle cherche toujours, le nez au vent, saisissant le lointain et vague parfum d'une fleur de tendresse qu'elle ne peut cueillir.

      Positivement, je te l'ai dit, Ninon, le vieux Château sent l'amour, au milieu de ses arbres farouches. Il y a eu une fille enfermée là dedans, et les murs ont conservé l'odeur de celte tendresse, comme les vieux coffrets où l'on a serré des bouquets de violettes. C'est cette odeur-là, je le jurerais, qui monte à la tête d'Adeline et qui la grise. Puis, quand elle a bu ce parfum de vieil amour, quand elle est grise, elle partirait sur un rayon de lune visiter le pays des contes, elle se laisserait baiser au front par tous les chevaliers de passage qui voudraient bien l'éveiller de son rêve de cent ans.

      Des langueurs la prennent, elle porte des petits bancs dans le bois pour s'asseoir. Mais, par les jours de grandes chaleurs, son soulagement est d'aller se baigner, la nuit, dans le bassin, sous les hauts feuillages. C'est là sa retraite. Elle est la fille de la source. Les joncs ont des tendresses pour elle. L'Amour de plâtre lui sourit, quand elle laisse tomber ses jupes et qu'elle entre dans l'eau, avec la tranquillité de Diane confiante dans la solitude. Elle n'a que les nénufars pour ceinture, sachant que les poissons eux-mêmes dorment d'un sommeil discret. Elle nage doucement, ses épaules blanches hors de l'eau, et l'on dirait un cygne gonflant les ailes, filant sans bruit. La fraîcheur calme ses anxiétés. Elle serait parfaitement tranquille, sans l'Amour manchot qui lui sourit.

      Une nuit, elle est allée au fond de la grotte, malgré la peur horrible de cette ombre humide; elle s'est dressée sur la pointe des pieds, mettant l'oreille aux lèvres de l'Amour, pour savoir s'il ne lui dirait rien.

III

      Ce qu'il y a d'affreux, cette saison, c'est que la pauvre Adeline, en arrivant au Château, a trouvé, installé dans la plus belle chambre, le comte Octave de R… ce grand jeune homme, son ennemi mortel. Il paraît qu'il est quelque peu le petit cousin de la vieille madame de M… Adeline a juré qu'elle le délogerait. Elle a bravement défait ses malles, et elle a repris ses courses, ses fouilles éternelles. Octave, pendant huit jours, l'a tranquillement regardée de sa fenêtre, en fumant des cigares. Le soir, plus de paroles aiguës, plus de guerre sourde. Il était d'une telle politesse, qu'elle a fini par le trouver assommant, et qu'elle ne s'est plus occupée de lui. Lui, fumait toujours; elle, battait le parc et prenait ses bains.

      C'était vers minuit qu'elle descendait à la nappe d'eau, quand tout le monde dormait. Elle s'assurait surtout si le comte Octave avait bien soufflé sa bougie. Alors, à petits pas, elle s'en allait, comme à un rendez-vous d'amour, avec des désirs tout sensuels pour l'eau froide. Elle avait un petit frisson de peur exquis, depuis qu'elle savait un homme au Château. S'il ouvrait une fenêtre, s'il apercevait un coin de son épaule à travers les feuilles! Rien que cette pensée la faisait grelotter, quand elle sortait ruisselante de la nappe, et qu'un rayon de lune blanchissait sa nudité de statue.

      Une nuit, elle descendit vers onze heures. Le Château dormait depuis deux grandes heures. Cette nuit-là, elle se sentait des hardiesses particulières. Elle avait écouté à la porte du comte, et elle croyait l'avoir entendu ronfler. Fi! un homme qui ronfle! Cela lui avait donné un grand mépris pour les hommes, un grand désir des caresses fraîches de l'eau, dont le sommeil est si doux. Elle s'attarda sous les arbres, prenant plaisir à détacher ses vêtements un à un. Il faisait très-sombre, la lune se levait à peine; et le corps blanc de la chère enfant ne mettait sur la rive qu'une blancheur vague de jeune bouleau. Des souffles chauds venaient du ciel, qui passaient sur ses épaules avec des baisers tièdes. Elle était très à l'aise, un peu languissante, un peu étouffée par la chaleur, mais pleine d'une nonchalance heureuse qui lui faisait, sur le bord, tâter la source du pied.

      Cependant, la lune tournait, éclairait déjà un coin de la nappe. Alors, Adeline, épouvantée, aperçut sur cette nappe une tête qui la regardait, dans ce coin éclairé. Elle se laissa glisser, se mit de l'eau jusqu'au menton, croisa les bras comme pour ramener sur sa poitrine tous les voiles tremblants du bassin, et demanda d'une voix frémissante:

      – Qui est là?.. Que faites-vous là?

      – C'est moi, madame, répondit tranquillement le comte Octave…

      N'ayez pas peur, je prends un bain.

IV

      Il se fit un silence formidable. Il n'y avait plus, sur la nappe d'eau, que les ondulations qui s'élargissaient lentement autour des épaules d'Adeline et qui allaient mourir sur la poitrine du comte, avec un clapotement léger. Celui-ci, tranquillement, leva les bras, fit le geste de prendre une branche de saule pour sortir de l'eau.

      – Restez, je vous l'ordonne, cria Adeline d'une voix terrifiée…

      Rentrez dans l'eau, rentrez dans l'eau bien vite!

      – Mais, madame, répondit-il en rentrant dans l'eau jusqu'au cou, c'est qu'il y a plus d'une heure que je suis là.

      – Ça ne fait rien, monsieur, je ne veux pas que vous sortiez, vous comprenez… Nous attendrons.

      Elle perdait la tête, la pauvre baronne. Elle parlait d'attendre, sans trop savoir, l'imagination détraquée par les éventualités terribles qui la menaçaient. Octave eut un sourire.

      – Mais, hasarda-t-il, il me semble qu'en tournant le dos…

      – Non, non, monsieur! Vous ne voyez donc pas la lune!

      Il était de fait que la lune avait marché et qu'elle éclairait en plein le bassin. C'était une lune superbe. Le bassin luisait, pareil à un miroir d'argent, au milieu du noir des feuilles; les joncs, les nénufars des bords, faisaient sur l'eau des ombres finement dessinées, comme lavées au pinceau, avec de l'encre de Chine. Une pluie chaude d'étoiles tombait dans le bassin par l'étroite ouverture des feuillages. Le filet d'eau coulait derrière Adeline, d'une voix plus basse et comme moqueuse. Elle hasarda un coup d'oeil dans la grotte, elle vit l'Amour de plâtre qui lui souriait d'un air d'intelligence.

      – La lune, certainement, murmura le comte, pourtant en tournant le dos…

      – Non, non, mille fois non. Nous attendrons que la lune ne soit plus là… Vous voyez, elle marche. Quand elle aura atteint cet arbre, nous serons dans l'ombre…

      – C'est qu'il y en a pour une bonne heure, avant qu'elle soit derrière cet arbre!

      – Oh! trois quarts d'heure au plus… Ça ne fait rien. Nous attendrons… Quand la lune sera derrière l'arbre, vous pourrez vous en aller.

      Le comte voulut protester; mais, comme il faisait des gestes en parlant, et qu'il se découvrait jusqu'à la ceinture, elle poussa de petits cris de détresse si aigus, qu'il dut, par politesse, rentrer dans le bassin jusqu'au menton. Il eut la délicatesse de ne plus remuer. Alors, ils restèrent tous les deux là, en tête-à-tête, on peut le dire. Les deux têtes, cette adorable tête blonde de la baronne, avec les grands yeux que tu sais, et cette tête fine du comte, aux moustaches un peu ironiques, demeurèrent bien sagement immobiles, sur l'eau dormante, à une toise au plus l'une de l'autre. L'Amour de plâtre, sous la draperie de lierre, riait plus fort.

V

      Adeline


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