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La Conquête de Plassans. Emile ZolaЧитать онлайн книгу.

La Conquête de Plassans - Emile Zola


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répondit tranquillement l'abbé Faujas; celle-ci est encore convenable, je crois.

      – Sans doute, sans doute, balbutia le vieux prêtre. Il fait un froid très-vif. Vous ne mettez rien sur vos épaules?.. Alors partons.

      On était aux premières gelées. L'abbé Bourrette, chaudement enveloppé dans une douillette de soie, s'essouffla à suivre l'abbé Faujas, qui n'avait sur les épaules que sa mince soutane usée. Ils s'arrêtèrent au coin de la place de la Sous-Préfecture et de la rue de la Banne, devant une maison toute de pierres blanches, une des belles bâtisses de la ville neuve, avec des rosaces sculptées à chaque étage. Un domestique en habit bleu les reçut dans le vestibule; il sourit à l'abbé Bourrette en lui enlevant la douillette, et parut très-surpris à la vue de l'autre abbé, de ce grand diable taillé à coups de hache, sorti sans manteau par un froid pareil. Le salon était au premier étage.

      L'abbé Faujas entra, la tête haute, avec une aisance grave; tandis que l'abbé Bourrette, très ému lorsqu'il venait chez les Rougon, bien qu'il ne manquât pas une de leurs soirées, se tirait d'affaire en s'échappant dans une pièce voisine. Lui, traversa lentement tout le salon pour aller saluer la maîtresse de la maison, qu'il avait devinée au milieu d'un groupe de cinq ou six dames. Il dut se présenter lui-même; il le fit en trois paroles. Félicité s'était levée vivement. Elle l'examinait des pieds à la tête, d'un oeil prompt, revenant au visage, lui fouillant les yeux de son regard de fouine, tout en murmurant avec un sourire:

      – Je suis charmée, monsieur l'abbé, je suis vraiment charmée…

      Cependant le passage du prêtre, au milieu du salon, avait causé un étonnement. Une jeune femme, ayant levé brusquement la tête, eut même un geste contenu de terreur, en apercevant cette masse noire devant elle. L'impression fut défavorable: il était trop grand, trop carré des épaules; il avait la face trop dure, les mains trop grosses. Sous la lumière crue du lustre, sa soutane apparut si lamentable, que les dames eurent une sorte de honte, à voir un abbé si mal vêtu. Elles ramenèrent leurs éventails, elles se remirent à chuchoter, en affectant de tourner le dos. Les hommes avaient échangé des coups d'oeil, avec une moue significative.

      Félicité sentit le peu de bienveillance de cet accueil. Elle en sembla irritée; elle resta debout au milieu du salon, haussant le ton, forçant ses invités à entendre les compliments qu'elle adressait à l'abbé Faujas. – Ce cher Bourrette, disait-elle avec des cajoleries dans la voix, m'a conté le mal qu'il avait eu à vous décider… Je vous en garde rancune, monsieur. Vous n'avez pas le droit de vous dérober ainsi au monde.

      Le prêtre s'inclinait sans répondre. La vieille dame continua en riant, avec une intention particulière dans certains mots:

      – Je vous connais plus que vous ne croyez, malgré vos soins à nous cacher vos vertus. On m'a parlé de vous; vous êtes un saint, et je veux être votre amie… Nous causerons de tout ceci, n'est-ce pas? car maintenant vous êtes des nôtres.

      L'abbé Faujas la regarda fixement, comme s'il avait reconnu dans la façon dont elle manoeuvrait son éventail quelque signe maçonnique. Il répondit en baissant la voix:

      – Madame, je suis à votre entière disposition.

      – C'est bien ainsi que je l'entends, reprit-elle en riant plus haut. Vous verrez que nous voulons ici le bien de tout le monde… Mais venez, je vous présenterai à monsieur Rougon.

      Elle traversa le salon, dérangea plusieurs personnes pour ouvrir un chemin à l'abbé Faujas, lui donna une importance qui acheva de mettre contre lui toutes les personnes présentes. Dans la pièce voisine, des tables de whist étaient dressées. Elle alla droit à son mari, qui jouait avec la mine grave d'un diplomate. Il fit un geste d'impatience, lorsqu'elle se pencha à son oreille; mais, dès qu'elle lui eut dit quelques mots, il se leva avec vivacité.

      – Très-bien! très-bien! murmura-t-il.

      Et, s'étant excusé auprès de ses partenaires, il vint serrer la main de l'abbé Faujas. Rougon était alors un gros homme blême, de soixante-dix ans; il avait pris une mine solennelle de millionnaire. On trouvait généralement, à Plassans, qu'il avait une belle tête, une tête blanche et muette de personnage politique. Après avoir échangé avec le prêtre quelques politesses, il reprit sa place à la table de jeu. Félicité, toujours souriante, venait de rentrer dans le salon.

      Quand l'abbé Faujas fut enfin seul, il ne parut pas embarrassé le moins du monde. Il resta un instant debout, à regarder les joueurs; en réalité, il examinait les tentures, le tapis, le meuble. C'était un petit salon couleur bois, avec trois corps de bibliothèque en poirier noirci, ornés de baguettes de cuivre, qui occupaient les trois grands panneaux de la pièce. On eût dit le cabinet d'un magistrat. Le prêtre, qui tenait sans doute à faire une inspection complète, traversade nouveau le grand salon. Il était vert, très-sérieux également, mais plus chargé de dorures, tenant à la fois de la gravité administrative d'un ministère et du luxe tapageur d'un grand restaurant. De l'autre côté, se trouvait encore une sorte de boudoir, où Félicité recevait dans la journée; un boudoir paille, avec un meuble brodé de ramages violets, si encombré de fauteuils, de pouffs, de canapés, qu'on pouvait à peine y circuler.

      L'abbé Faujas s'assit au coin de la cheminée, faisant mine de se chauffer les pieds. Il était placé de façon à voir, par une porte grande ouverte, une bonne moitié du salon vert. L'accueil si gracieux de madame Rougon le préoccupait; il fermait les yeux à demi, s'appliquant à quelque problème dont la solution lui échappait. Au bout d'un instant, dans sa rêverie, il entendit derrière lui un bruit de voix; son fauteuil, à dossier énorme, le cachait entièrement, et il baissa les paupières davantage. Il écouta, comme ensommeillé par la forte chaleur du feu.

      – Je suis allé une seule fois chez eux, dans ce temps-là, continuait une voix grasse; ils demeuraient en face, de l'autre côté de la rue de la Banne. Vous deviez être à Paris, car tout Plassans a connu le salon jaune des Rougon, à cette époque: un salon lamentable, avec du papier citron à quinze sous le rouleau, et un meuble recouvert de velours d'Utrecht, dont les fauteuils boitaient… Regardez-la donc maintenant, cette noiraude, en satin marron, là-bas, sur ce pouff. Voyez comme elle tend la main au petit Delangre. Ma parole! elle va la lui donner à baiser.

      Une voix plus jeune ricana, en murmurant:

      – Ils ont dû joliment voler pour avoir un si beau salon vert, car vous savez que c'est le plus beau salon de la ville.

      – La dame, reprit l'autre, a toujours eu la passion de recevoir. Quand elle n'avait pas le sou, elle buvait de l'eau, pour offrir le soir des verres de limonade à ses invités… Oh! je les connais sur le bout du doigt, les Rougon; je les ai suivis. Ce sont des gens très-forts. Ils avaient une rage d'appétits à jouer du couteau au coin d'un bois. Le coup d'État les a aidés à satisfaire un rêve de jouissances qui les torturait depuis quarante ans. Aussi quelle gloutonnerie, quelle indigestion de bonnes choses!.. Tenez, cette maison qu'ils habitent aujourd'hui, appartenait alors à un monsieur Peirotte, receveur particulier, qui fut tué à l'affaire de Sainte-Roure, lors de l'insurrection de 51. Oui, ma foi! ils ont eu toutes les chances: une balle égarée les a débarrassés de cet homme gênant, dont ils ont hérité… Eh bien! entre la maison et la charge du receveur, Félicite aurait certainement choisi la maison. Elle la couvait des yeux depuis près de dix ans, prise d'une envie furieuse de femme grosse, se rendant malade à regarder les rideaux riches qui pendaient derrière les glaces des fenêtres. C'étaient ses Tuileries, à elle, selon le mot qui courut à Plassans, après le 2 Décembre.

      – Mais où ont-ils pris l'argent pour acheter la maison?

      – Ah! ceci, mon brave, c'est la bouteille à l'encre… Leur fils Eugène, celui qui a fait à Paris une fortune politique si étonnante, député, ministre, conseiller familier des Tuileries, obtint facilement une recette particulière et la croix pour son père, qui avait joué ici une bien jolie farce. Quant à la maison, elle aura été payée à l'aide d'arrangements. Ils auront emprunté à quelque banquier… En tous cas, aujourd'hui, ils sont riches, ils tripotent, ils rattrapent le temps perdu. J'imagine que leur fils est resté en correspondance avec eux, car ils n'ont pas encore


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