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Contes à Ninon. Emile ZolaЧитать онлайн книгу.

Contes à Ninon - Emile Zola


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ont si peu de soin!

      – N'a-t-il pas dansé avec toi? interrompit le carnet.

      – Qui donc? demanda Georgette, en rougissant si fort que ses épaules devinrent toutes roses.

      Et, prononçant enfin un nom qu'elle avait depuis un quart d'heure sous les yeux, et que son coeur épelait, tandis que ses lèvres parlaient de robe déchirée:

      – M. Edmond, dit-elle, m'a paru triste, hier soir. Je le voyais de loin me regarder. Comme il n'osait approcher, je me suis levée, je suis allée à lui. Il a bien été forcé de m'inviter.

      – J'aime beaucoup M. Edmond, soupira le petit livre.

      Georgette fit mine de ne pas entendre. Elle continua:

      – En dansant, j'ai senti sa main trembler sur ma taillé. Il a bégayé quelques mois, se plaignant de la chaleur. Moi, voyant que les rosés de mon bouquet lui faisaient envie, je lui en ai donné une. Il n'y a pas de mal à cela.

      – Oh! non! Puis, en prenant la fleur, ses lèvres, par un singulier hasard, se sont trouvées près de tes doigts. Il les a baisés un petit peu.

      – Il n'y a pas de mal à cela, répéta Georgette qui depuis un instant se tourmentait fort sur le lit.

      – Oh! non! J'ai à te gronder vraiment de lui avoir tant fait attendre ce pauvre baiser. Edmond ferait un charmant petit mari.

      L'enfant, de plus en plus troublée, ne s'aperçut pas que son fichu était tombé et que l'un de ses pieds avait rejeté la couverture.

      – Un charmant petit mari, répéta-t-elle de nouveau.

      – Moi, je l'aime bien, reprit le tentateur. Si j'étais à ta place, vois-tu, je lui rendrais volontiers son baiser.

      Georgette fut scandalisée. Le bon apôtre continua:

      – Rien qu'un baiser, là, doucement sur son nom. Je ne le lui dirai pas.

      La jeune fille jura ses grands dieux qu'elle n'en ferait rien. Et, je ne sais comment, la page se trouva sous ses lèvres. Elle n'en sut rien elle-même. Tout en protestant, elle baisa le nom à deux reprises.

      Alors, elle aperçut son pied, qui riait dans un rayon de soleil. Confuse, elle ramenait la couverture, quand elle acheva de perdre la tête en entendant crier la clef dans la serrure.

      Le carnet de danse se glissa parmi les dentelles et disparut en toute hâte sous l'oreiller.

      C'était la chambrière.

      CELLE QUI M'AIME

I

      Celle qui m'aime est-elle grande dame, toute de soie, de dentelles et de bijoux, rêvant à nos amours, sur le sofa d'un boudoir? marquise ou duchesse, mignonne et légère comme un rêve, traînant languissamment sur les tapis les flots de ses jupes blanches et faisant une petite moue plus douce qu'un sourire?

      Celle qui m'aime est-elle grisette pimpante, trottant menu, se troussant pour sauter les ruisseaux, quêtant d'un regard l'éloge de sa jambe fine? Est-elle la bonne fille qui boit dans tous les verres, vêtue de satin aujourd'hui, d'indienne grossière demain, trouvant dans les trésors de son coeur un brin d'amour pour chacun?

      Celle qui m'aime est-elle l'enfant blonde s'agenouillant pour prier au côté de sa mère? la vierge folle m'appelant le soir dans l'ombre des ruelles? Est-elle la brune paysanne qui me regarde au passage et qui emporte mon souvenir au milieu des blés et des vignes mûres? la pauvresse qui me remercie de mon aumône? la femme d'un autre, amant ou mari, que j'ai suivie un jour et que je n'ai plus revue?

      Celle qui m'aime est-elle fille d'Europe, blanche comme l'aube? fille d'Asie, au teint jaune et doré comme un coucher de soleil? ou fille du désert, noire comme une nuit d'orage?

      Celle qui m'aime est-elle séparée de moi par une mince cloison? est-elle au delà des mers? est-elle au delà des étoiles?

      Celle qui m'aime est-elle encore à naître? est-elle morte il y a cent ans?

II

      Hier, je l'ai cherchée sur un champ de foire. Il y avait fête au faubourg, et le peuple endimanché montait bruyamment par les rues.

      On venait d'allumer les lampions. L'avenue, de distance en distance, était ornée de poteaux jaunes et bleus, garnis de petits pots de couleur, où brûlaient des mèches fumeuses que le vent effarait. Dans les arbres, vacillaient des lanternes vénitiennes. Des baraques en toile bordaient les trottoirs, laissant traîner dans le ruisseau les franges de leurs rideaux rouges. Les faïences dorées, les bonbons fraîchement peints, le clinquant des étalages, miroitaient à la lumière crue des quinquets.

      Il y avait dans l'air une odeur de poussière, de pain d'épices et de gaufres à la graisse. Les orgues chantaient; les paillasses enfarinés riaient et pleuraient sous une grêle de soufflets et de coups de pied. Une nuée chaude pesait sur cette joie.

      Au-dessus de cette nuée, au-dessus de ces bruits, s'élargissait un ciel d'été, aux profondeurs pures et mélancoliques. Un ange venait d'illuminer l'azur pour quelque fête divine, fête souverainement calme de l'infini.

      Perdu dans la foule, je sentais la solitude de mon coeur. J'allais, suivant du regard les jeunes filles qui me souriaient au passage, me disant que je ne reverrais plus ces sourires. Cette pensée de tant de lèvres amoureuses, entrevues un instant et perdues à jamais, était une angoisse pour mon âme.

      J'arrivai ainsi à un carrefour, au milieu de l'avenue. A gauche, appuyée contre un orme, se dressait une baraque isolée. Sur le devant, quelques planches mal jointes formaient estrade, et deux lanternes éclairaient la porte, qui n'était autre chose qu'un pan de toile relevé en façon de rideau. Comme je m'arrêtais, un homme portant un costume de magicien, grande robe noire et chapeau en pointe semé d'étoiles, haranguait la foule du haut des planches.

      – Entrez, criait-il, entrez, mes beaux messieurs, entrez, mes belles demoiselles! J'arrive en toute hâte du fond de l'Inde pour réjouir les jeunes coeurs. C'est là que j'ai conquis, au péril de ma vie, le Miroir d'amour, que gardait un horrible Dragon. Mes beaux messieurs, mes belles demoiselles, je vous apporte la réalisation de vos rêves. Entrez, entrez voir Celle qui vous aime! Pour deux sous Celle qui vous aime!

      Une vieille femme, vêtue en bayadère, souleva le pan de toile. Elle promena sur la foule un regard hébété; puis, d'une voix épaisse:

      – Pour deux sous, cria-t-elle, pour deux sous Celle qui vous aime!

      Entrez voir Celle qui vous aime!

III

      Le magicien battit une fantaisie entraînante sur la grosse caisse. La bayadère se pendit à une cloche et accompagna.

      Le peuple hésitait. Un âne savant jouant aux cartes offre un vif intérêt; un hercule soulevant des poids de cent livres est un spectacle dont on ne saurait se lasser; on ne peut nier non plus qu'une géante demi-nue ne soit faite pour distraire agréablement tous les âges. Mais voir Celle qui vous aime, voilà bien la chose dont on se soucie le moins, et qui ne promet pas la plus légère émotion.

      Moi, j'avais écouté avec ferveur l'appel de l'homme à la grande robe. Ses promesses répondaient au désir de mon coeur; je voyais une Providence dans le hasard qui venait de diriger mes pas. Ce misérable grandit singulièrement à mes yeux, de tout l'étonnement que j'éprouvais à l'entendre lire mes secrètes pensées. Il me sembla le voir fixer sur moi des regards flamboyants, battant la grosse caisse avec une furie diabolique, me criant d'entrer d'une voix plus haute que celle de la cloche.

      Je posais le pied sur la première planche, lorsque je me sentis arrêté. M'étant tourné, je vis au pied de l'estrade un homme me retenant par mon vêtement. Cet homme était grand et maigre; il avait de larges mains couvertes de gants de fil plus larges encore, et portait un chapeau devenu rouge, un habit noir blanchi aux coudes, et de déplorables culottes de Casimir, jaunes de graisse et de boue. Il se plia en deux, dans une longue et exquise révérence, puis, d'une voix flûtée, me tint ce discours:

      – Je suis fâché, monsieur, qu'un jeune homme bien élevé donne un mauvais exemple à la foule. C'est une grande légèreté


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