Aristophane; Traduction nouvelle, tome premier. АристофанЧитать онлайн книгу.
CHŒUR
Tu vas tuer ce camarade, un ami des charbonniers!
Tout à l'heure, quand je parlais, vous ne m'avez pas écouté.
Eh bien, parle à présent, si bon te semble, de Lakédæmôn et de ce que tu aimes le mieux. Jamais je n'abandonnerai ce petit panier.
Maintenant, commencez par jeter vos pierres à terre.
Les voilà à terre; et toi, à ton tour, dépose ton épée.
Mais faites que dans vos manteaux il n'y ait pas quelque part des pierres.
Elles ont été secouées par terre. Ne vois-tu pas nos manteaux secoués? Allons, plus de prétexte; dépose ton arme. Le secouement s'est opéré pendant notre évolution chorale.
Vous alliez tous pousser de beaux cris, et peu s'en est fallu que ces charbons du Parnès ne périssent, et cela par la folie de leurs compatriotes. La peur a fait chier sur moi à ce panier une poussière noire comme de la sépia. C'est terrible pour des hommes d'avoir dans l'âme une humeur de verjus, qui porte à battre et à crier, sans vouloir écouter raisonnablement les raisons que j'allègue, quand je veux, sur le billot même, dire tout ce que j'ai à dire au sujet des Lakédæmoniens, et cependant j'aime ma vie, moi.
Pourquoi donc alors ne fais-tu pas placer un billot devant la porte, pour nous dire, misérable, la chose à laquelle tu attaches tant d'importance? Car j'ai grande envie de connaître tes pensées. Mais selon le mode de justice que tu as fixé, fais placer ici le billot, et prends la parole.
Eh bien, voyez: voilà le billot, et voici l'orateur, moi pauvre homme. Assurément, par Zeus! je ne me couvrirai pas d'un bouclier, mais je dirai sur les Lakédæmoniens ce qui me paraît bon. Cependant j'ai bien des craintes. Je connais l'humeur de nos campagnards, qui se gaudissent quand quelque hâbleur fait l'éloge, juste ou non, d'eux et de la ville. Et ils ne s'aperçoivent pas qu'on les a vendus. Je connais aussi l'âme des vieillards, qui ne voient pas autre chose que de mordre le monde avec leur vote. Je sais ce que j'ai eu à souffrir de Kléôn pour ma comédie de l'année dernière. Il m'a traîné devant le Conseil, me criblant de calomnies, m'étourdissant de ses mensonges, de ses cris, se déchaînant comme un torrent, fondant en déluge, à ce point que j'ai failli périr noyé dans un tas d'infamies. Et maintenant, avant que je prenne la parole, laissez-moi endosser le costume du plus misérable des êtres.
Pourquoi ce tissu de détours, d'artifices et de retards? Emprunte-moi à Hiéronymos un casque de Hadès, aux poils sombres et hérissés; puis déploie les ruses de Sisyphos; car ce débat ne comportera pas de délai.
Voici le moment où il faut que je prenne une âme résolue. Allons tout de suite trouver Euripidès. Esclave! Esclave!
Qui est là?
Euripidès est-il chez lui?
Il n'y est pas et il y est, si tu n'es pas dépourvu de sens.
Comment y est-il et n'y est-il pas?
Tout simplement, vieillard: son esprit, courant dehors après des vers, n'y est pas, mais lui-même est chez lui, juché en l'air, composant une tragédie.
O trois fois heureux Euripidès, d'avoir un esclave qui répond si sagement! Mais toi, appelle ton maître.
C'est impossible.
Mais cependant je ne puis m'en aller. Je vais frapper à la porte. Euripidès! mon petit Euripidès! Écoute-moi, si jamais tu l'as fait pour quelqu'un. C'est Dikæopolis qui t'appelle, du dême de Khollide, moi.
Je n'ai pas le temps.
Hé bien, fais-toi rouler.
Impossible.
Mais pourtant.
Allons! qu'on me roule! Je n'ai pas le temps de descendre.
Euripidès!
Qu'est-ce que tu chantes?
Tu composes juché en l'air, quand tu peux être en bas. Il n'est pas étonnant que tu crées des boiteux. Et pourquoi as-tu ces haillons tragiques, ces vêtements pitoyables? Il n'est pas étonnant que tu crées des mendiants. Mais, je t'en prie à genoux, Euripidès, donne-moi les haillons de quelque vieux drame. J'ai à débiter au Chœur un long discours, qui me vaudra la mort, si je parle mal.
Quelles guenilles veux-tu? Celles que portait, dans son rôle, Œneus, cet infortuné vieillard?
Non; pas celles d'Œneus, mais d'un plus malheureux encore.
De Phœnix l'aveugle?
Non, pas de Phœnix, non, mais il y en avait un autre plus malheureux que Phœnix.
Mais quelles sont les loques d'habits dont parle cet homme? Parles-tu de celles du mendiant Philoktétès?
Non, d'un autre, beaucoup, beaucoup plus mendiant.
Sont-ce les vêtements crasseux que portait le boiteux Bellérophôn?
Pas Bellérophôn. Mon homme était boiteux, mendiant, bavard, disert.
Je sais, le Mysien Téléphos.
Oui, Téléphos: donne-moi, je t'en prie, ses haillons.
Esclave, donne-moi les guenilles de Téléphos. Elles traînent au-dessus des loques de Thyestès, mêlées à celles d'Ino.
Les voici, prends.
O Zeus, dont l'œil voit et pénètre partout, laisse-moi me vêtir comme le plus misérable des êtres. Euripidès, puisque tu m'as accordé ceci, donne-moi, comme complément de ces guenilles, le petit bonnet qui coiffait le Mysien. Il me faut aujourd'hui avoir l'air d'un mendiant, être ce que je suis, mais ne pas le paraître. Les spectateurs sauront que je suis moi, mais les khoreutes seront assez bêtes pour être dupes de mon verbiage.
Je te le donnerai, car ta subtilité machine des finesses.
«Sois heureux, et qu'il arrive à Téléphos ce que je souhaite. » Très bien! Comme je suis bourré de sentences! Mais il me faut un bâton de mendiant.
Prends, et éloigne-toi de ces portiques.
O mon âme, tu vois comme on me chasse de ces demeures, quand j'ai encore besoin d'un tas d'accessoires. Sois donc pressante, quémandeuse, suppliante. Euripidès, donne-moi une corbeille avec une lampe allumée.
Mais, malheureux, qu'as-tu besoin de ce tissu d'osier?
Je n'en ai pas besoin, mais je veux tout de même l'avoir.
Tu deviens importun: va-t'en de ma maison.
Hélas! Sois heureux comme autrefois ta mère!
Va-t'en, maintenant.
Ah! donne-moi seulement une petite écuelle à la lèvre ébréchée.
Prends,