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Le fils du Soleil. Gustave AimardЧитать онлайн книгу.

Le fils du Soleil - Gustave Aimard


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des efforts surhumains pour ne pas crier. Les danses, accompagnées de chant, recommencèrent, et les vieilles femmes tapaient sur leurs tambours à tour de bras. Sanchez, plein de compassion pour l'innocente victime de la superstition des Indiens, eut envie de voler à son secours.

      Cependant, le matchi, les joues gonflées, s'échauffait peu à peu; ses yeux s'injectaient de sang, il sembla possédé du démon et devint tout-à-fait furieux; il se démenait et se tordait comme un épileptique. Dès lors la danse s'arrêta, et Metipan, d'un coup de machete, ouvrit les flancs du poulain, en arracha le coeur tout palpitant encore et le donna au sorcier, que en suça le sang et s'en servit pour faire une croix sur le front de la jeune fille. Celle-ci, en proie à un effroi inexprimable, tremblait de tous ses membres.

      L'orage, qui se promettait menaçant dans les nues, éclata enfin. Un éclair blafard sillonna le ciel, le tonnerre courait avec des roulements terribles, et une rafale de vent tourbillonna sur la plaine et balaya les toldos, dont elle dispersa au loin les débris.

      Les Indiens s'arrêtèrent, consternés par l'orage.

      Tout à coup une voix formidable, qui paraissait sortir de l'arbre de Gualichu, jeta ces mots sinistres:

      –-Retirez-vous, Indiens! ma colère est déchaînée contre vous. Laissez ici cette misérable esclave blanche en expiation de vos crimes. Fuyez! et malheur à ceux qui détourneront la tête! malheur! malheur!

      Un éclair livide et un violent coup de tonnerre servirent de péroraison à ce discours.

      –-Fuyons!… s'écria le matchi terrifié et prêt à croire à son Dieu.

      Mais, profitant de cette intervention inattendue pour affermir son propre pouvoir, il continua:

      –-Fuyons, mes frères!… Gualichu a parlé à son serviteur, malheur à ceux qui résisteront à ses ordres!

      Les Indiens n'avaient pas besoin de cette recommandation de leur sorcier: une terreur superstitieuse leur donnait des ailes; ils se précipitèrent en tumulte du côté de leurs chevaux, et bientôt le désert retentit de leur course folle. Les alentours de l'arbre de Gualichu furent abandonnés. Seule, la jeune fille la poitrine encore découverte, gisait évanouie sur le sol.

      Lorsque tout fut calme dans la Pampa, lorsque le bruit du galop des chevaux se fut perdu dans le lointain, Sanchez avança doucement la tête hors de l'arbre, scruta de l'oeil les profondeurs noires de la nuit, et, rassuré par le silence, il s'élança vers la jeune fille. Pâle comme un beau lis abattu par la tempête, les yeux fermés, la pauvre enfant ne respirait plus. Le bombero la souleva dans ses bras nerveux et la transporta tout près de l'arbre sur un amas de peaux d'un toldo renversé. Il la posa avec précaution sur cette couche moins dure; sa tête se pencha insensible sur son épaule.

      Groupe étrange, au milieu de cette plaine dévastée, troublée par la foudre et illuminée d'éclairs! Tableau touchant! cette jeune et charmante créature et ce rude coureur des bois!

      La douleur et la pitié étaient peintes sur le visage de Sanchez. Lui, dont la vie n'avait été qu'un long drame, qui n'avait nulle croyance dans le coeur, qui ignorait les doux sentiments et les secrètes sympathies, lui, le bombero, le tueur d'indiens, il était ému et sentait quelque chose de nouveau se remuer dans ses entrailles. Deux grosses larmes coulèrent sur ses joues bronzées.

      –-Serait-elle morte, ô mon Dieu?

      Le nom de Dieu, qui ne lui servait qu'à blasphémer, il le prononça presque avec respect. C'était une sorte de prière, un cri de son coeur. Cet homme croyait.

      –-Comment la secourir! se demandait-il.

      L'eau qui tombait par torrents finit par ranimer la jeune fille, que, entr'ouvrant les yeux, murmura d'une voix éteinte:

      –-Où suis-je? que s'est-il donc passé?

      –-Elle parle, elle vit, elle est sauvée! s'écria Sanchez.

      –-Qui est là? reprit-elle en se relevant à peine.

      A la vue du sombre visage du bombero, elle eut un mouvement d'effroi, referma les yeux et retomba accablée.

      –-Rassurez-vous, mon enfant, je suis votre ami.

      –-Mon ami? que signifie ce mot? Y a-t-il des amis pour les esclaves? Oh! oui, continua-t-elle, parlant comme dans un rêve, j'ai bien souffert. Pourtant, autrefois, il y a longtemps bien longtemps, je me souviens d'avoir été heureuse, hélas! mais la pire infortune, c'est un souvenir de bonheur dans l'infortune.

      Elle se tut. Le bombero, comme suspendu à ses lèvres, écoutait et la contemplais. Cette voix, ces traits!… Un vague soupçon entra dans le coeur de Sanchez.

      –-Oh! parlez, parlez encore, reprit-il en adoucissant la rudesse de sa voix. Que vous rappelez-vous de vos jeunes années?

      –-Pourquoi, dans le malheur, songer aux joies passées. A quoi bon! ajouta-t-elle en secouant la tête avec découragement. Mon histoire est celle de tous les infortunés. Il fut un temps où, comme les autres enfants, j'avais des chants d'oiseaux pour bercer mon sommeil, des fleurs qui, au réveil me souriaient, j'avais aussi une mère qui m'aimait, qui m'embrassait, qui m'embrassait… Tout cela a fui pour toujours.

      Sanchez avait relevé deux perches couvertes de peaux pour la mieux abriter contre l'orage, qui s'apaisait par degrés.

      –-Vous êtes bon, vous; vous m'avez sauvée. Cependant, votre bonté a été cruelle: que ne me laissiez-vous mourir! Mort, on ne souffre plus. Les Pehuenches vont revenir, et alors…

      Elle n'acheva pas et se cacha la tête dans ses mains en sanglotant.

      –-Ne craignez rien, senorita; je vous défendrai.

      –-Pauvre homme! seul contre tous! Mais, avant ma dernière heure, écoutez, je veux soulager mon coeur. Un jour, je jouais sur les genoux de ma mère; mon père était auprès de nous avec mes deux soeurs et mes quatre frères, homme résolus qui n'en auraient pas redouté vingt. Eh bien! les Pehuenches sont accourus, ils ont brûlé notre estancia, car mon père était fermier; ils ont tué ma mère et…

      –-Maria! Maria! s'écria le bombero, est-ce bien toi? Est-ce toi que je retrouve?

      –-C'est le nom que me donnait ma mère.

      –-C'est moi, moi, Sanchez, Sanchito, ton frère! fit le bombero rugissant presque de joie et la serrant contre sa poitrine.

      –-Sanchito! mon frère! Oui, oui, je me souviens, Sanchito! je suis…

      Elle tomba inanimée entre les bras du bombero.

      –-Misérable que je suis! je l'ai tuée. Maria! ma soeur chérie, reviens à toi ou je meurs!

      La jeune fille rouvrit les yeux et se jeta au cou du bombero en pleurant de joie.

      –-Sanchito! mon bon frère! ne me quitte pas, défends-moi; ils me tueraient.

      –-Pauvrette, ils passeront sur mon corps avant d'arriver à toi.

      –-Ils y passeront donc, exclama une voix railleuse derrière la tente.

      Deux hommes parurent, Pincheira et Neham-Outah. Sanchez tenant enlacée dans son bras gauche sa soeur demi-morte de frayeur, s'adossa contre un des pieux, tira son machete et se mit résolument en défense.

      Neham-Outah et Pincheira, trop éclairés pour être dupes de la voix mystérieuse de Gualichu et se laisser à la panique générale, avaient toutefois fui avec leurs compagnons; mais sans être vus, ils avaient tourné bride d'un commun accord, curieux de connaître le mot de cette énigme et l'auteur de cette mystification. Il avaient assisté derrière le frère et la soeur à toute la conversation.

      –-Mais, dit Pincheira en riant, vous vous portez assez bien pour un mort, il me semble? Il parait canario! qu'il faut vous tuer deux fois pour être sûr que vous n'en reviendrez pas. Soyez tranquille, si mon ami vous a manqué je ne vous manquerai pas, moi.

      –-Que me voulez-vous? répondit Sanchez. Livrez-moi passage.

      –-Non pas, reprit Pincheira, ce serait d'un trop fâcheux exemple. Et tenez, ajouta-t-il en prêtant


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