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Correspondance, 1812-1876. Tome 3. Жорж СандЧитать онлайн книгу.

Correspondance, 1812-1876. Tome 3 - Жорж Санд


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riche et le désespoir du pauvre. Je crains un état de guerre qui n'est pas encore dans les esprits, mais qui peut passer dans les faits, si la classe régnante n'entre pas dans une voie franchement démocratique et sincèrement fraternelle. Alors, je vous le déclare, il y aura une grande confusion et de grands malheurs, car le peuple n'est pas mûr pour se gouverner seul. Il y a dans son sein de puissantes individualités, des intelligences à la hauteur de toutes les situations; mais elles lui sont inconnues, elles n'exercent pas sur lui le prestige dont le peuple a besoin pour aimer et croire. Il n'a point confiance en ses propres éléments, il vient de le prouver dans les élections de toute la France; il croit trouver des lumières au-dessus de lui, il aime les grands noms, les célébrités, quelles qu'elles soient.

      Il chercherait donc encore ses sauveurs parmi les bourgeois prétendus démocrates, socialistes ou autres, et il serait encore trompé; car, sauf quelques exceptions peut-être, il n'existe point en France un partie démocratique éclairé suffisamment pour exercer une dictature de salut public. S'en remettrait-il à la sagesse ou à l'inspiration d'un seul? Ce serait reculer et faire abstraction de tout le progrès de l'humanité depuis vingt ans.

      Nul homme ne sera supérieur à un principe, et le principe qui doit donner la vie aux sociétés nouvelles, c'est le suffrage universel, c'est la souveraineté de tous. Ce n'est donc qu'avec le concours de tous, avec la bourgeoisie réactionnaire, comme avec la bourgeoisie démocratique, comme avec les socialistes, que le peuple doit se gouverner. Il lui faut, pour s'éclairer, la lutte pacifique et légale de tous ces éléments divers.

      Qu'une majorité démocratique et sociale se dessine dans le sein de notre Assemblée, et nous sommes sauvés avec le temps; mais, que ce soit une majorité définitivement réactionnaire et marchant à son but, la dissolution de l'ordre social commence, l'insolente chimère d'une république oligarchique s'évanouit dans une crise extrême, et le hasard s'empare pour longtemps des destinées de la France.

      Voilà ce qu'il n'est point permis de dire en France, à l'heure qu'il est sans s'attirer la haine des partis. La réaction appelle cette prévoyance un appel à la guerre civile. Le parti modéré sourit d'un air capable et méprise souverainement toute autre solution que celle qu'il prétend avoir et qu'il n'a point. Chaque coterie philosophico-politique a son homme, son fétiche qui pourrait sauver la République à lui tout seul et dont il n'est point permis de douter. Chaque ambitieux satisfait devient optimiste à l'instant même; l'ambitieux mécontent déclare que la République est perdue, faute de son concours.

      Au milieu de ces tiraillements de l'intérêt personnel, la foi au principe s'efface ou du moins l'intelligence de ce principe s'amoindrit dans les esprits. Toutes les frayeurs, comme tous les appétits de pouvoir, convergent vers le même but, le respect de la représentation nationale, l'appel jaloux à son omnipotence. Mais ce n'est point un respect sincère, ce n'est point une foi sérieuse. Cette Assemblée, qui représente bien un principe, n'est pas un principe en action. C'est quelque chose de creux comme une formule; c'est l'image de quelque chose qui devrait être; chaque nuance de l'opinion trouve là quelques noms propres qu'elle préconise; mais tout bas chacun se dit: «Excepté Pierre, Jacques et Jean, tous ces représentants ne représentent rien.»

      Le nom propre est l'ennemi du principe, et pourtant il n'y a que le nom propre qui émeuve le peuple. Il cherche qui le représentera, lui, l'éternel représenté, et il cherche, dans les individualités extrêmes, ceux-ci M. Thiers, ceux-là M. Cabet, d'autres Louis Bonaparte, d'autres Victor Hugo, produit bizarre et monstrueux du vote, et qui prouve combien peu le peuple sait où il va et ce qu'il veut.

      La question est pourtant facile à éclairer pour le peuple: «Être ou ne pas être;» mais il ignore les moyens. On a suscité, pour l'éblouir et lui donner le vertige, le grand fantôme du mensonge politique, et, quand je dis le mensonge, c'est faire trop d'honneur à l'élément bizarre et ridicule qui fait mouvoir l'opinion de la France en ce moment. Nous avons un mot trivial que vous traduirez par quelque équivalent dans votre langue: c'est le canard politique. Tous les matins, une histoire merveilleuse, absurde, ignoble le plus souvent, part de je ne sais quels cloaques de Paris et fait le tour de la France, agitant les populations sur son passage, leur annonçant un sauveur nouveau, ou un ogre prêt à les dévorer, les livrant à de folles espérances ou à de sottes frayeurs, et se personnifiant, par une mystérieuse solidarité, dans les individus qui plaisent ou déplaisent aux diverses localités. Ce peuple intelligent mais crédule et impressionnable, on travaille ainsi à l'abrutir; mais, comme ce n'est pas facile, on ne réussit qu'à l'exalter et à le rendre fou. Aussi nulle part il n'est tranquille, nulle part il ne comprend. Ici, il crie: «À bas la République! et vive l'égalité!» Ailleurs: «À bas l'égalité! et vive la République!».

      D'où peut sortir la lumière, au milieu d'un tel conflit d'idées fausses et de formules menteuses? De belles et nobles lois peuvent seules expliquer à la foule que la République est non pas la propriété de telle ou telle classe, de telle ou telle personne, mais la doctrine du salut de tous.

      Qui fera ces lois? Une Assemblée vraiment nationale. La nôtre malheureusement subit toutes les préventions et cède à toutes les influences qui font la perte des monarchies.

      Vous voyez, ami, combien il est difficile à une société de se transformer sans combat et sans violence. Et pourtant notre idéal, à nous autres, c'était d'arriver à cette transformation sans discorde civile, sans cette guerre impie des citoyens d'une même nation les uns contre les autres. Je vous confesse que, la royauté mise de côté, après ce court et glorieux élan du peuple de Paris, qu'on ne peut pas appeler un combat, mais qui fut bien plutôt une manifestation puissante où quelques citoyens se sont offerts à Dieu et à la France comme une hécatombe sacrée, mon âme ne s'était pas cuirassée au point d'envisager sans horreur l'idée de la guerre sociale. Je ne la croyais pas possible, et elle ne l'est point, en effet, de la part de ce peuple magnanime où les idées sociales out assez pénétré pour le rendre éminemment pacifique et généreux. Bourgeoisie aveugle et ingrate, qui ne voit point que ces idées l'ont sauvée en février et qui essaye de tourner contre les socialistes une rage factice, excitée par elle dans le sein du peuple! Caste insensée, téméraire comme une royauté expirante, qui joue sa dernière partie, qui cherche son appui, comme les monarques d'hier, dans la force matérielle, et qui, depuis trois mois, travaille à sa propre perte avec une ardeur déplorable!

      D'un bout de la France à l'autre, cette caste se donne le mot d'ordre et ne craint pas de jeter un cri de mort contre ceux qu'elle appelle des factieux, sans songer que ce même peuple, qu'elle provoque contre lui-même, peut perdre en un jour le fruit d'une civilisation morale acquise depuis vingt ans, et redevenir, sous le coup de la peur, du soupçon et de la colère, le peuple terrible à tous, le peuple de 93, qui fut la gloire farouche de son temps et qui serait la honte sanglante de la cause nouvelle!

      Espérons encore que notre peuple sera plus fort et plus grand que les passions funestes qu'on s'efforce de réveiller en lui. Espérons qu'il restera sourd à ces agents provocateurs qui veulent l'agiter à leur profit et qui s'imaginent qu'après l'avoir déchaîné contre nous, il ne se retournerait pas contre eux le lendemain. Il ne tient pas à la bourgeoisie réactionnaire que le peuple de France n'agisse comme les lazzaroni de Naples.

      Mais ce complot impie échouera, Dieu interviendra et peut-être la caste des riches ouvrira-t-elle aussi les yeux. Nous, les amis de l'humanité, nous ne voulons pas que les riches soient punis, nous disons après Jésus: «Qu'ils se convertissent et qu'ils vivent!»

      Prions pour qu'il en soit ainsi. Ah! qu'ils nous connaissent mal, ceux qui nous croient leurs ennemis et leurs juges implacables! Comment ne savent-ils pas qu'on ne peut pas aimer le peuple sans haïr le mal que commettrait le peuple! comment ne voient-ils pas que l'oeuvre qu'ils accomplissent, en cherchant à rendre le peuple brutal et sanguinaire, nous est mille fois plus douloureuse que tout le mal qu'ils pourraient nous faire à nous-mêmes! Nous aimons le peuple comme notre enfant; nous l'aimons comme on aime ce qui est malheureux, faible, trompé et sacrifié; comme on aime ce qui est jeune, ignorant, pur encore, et portant en soi le germe d'un avenir idéal. Nous l'aimons comme on aime la victime innocente, disputée à la fatalité éternelle; comme on aime le Christ sur la croix, comme on aime l'espérance, comme on aime l'idée de la justice, comme


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