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Tu Sens Battre Mon Coeur ?. Andrea Calo'Читать онлайн книгу.

Tu Sens Battre Mon Coeur ? - Andrea Calo'


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réponse, aucune interaction avec moi. Je l’avais trouvée sur un étal d’occasions, en vente pour quelques dollars. Elle était cassée mais le vendeur m’avait assurée que ce serait facile à arranger. Je l’avais achetée, pas totalement convaincue d’avoir fait une bonne affaire, et un ami m’avait proposé de me la réparer gratuitement. Il s’appelait Ryan. Ce garçon fut le seul homme capable de m’offrir un peu d’amitié saine et inconditionnelle, celle dont j’avais désespérément besoin, dont je n’avais jamais eu la chance de profiter de toute ma vie. Sous plusieurs aspects, je restais plutôt renfermée avec lui mais, tandis que les autres se sentaient dans l’obligation de sonder mes faiblesses, lui les respectait. Ryan ne me demanda jamais rien qui concerne mon passé, il ne jugea jamais le bon ou le mauvais de ma conduite et des quelques choix que j’avais faits depuis que j’avais commencé à vivre comme une femme libre. Il comprenait quand j’avais envie de parler parce que je déversais tout comme un fleuve en crue et il se laissait submerger. Il acceptait ma fragilité, exprimée par mes silences, quand je préférais rester seule à contempler une feuille de salade posée sur la table de la cuisine. Quand il voyait arriver un de ces moments récurrents, il me faisait un salut militaire et s’éloignait de moi d’un pas martial, sans parler, fermant doucement la porte derrière lui. Il me faisait rire, me faisait me sentir bien. Comme je n’avais jamais ri et comme je ne m’étais jamais sentie dans ma vie. J’éprouvais quelque chose pour lui, un sentiment étrange que je ne pouvais reconnaître, sans nom. Quand un jour, nous étions sur le point de nous embrasser, je l’ai repoussé avec force. J’avais eu peur. Je n’ai pas compris de quoi à l’époque mais je savais que c’était de la peur pure. Mais mon geste ne l’a pas ébranlé et il a continué à se comporter de la même façon avec moi. Un jour, il m’a dit que sa famille déménageait à cause du travail de son père et de certains problèmes qu’il devrait affronter. Il ne m’a jamais dit où il allait vivre, pour une question de sécurité. Nous devions donc nous éloigner l’un de l’autre quelques temps et je ne pourrais le joindre en aucune façon. Mais je n’avais rien à craindre car il me chercherait, nous resterions en contact et il me donnerait signe de vie dès que les choses se seraient calmées.

      « Je te le promets Melanie. Donne-moi ta main, pose-la ici et écoute. Tu sens battre mon cœur ? » ont été les derniers mots qu’il a prononcés tandis qu’il posait ma main sur sa poitrine, avant son dernier salut militaire, la dernière marche qui annonçait son départ. Je n’ai pas répondu à ses mots avec les miens, que j’aurais pourtant voulu dire, mais qui s’étaient bloqués dans ma gorge, nouée par les larmes, sans plus pouvoir respirer.

      À travers cette radio, qui me rappelait sa présence dans ma vie, je subissais passivement les émissions, les actualités, les bulletins météo, les chansons des Beatles, d’Hendrix, d’Armstrong et des Rolling Stones. Depuis quelques années, un petit jeune avait fait son entrée sur la scène musicale. Il s’appelait Elvis Presley, un joli cœur qui affolait les filles quand il chantait en faisant des mouvements de hanches lors de ses prestations. Les jeunes ne se souciaient pas d’utiliser une bonne partie de leur salaire pour acheter ses disques ou assister à ses concerts animés, rêvant peut-être de se jeter dans le vide et d’être récupérées au vol par ses bras puissants. La fièvre pour ce beau garçon de Memphis m’avait atteinte aussi. J’avais trouvé un de ses disques dans un magasin et l’avais acheté même si je n’avais pas de tourne-disque à la maison. Je l’avais laissé bien en vue pendant des mois, à prendre la poussière. Je l’adorais en silence, il m’arrivait de m’arrêter plusieurs minutes pour le regarder et chaque fois que je recevais mon salaire, l’envie me prenait d’acheter un tourne-disque pour pouvoir enfin l’écouter. Pour les filles de vingt-huit ans, comme moi, Elvis était le sujet qui monopolisait les conversations entre collègues, les pauses déjeuner, chaque moment de la journée. Il faisait un bon parti à tous points de vue. Mes collègues, “les autres” comme je les appelais souvent, décrivaient avec force détails les pensées érotiques qu’elles nourrissaient pour lui. Certaines avouaient qu’elles n’auraient aucun scrupule à quitter mari et enfants si le “beau garçon” leur avait donné le moindre espoir. Je ne comprenais pas vraiment ces discours, je n’étais pas capable de mesurer la force de la source d’énergie qui les alimentait. Mais quand on parlait de sexe, j’éprouvais une sensation de malaise brut, je sentais l’aversion naître et grandir en moi, dans mes entrailles, me prenant en tenaille comme deux mains serrées autour de mon cou pour m’étouffer. Le sexe me rappelait l’ogre, la souffrance, la douleur et toutes les humiliations que j’avais dû subir, le goût du sperme d’un homme mauvais répandu sans contrôle sur mon jeune ventre, sur ma peau innocente qui n’aurait dû connaître que la pureté et la pudeur, mon sang et celui de ma mère versé chaque jour sur les draps blancs d’un lit toujours défait. Mon entourage s’est aperçu que quelque chose n’allait pas. Certaines ont choisi de ne pas s’en mêler, une autre l’a fait, sous le prétexte fallacieux de m’offrir son aide précieuse.

      « Rien, pourquoi tu me poses la question ?

      — Comme ça. Tu es très bizarre.

      — Je suis comme ça, on ne peut rien y faire, je répondis en ouvrant les bras, signe que je m’étais résignée au destin de ma vie.

      — Tu préfères les femmes ?

      — Pardon ?

      — Je t’ai demandé si tu préfères les femmes, si tu les aimes.

      — Les femmes ? Ne dis pas de bêtises, enfin !

      — Pendant toutes ces années, tu ne nous as jamais raconté une expérience sexuelle avec un homme, alors qu’on l’a toutes fait. Ok, peut-être que tu n’en as pas encore eue mais tu voudrais peut-être, et tu pourrais comparer avec nous. Et qu’est-ce que tu fais ? Tu te renfermes dans ta coquille comme une huître ! »

      Comment lui dire que ma “première fois” était à l’âge de cinq ans avec mon père ? On m’avait dit que ce serait un jeu. Comment la convaincre que ce jeu pensé pour moi et qui consistait en réalité en une exploration éhontée de mon intimité ne m’avait pas plu du tout parce que, à cet âge, j’aurais préféré jouer avec des poupées comme toutes les petites filles ? Comment lui crier en plein visage que si je n’avais pas joué avec lui, il aurait contraint ma mère à se soumettre aux mêmes pratiques, au même jeu, mais avec d’autres règles bien plus sévères, adaptées aux adultes ?

      « C’est une conversation que ne je n’ai pas envie d’avoir, sans raison particulière. Peut-être que je ne suis pas encore prête ou peut-être que je ne le serai jamais. C’est comme ça, point.

      — Ok Mel, comme tu veux. On se retrouve ce soir pour une soirée pyjama. Tu te joins à nous ?

      — Il y aura des hommes ?

      — Non.

      — On parlera de sexe ?

      — Aucune idée, mais je crains que oui.

      — Alors non, merci. Je n’aurais rien à dire et je serais un poids pour vous toutes. »

      Quand je suis rentrée ce soir-là, j’ai pris le disque d’Elvis et l’ai jeté à la poubelle.

      J’ai entendu la sonnette une fois, puis une seconde, avant que je n’atteigne la porte.

      « J’arrive ! » j’ai crié d’une voix forte.

      Quand j’ai ouvert, je me suis retrouvée face à un policier. Il pleuvait à verse. Son uniforme était trempé bien qu’il soit descendu de sa voiture garée à seulement quelques pas de la porte de la maison. Un de ses collègues était encore assis à la place du conducteur et regardait vers nous, le corps tendu vers l’avant et les yeux tournés vers le haut pour mieux encadrer la scène à travers la vitre.

      « Bonsoir, monsieur l’agent, je dis surprise.

      — Bonsoir. Vous êtes mademoiselle Melanie Warren ?

      — Oui, monsieur l’agent. Qu’est-ce qu’il se passe ? »

      J’avais peur et mon


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