Contes Français. Divers AuteursЧитать онлайн книгу.
[5] noir se détachait. Je m'approchai: c'était une main, une
main d'homme. Non pas une main de squelette, blanche
et propre, mais une main noire desséchée, avec les ongles
jaunes, les muscles à nu et des traces de sang ancien, de
sang pareil à une crasse, sur les os coupés net, comme
[10] d'un coup de hache, vers le milieu de l'avant-bras.
Autour du poignet, une énorme chaine de fer, rivée,
soudée à ce membre malpropre, l'attachait au mur par
un anneau assez fort pour tenir un éléphant en laisse.
Je demandai:
[15]--Qu'est-ce que cela?
L'Anglais répondit tranquillement:
--C'été ma meilleur ennemi. Il vené d'Amérique. Il
avé été fendu avec le sabre et arraché la peau avec une
caillou coupante, et séché dans le soleil pendant huit
[20] jours. Aoh, très bonne pour moi, cette.
Je touchai ce débris humain qui avait dû appartenir
à un colosse. Les doigts, démesurément longs, étaient
attachés par des tendons énormes que retenaient des
lanières de peau par places. Cette main était affreuse à
[25] voir, écorchée ainsi, elle faisait penser naturellement à
quelque vengeance de sauvage.
Je dis:
--Cet homme devait être très fort.
L'Anglais prononça avec douceur:
[30]--Aoh yes; mais je été plus fort que lui. J'avé mis
cette chaine pour le tenir.
Je crus qu'il plaisantait. Je dis:
--Cette chaine maintenant est bien inutile, la main ne
se sauvera pas.
Sir John Rowell reprit gravement:
--Elle voulé toujours s'en aller. Cette chaine été
[5] nécessaire.
D'un coup d'oeil rapide j'interrogeai son visage, me
demandant:
--Est-ce un fou, ou un mauvais plaisant?
Mais la figure demeurait impénétrable, tranquille et
[10] bienveillante. Je parlai d'autre chose et j'admirai les
fusils.
Je remarquai cependant que trois revolvers chargés
étaient posés sur les meubles, comme si cet homme eût
vécu dans la crainte constante d'une attaque. Je revins
[15] plusieurs fois chez lui. Puis je n'y allai plus. On s'était
accoutumé à sa présence; il était devenu indifférent à tous.
Une année entière s'écoula. Or un matin, vers la fin de
novembre, mon domestique me réveilla en m'annonçant
que sir John Rowell avait été assassiné dans la nuit.
[20] Une demi-heure plus tard, je pénétrais dans la maison
de l'Anglais avec le commissaire central et le capitaine
de gendarmerie. Le valet, éperdu et désespéré, pleurait
devant la porte. Je soupçonnai d'abord cet homme, mais
il était innocent.
[25] On ne put jamais trouver le coupable.
En entrant dans le salon de sir John, j'aperçus du premier
coup d'oeil le cadavre étendu sur le dos, au milieu
de la pièce.
Le gilet était déchiré, une manche arrachée pendait,
tout annonçait qu'une lutte terrible avait eu lieu.
L'Anglais était mort étranglé! Sa figure noire et gonflée,
effrayante, semblait exprimer une épouvante abominable;
il tenait entre ses dents serrées quelque chose; et
le cou, percé de cinq trous qu'on aurait dit faits avec des
[5] pointes de fer, était couvert de sang.
Un médecin nous rejoignit. Il examina longtemps les
traces des doigts dans la chair et prononça ces étranges
paroles:
--On dirait qu'il a été étranglé par un squelette.
[10] Un frisson me passa dans le dos, et je jetai les yeux
sur le mur, à la place où j'avais vu jadis l'horrible main
d'écorché. Elle n'y était plus. La chaine, brisée,
pendait.
Alors je me baissai vers le mort, et je trouvai dans
[15] sa bouche crispée un des doigts de cette main disparue,
coupé ou plutôt scié par les dents juste à la deuxième
phalange.
Puis on procéda aux constatations. On ne découvrit
rien. Aucune porte n'avait été forcée, aucune fenêtre,
[20] aucun meuble. Les deux chiens de garde ne s'étaient pas
réveillés.
Voici, en quelques mots, la déposition du domestique:
Depuis un mois, son maître semblait agité. Il avait reçu
beaucoup de lettres, brûlées à mesure.
[25] Souvent, prenant une cravache, dans une colère qui
semblait de la démence, il avait frappé avec fureur cette
main séchée, scellée au mur et enlevée, on ne sait comment,
à l'heure même du crime.
Il se couchait fort tard et s'enfermait avec soin. Il
[30] avait toujours des armes à portée du bras. Souvent, la
nuit, il parlait haut, comme s'il se fût querellé avec quelqu'un.
Cette nuit-là, par hasard, il n'avait fait aucun bruit, et
c'est seulement en venant ouvrir les fenêtres que le serviteur
avait trouvé sir John assassiné. Il ne soupçonnait
personne.
[5] Je communiquai ce que je savais du mort aux magistrats
et aux officiers de la force publique, et on fit dans toute
l'île une enquête minutieuse. On ne découvrit rien.
Or, une nuit, trois mois après le crime, j'eus un affreux
cauchemar. Il me sembla que je voyais la main, l'horrible
[10] main, courir comme un scorpion ou comme une araignée le
long de mes rideaux et de mes murs. Trois fois, je me réveillai,
trois fois je me rendormis, trois fois je revis le
hideux débris galoper autour