Contes Français. Divers AuteursЧитать онлайн книгу.
sans repos, appelant de
toute sa force le frêle marmot attendu. Des gamins
montaient sur les fossés; des gens apparaissaient aux
barrières; des filles de ferme restaient debout entre deux
seaux pleins de lait qu'elles posaient à terre pour regarder
le baptême.
Et la garde, triomphante, portait son fardeau vivant,
[5] évitait les flaques d'eau dans les chemins creux, entre les
talus plantés d'arbres. Et les vieux venaient avec cérémonie,
marchant un peu de travers, vu l'âge et les douleurs;
et les jeunes avaient envie de danser, et ils regardaient les
filles qui venaient les voir passer; et le père et la mère
[10] allaient gravement, plus sérieux, suivant cet enfant qui
les remplacerait, plus tard, dans la vie, qui continuerait
dans le pays leur nom, le nom des Dentu, bien connu par
le canton.
Ils débouchèrent dans la plaine et prirent à travers les
[15] champs pour éviter le long détour de la route.
On apercevait l'église maintenant, avec son clocher
pointu. Une ouverture le traversait juste au-dessous du
toit d'ardoises; et quelque chose, remuait là-dedans, allant
et venant d'un mouvement vif, passant et repassant
[20] derrière l'étroite fenêtre. C'était la cloche qui sonnait
toujours, criant au nouveau-né de venir, pour la première
fois, dans la maison du Bon Dieu.
Un chien s'était mis à suivre. On lui jetait des dragées,
il gambadait autour des gens.
[25] La porte de l'église était ouverte. Le prêtre, un grand
garçon à cheveux rouges, maigre et fort, un Dentu aussi,
lui, oncle du petit, encore un frère du père, attendait
devant l'autel. Et il baptisa suivant les rites son neveu
Prosper-César, qui se mit à pleurer en goûtant le sel
[30] symbolique.
Quand la cérémonie fut achevée, la famille demeura sur
le seuil pendant que l'abbé quittait son surplis; puis on se
remit en route. On allait vite maintenant, car on pensait
au diner. Toute la marmaille du pays suivait, et, chaque
fois qu'on lui jetait une poignée de bonbons, c'était une
mêlée furieuse, des luttes corps à corps, des cheveux arrachés;
[5] et le chien aussi se jetait dans le tas pour ramasser
les sucreries, tiré par la queue, par les oreilles, par les
pattes, mais plus obstiné que les gamins.
La garde un peu lasse, dit à l'abbé qui marchait auprès
d'elle:
[10]--Dites donc, m'sieu le curé, si ça ne vous opposait
pas de m'tenir un brin vot'neveu pendant que je m'dégourdirai.
J'ai quasiment une crampe dans les estomacs.
Le prêtre prit l'enfant, dont la robe blanche faisait une
grande tache éclatante sur la soutane noire, et il l'embrassa,
[15] gêné par ce léger fardeau, ne sachant comment le tenir,
comment le poser. Tout le monde se mit à rire. Une des
grand'mères demanda de loin:
--Ça ne t'fait-il point deuil, dis, l'abbé, qu'tu n'en
auras jamais comme ça?
[20] Le prêtre ne répondit pas. Il allait à grandes enjambées,
regardant fixement le moutard aux yeux bleus, dont
il avait envie d'embrasser encore les joues rondes. Il n'y
tint plus, et, le levant jusqu'à son visage, il le baisa
longuement.
[25] Le père cria:
--Dis donc, curé, si t'en veux un, t'as qu'à le dire.
Et on se mit à plaisanter, comme plaisantent les gens
des champs.
Dès qu'on fut assis à table, la lourde gaieté campagnarde
[30] éclata comme une tempête. Les deux autres fils allaient
aussi se marier; leurs fiancées étaient là, arrivées seulement
pour le repas; et les invités ne cessaient de lancer des
allusions à toutes les générations futures que promettaient
ces unions.
C'étaient des gros mots, fortement salés, qui faisaient
ricaner les filles rougissantes et se tordre les hommes. Ils
[5] tapaient du poing sur la table, poussaient des cris. Le
père et le grand-père ne tarissaient point en propos polissons.
La mère souriait; les vieilles prenaient leur part de
joie et lançaient aussi des gaillardises.
Le curé, habitué à ces débauches paysannes, restait tranquille,
[10] assis à côté de la garde, agaçant du doigt la petite
bouche de son neveu pour le faire rire. Il semblait surpris
par la vue de cet enfant, comme s'il n'en avait jamais
aperçu. Il le considérait avec une attention réfléchie,
avec une gravité songeuse, avec une tendresse inconnue,
[15] singulière, vive et un peu triste, pour ce petit être fragile
qui était le fils de son frère.
Il n'entendait rien, il ne voyait rien, il contemplait
l'enfant. Il avait envie de le prendre encore sur ses genoux,
car il gardait, sur sa poitrine et dans son coeur, la sensation
[20] douce de l'avoir porté tout à l'heure, en revenant de l'église.
Il restait ému devant cette larve d'homme comme devant
un mystère ineffable auquel il n'avait jamais pensé, un
mystère auguste et saint, l'incarnation d'une âme nouvelle,
le grand mystère de la vie qui commence, de l'amour
[25] qui s'éveille, de la race qui se continue, de l'humanité qui
marche toujours.
La garde mangeait, la face rouge, les yeux luisants, gênée
par le petit qui l'écartait de la table.
L'abbé lui dit:
[30]--Donnez-le-moi. Je n'ai pas faim.
Et il reprit l'enfant. Alors tout disparut autour de
lui, tout s'effaça: et il restait les yeux fixés sur