Ruy Blas: Drame. Victor HugoЧитать онлайн книгу.
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Victor Hugo
Ruy Blas: Drame
Publié par Good Press, 2020
EAN 4064066077020
Table des matières
PRÉFACE.
Trois espèces de spectateurs composent ce qu’on est convenu d’appeler le public: premièrement, les femmes; deuxièmement, les penseurs; troisièmement, la foule proprement dite. Ce que la foule demande presque exclusivement à l’œuvre dramatique, c’est de l’action; ce que les femmes y veulent avant tout, c’est de la passion; ce qu’y cherchent plus spécialement les penseurs, ce sont des caractères. Si l’on étudie attentivement ces trois classes de spectateurs, voici ce qu’on remarque: la foule est tellement amoureuse de l’action qu’au besoin elle fait bon marché des caractères et des passions[1]. Les femmes, que l’action intéresse d’ailleurs, sont si absorbées par les développements de la passion, qu’elles se préoccupent peu du dessin des caractères; quant aux penseurs, ils ont un tel goût de voir des caractères, c’est-à-dire, des hommes vivre sur la scène, que, tout en accueillant volontiers la passion comme incident naturel dans l’œuvre dramatique, ils en viennent presque à y être importunés par l’action. Cela tient à ce que la foule demande surtout au théâtre des sensations; la femme, des émotions; le penseur, des méditations: tous veulent un plaisir, mais ceux-ci, le plaisir des yeux; celles-là, le plaisir du cœur; les derniers, le plaisir de l’esprit. De là, sur notre scène, trois espèces d’œuvres bien distinctes, l’une vulgaire et inférieure, les deux autres illustres et supérieures, mais qui, toutes les trois, satisfont un besoin: le mélodrame pour la foule; pour les femmes, la tragédie qui analyse la passion; pour les penseurs, la comédie qui peint l’humanité.
[1] C’est-à-dire du style; car, si l’action peut, dans beaucoup de cas, s’exprimer par l’action même, les passions et les caractères, à très-peu d’exceptions près, ne s’expriment que par la parole. Or, la parole au théâtre, la parole fixée et non flottante, c’est le style.
Que le personnage parle comme il doit parler, sibi constet, dit Horace. Tout est là.
Disons-le en passant, nous ne prétendons rien établir ici de rigoureux, et nous prions le lecteur d’introduire de lui-même dans notre pensée les restrictions qu’elle peut contenir. Les généralités admettent toujours les exceptions; nous savons fort bien que la foule est une grande chose dans laquelle on trouve tout, l’instinct du beau comme le goût du médiocre; l’amour de l’idéal comme l’appétit du commun; nous savons également que tout penseur complet doit être femme par les côtés délicats du cœur; et nous n’ignorons pas que, grâce à cette loi mystérieuse qui lie les sexes l’un à l’autre aussi bien par l’esprit que par le corps, bien souvent dans une femme il y a un penseur. Ceci posé, et après avoir prié de nouveau le lecteur de ne pas attacher un sens trop absolu aux quelques mots qui nous restent à dire, nous reprenons.
Pour tout homme qui fixe un regard sérieux sur trois sortes de spectateurs dont nous venons de parler, il est évident qu’elles ont toutes les trois raison. Les