Ruy Blas: Drame. Victor HugoЧитать онлайн книгу.
étudié, à l’esprit grave et consciencieux qui l’examinerait, par exemple, du point de vue de la philosophie de l’histoire.
Mais, si peu qu’il soit, ce drame, comme toutes les choses de ce monde, a beaucoup d’autres aspects, et peut être envisagé de beaucoup d’autres manières. On peut prendre plusieurs vues d’une idée comme d’une montagne. Cela dépend du lieu où l’on se place. Qu’on nous passe, seulement pour rendre claire notre idée, une comparaison infiniment trop ambitieuse: le Mont-Blanc, vu de la Croix-de-Fléchères, ne ressemble pas au Mont-Blanc vu de Sallenches. Pourtant, c’est le Mont-Blanc.
De même, pour tomber d’une très-grande chose à une très-petite, ce drame, dont nous venons d’indiquer le sens historique, offrirait une tout autre figure si on le considérait d’un point de vue beaucoup plus élevé encore, du point de vue purement humain. Alors don Salluste serait l’égoïsme absolu, le souci sans repos; don César, son contraire, serait le désintéressement et l’insouciance; on verrait dans Ruy Blas le génie et la passion comprimés par la société et s’élançant d’autant plus haut que la compression est plus violente; la reine enfin, ce serait la vertu minée par l’ennui.
Au point de vue uniquement littéraire, l’aspect de cette pensée, telle quelle, intitulée: Ruy Blas, changerait encore. Les trois formes souveraines de l’art pourraient y paraître personnifiées et résumées. Don Salluste serait le Drame, don César la Comédie, Ruy Blas la Tragédie. Le drame noue l’action; la comédie l’embrouille, la tragédie la tranche.
Tous ces aspects sont justes et vrais, mais aucun d’eux n’est complet. La vérité absolue n’est que dans l’ensemble de l’œuvre. Que chacun y trouve ce qu’il y cherche, et le poëte, qui ne s’en flatte pas du reste, aura atteint son but. Le sujet philosophique de Ruy Blas, c’est le peuple aspirant aux régions élevées; le sujet humain, c’est un homme qui aime une femme; le sujet dramatique, c’est un laquais qui aime une reine. La foule qui se presse chaque soir devant cette œuvre, parce qu’en France jamais l’attention publique n’a fait défaut aux tentatives de l’esprit, quelles qu’elles soient d’ailleurs, la foule, disons-nous, ne voit dans Ruy Blas que ce dernier sujet, le sujet dramatique, le laquais; et elle a raison.
Et ce que nous venons de dire de Ruy Blas nous semble évident de tout autre ouvrage. Les œuvres vénérables des maîtres ont même cela de remarquable qu’elles offrent plus de faces à étudier que les autres. Tartufe fait rire ceux-ci et trembler ceux-là. Tartufe, c’est le serpent domestique; ou bien c’est l’hypocrite; ou bien c’est l’hypocrisie. C’est tantôt un homme, tantôt une idée. Othello, pour les uns, c’est un noir qui aime une blanche; pour les autres, c’est un parvenu qui a épousé une patricienne; pour ceux là, c’est un jaloux; pour ceux-ci, c’est la jalousie. Et cette diversité d’aspects n’ôte rien à l’unité fondamentale de la composition. Nous l’avons déjà dit ailleurs: mille rameaux et un tronc unique.
Si l’auteur de ce livre a particulièrement insisté sur la signification historique de Ruy Blas, c’est que dans sa pensée, par le sens historique, et, il est vrai, par le sens historique uniquement, Ruy Blas se rattache à Hernani. Le grand fait de la noblesse se montre, dans Hernani comme dans Ruy Blas, à côté du grand fait de la royauté. Seulement, dans Hernani, comme la royauté absolue n’est pas faite, la noblesse lutte encore contre le roi, ici avec l’orgueil, là avec l’épée; à demi féodale, à demi rebelle. En 1519, le seigneur vit loin de la cour dans la montagne, en bandit comme Hernani, ou en patriarche comme Ruy Gomez. Deux cents ans plus tard, la question est retournée. Les vassaux sont devenus des courtisans. Et, si le seigneur sent encore d’aventure le besoin de cacher son nom, ce n’est pas pour échapper au roi, c’est pour échapper à ses créanciers. Il ne se fait pas bandit, il se fait bohémien.—On sent que la royauté absolue a passé pendant longues années sur ces nobles têtes, courbant l’une, brisant l’autre.
Et puis, qu’on nous permette ce dernier mot, entre Hernani et Ruy Blas deux siècles de l’Espagne sont encadrés; deux grands siècles, pendant lesquels il a été donné à la descendance de Charles-Quint de dominer le monde; deux siècles que la Providence, chose remarquable, n’a pas voulu allonger d’une heure, car Charles-Quint naît en 1500 et Charles II meurt en 1700. En 1700, Louis XIV héritait de Charles-Quint, comme en 1800 Napoléon héritait de Louis XIV. Ces grandes apparitions de dynasties, qui illuminent par moments l’histoire, sont pour l’auteur un beau et mélancolique spectacle sur lequel ses yeux se fixent souvent. Il essaye parfois d’en transporter quelque chose dans ses œuvres. Ainsi, il a voulu remplir Hernani du rayonnement d’une aurore et couvrir Ruy Blas des ténèbres d’un crépuscule. Dans Hernani, le soleil de la maison d’Autriche se lève; dans Ruy Blas, il se couche.
Paris, 25 novembre 1838.
RUY BLAS.
PERSONNAGES. | ACTEURS. |
---|---|
RUY BLAS. | M. Frédérick-Lemaître. |
DON SALLUSTE DE BAZAN. | M. Alexandre Mauzin. |
DON CÉSAR DE BAZAN. | M. Saint-Firmin. |
DON GURITAN. | M. Féréol. |
LE COMTE DE CAMPOREAL. | M. Montdidier. |
LE MARQUIS DE SANTA-CRUZ. | M. Hiellard. |
LE MARQUIS DEL BASTO. | M. Fresne. |
LE COMTE D’ALBE. | M. Gustave. |
LE MARQUIS DE PRIEGO. | M. Amable. |
DON MANUEL ARIAS. | M. Hector. |
MONTAZGO. | M. Julien. |
DON ANTONIO UBILLA. | M. Felgines. |
COVADENGA. | M. Victor. |
GUDIEL. | M. Alfred. |
UN LAQUAIS. | M. Henry. |
UN ALCADE. | M. Beaulieu. |
UN HUISSIER. | M. Zelger. |
UN ALGUAZIL. | M. Adrien. |
DOÑA MARIA DE NEUBOURG, REINE D’ESPAGNE. | Mme L. Beaudouin. |
LA DUCHESSE D’ALBUQUERQUE. | Mme Moutin. |
CASILDA. | Mme Mareuil. |
UNE DUÈGNE. | Mme Louis. |
UN PAGE. | Mme Courtois. |
DAMES, SEIGNEURS, CONSEILLERS PRIVÉS, PAGES, DUÈGNES, ALGUAZILS, GARDES, HUISSIERS DE CHAMBRE ET DE COUR. |
Madrid. — 169...
ACTE PREMIER.
DON SALLUSTE.
PERSONNAGES.
RUY BLAS.
DON SALLUSTE DE BAZAN.
DON CÉSAR DE BAZAN.
LE MARQUIS DEL BASTO.
LE