Dictionnaire raisonné des onomatopées françaises. Charles NodierЧитать онлайн книгу.
et le fracas des rocs qui s'écroulent.
L'extension des sons radicaux qui expriment une chose bruyante à des sensations d'un autre ordre, n'est pas plus difficile à comprendre. Parmi les sensations de l'homme, il n'y en a qu'un certain nombre qui soient propres au sens de l'ouïe, mais comme c'est à ce sens que s'adresse la parole, et que c'est par lui qu'elle transmet le signe de l'objet qui nous frappe, toutes les expressions paraissent formées pour lui. Des sons ne peuvent exprimer par eux-mêmes les sensations de la vue, du goût, du tact et de l'odorat, mais ces sensations peuvent se comparer jusqu'à un certain point avec celle de l'ouïe, et se rendre manifestes par leur secours. Ces comparaisons n'ont rien d'ailleurs qui ne soit naturel et facile. C'est à elles que toutes les langues doivent les figures et tout concourt à prouver que le langage de l'homme primitif était très-figuré.
Quand on dit qu'une couleur est éclatante, par exemple, on n'entend point par là qu'une couleur puisse produire sur l'organe auditif la sensation d'un bruit violent, comme celui dont la racine du mot éclatant est l'expression; mais bien que cette couleur produit sur l'organe visuel une sensation vive et forte comme celle à laquelle on la compare.
L'impression que font éprouver à l'organe du goût les substances acres, âpres ou aigres, n'est accompagnée d'aucun bruit qui reproduise à l'oreille la racine de ces mots qualificatifs; mais elle rappelle à l'organe de l'ouïe les impressions qui ont agi sur lui d'une manière analogue. Si on était porté à croire que ces idées sont forcées, et que l'esprit ne fait pas aisément les comparaisons de sensations, il suffirait de jeter un coup-d'œil sur les poésies primitives qui en sont remplies, ou de donner un instant à la conversation d'un homme ingénieux et simple. Le langage des enfans abonde en figures de cette espèce, et au défaut du terme propre, ils emploient souvent le signe d'une sensation étrangère pour représenter la leur. Les femmes qui ont la sensibilité plus délicate, et qui saisissent plus vîte les rapprochemens les plus fins, en font aussi un grand usage. Enfin, on peut dire que les sens se servent si nécessairement les uns les autres, que sans les emprunts qu'ils se font, on ne pourrait guère peindre qu'imparfaitement les effets qui leur sont propres, et qu'il n'y a rien qui en rende la perception plus exacte et plus profonde.
Indépendamment des mots formés par imitation, il y a dans les langues un très-grand nombre de mots qui sans avoir la même origine n'en sont pas moins composés très-naturellement, et doivent être rapportés à la même figure, c'est-à-dire, à l'Onomatopée, littéralement, fiction de nom.
Par exemple, chaque touche vocale étant appropriée à deux ou trois sons particuliers, on ne s'étonnera pas que le nom de ces touches ait été construit sur les sons auxquels elles étaient affectées. C'est ce que j'appellerais langue mécanique. Ainsi, la lettre labiale B a désigné initialement dès le commencement des langues l'organe qui la forme.
Les lettres dentales D et P ont caractérisé les dents.
Les lettres gutturales G et K expriment universellement l'idée de gorge et de gosier.
La nazale N indique le nez.
La lettre L a été consacrée à la langue, parce qu'elle est le plus liquide des sons que la langue forme, et que la langue, pour la prononcer, ne faisant qu'agir contre la voûte du palais, en paraît d'abord la seule touche et le seul agent.
Qui ne voit quelles immenses générations, cette petite quantité de mots a pu fournir, et jusqu'à quel point leurs dérivations ont dû s'étendre dans les langues?
Ensuite, en considérant, avec tous les philosophes qui ont analysé la parole, les sons simples ou vocaux comme la première langue de l'homme, et en passant de là aux sons compliqués, ou consonnans, qui ont dû se succéder suivant le degré de facilité de leur prononciation, nous verrons les langues s'enrichir d'une immense famille d'expressions également naturelles, et c'est ce que j'appelle la langue puérile, parce qu'elle se retrouve toute entière dans le premier langage des enfans.
Le desir, la haine, l'épouvante, le plaisir, toutes les passions que peut éprouver l'homme si voisin de son berceau, ne se manifestent d'abord que par une émission de sons simples, de cris ou de vagissemens. C'est sa langue vocale.
Il invente de nouvelles lettres à mesure que ses organes se développent, et qu'il commence à juger de leurs rapports et de leurs actions réciproques. Il apprend l'emploi des touches de la parole. C'est sa langue consonnante ou articulée.
Mais comme il ne s'en instruit que lentement, et dans un ordre successif, en allant du plus simple au plus composé, les sons dont l'artifice est le plus facile sont les premiers qu'il saisisse, et par conséquent les premiers qu'il attache à ses idées. Telles sont les lettres labiales.
Aussi observe-t-on que ces lettres sont les caractéristiques de toutes les idées essentiellement premières qu'admet l'esprit des enfans. C'est par elles qu'ils désignent presque toutes les choses qui les touchent immédiatement, comme le bien et le mal physique, les rapports de parenté les plus prochains, le boire, le manger, l'action même de parler, etc.
Parcourez les peuples de l'univers, anciens et modernes, dit M. de Brosse; vous verrez que dans tous les siècles et dans toutes les contrées, on employe la lettre de lèvre, ou à son défaut la lettre de dent, ou toutes les deux ensemble, dans la construction des mots enfantins qui représentent ceux de père et de mère.
Le Chananéen, continue-t-il, l'Hébreu, le Syriaque, l'Arabe, et autres dérivés de l'Assyrien et du Phénicien, que nous n'avons plus, disent aB, aBBa, aVa, aBoh, aBou;
Le Grec, le Latin, l'Italien, l'Espagnol, le Français: PaTer, PaDre, Père;
L'Istrien, le Catalan, le Portugais, le Gascon: Pari, Para, Pae, Paire;
Le Tudesque, le Francisque, l'Anglo-Saxon, le Belgique, le Flamand, le Frison, le Rhunique, le Scandinave, l'Écossais, l'Anglais, l'Allemand, le Persan, et autres qui paraissent dérivés du Scythe: FaDer, FaTer, VaTTer, VaDer, PaDer, Payer, Peer, Feer, FoeDor, FaDiir, FaTher, FaTTer, etc.
L'Arcadien, FaVor;
Le Malabare, PiTaVe;
Le Chingulais de l'île Ceylan, PiTa;
L'Ethiopien, l'Abyssin, le Mélindien des Côtes d'Afrique, et autres qui paraissent dérivés de l'Arabe: aBi, aBBa, aBa, BaBa;
Le Turc, BaBa;
Le Moresque, aBBé;
Le Sarde, BaBu;
L'ancien Rhoetique, PaPa;
Le Hongrois, aPa;
Le Malais de l'Inde et du Bengale, BaPPa;
Le Balie des Siamois, Poo;
Le Mogol, BaaB;
Le Tangut, haPa;
Le Thibet, Fa;
Le Hottentot, Bo;
Les Chinois, l'Annamitique du Tunquin, Fu, Phu;
Le Tartare, BaBa;
Le Mantcheou, aMa;
Le Tunguz, aMin;
Le Georgien et l'Ibérien, MaMa;
Le Caraïbe, BaBa;
Le Groënlandais, uBia;
Le Galibis, BaBa;
Le Sauvage de la rivière des Amazônes, PaPe;
Le Kalmouck, aBega;
Le Samoïède, aBaM;
Le Moluquois, BaPa;
Le Tamoul, BiTa, ViDa;