Эротические рассказы

L'Argent. Emile ZolaЧитать онлайн книгу.

L'Argent - Emile Zola


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qu'une pensée, se tenir debout à son rang, marier sa fille à un homme d'égale noblesse, faire de son fils un soldat. Ferdinand lui avait causé d'abord de mortelles inquiétudes, à la suite de quelques folies de jeunesse, des dettes qu'il fallut payer; mais, averti de leur situation en un solennel entretien, il n'avait pas recommencé, cœur tendre au fond, simplement oisif et nul, écarté de tout emploi, sans place possible dans la société contemporaine. Maintenant, soldat du pape, il était toujours pour elle une cause d'angoisse secrète, car il manquait de santé, délicat sous son apparence fière, de sang épuisé et pauvre, ce qui lui rendait le climat de Rome dangereux. Quant au mariage d'Alice, il tardait tellement, que la triste mère en avait les yeux pleins de larmes, quand elle la regardait, vieillie déjà, se flétrissant à attendre. Avec son air d'insignifiance mélancolique, elle n'était point sotte, elle aspirait ardemment à la vie, à un homme qui l'aurait aimée, à du bonheur; mais, ne voulant pas désoler davantage la maison, elle feignait d'avoir renoncé à tout, plaisantant le mariage, disant qu'elle avait la vocation d'être vieille fille; et, la nuit, elle sanglotait dans son oreiller, elle croyait mourir de la douleur d'être seule. La comtesse, par ses miracles d'avarice, était pourtant arrivée à mettre de côté vingt mille francs, toute la dot d'Alice; elle avait également sauvé du naufrage quelques bijoux, un bracelet, des bagues, des boucles d'oreilles, qu'on pouvait estimer à une dizaine de mille francs; dot bien maigre, corbeille de noces dont elle n'osait même parler, à peine de quoi faire face aux dépenses immédiates, si l'épouseur attendu se présentait. Et, cependant, elle ne voulait pas désespérer, luttant quand même, n'abandonnant pas un des privilèges de sa naissance, toujours aussi haute et de fortune convenable, incapable de sortir à pied et de retrancher un entre-mets un soir de réception, mais rognant sur sa vie cachée, se condamnant à des semaines de pommes de terre sans beurre, pour ajouter cinquante francs à la dot éternellement insuffisante de sa fille. C'était un douloureux et puéril héroïsme quotidien, tandis que, chaque jour, la maison croulait un peu plus sur leurs têtes.

      Cependant, jusque-là, Mme Caroline n'avait point eu l'occasion de parler à la comtesse et à sa fille. Elle finissait par connaître les détails les plus intimes de leur vie, ceux qu'elles croyaient cacher au monde entier, et il n'y avait eu encore entre elles que des échanges de regards, ces regards qui se tournent dans une brusque sensation de sympathie, derrière soi. La princesse d'Orviedo devait les rapprocher. Elle avait eu l'idée de créer, pour son Œuvre du Travail, une sorte de commission de surveillance, composée de dix dames, qui se réunissaient deux fois par mois, visitaient l'Œuvre en détail, contrôlaient tous les services. Comme elle s'était réservé de choisir elle-même ces dames, elle avait désigné, parmi les premières, Mme de Beauvilliers, une de ses grandes amies d'autrefois, devenue simplement sa voisine, aujourd'hui qu'elle s'était retirée du monde. Et il était arrivé que, la commission de surveillance ayant brusquement perdu son secrétaire, Saccard, qui gardait la haute main sur l'administration de l'établissement, venait d'avoir l'idée de recommander Mme Caroline, comme un secrétaire modèle, qu'on ne trouverait nulle part: en effet, la besogne était assez pénible, il y avait beaucoup d'écritures, même des soins matériels qui répugnaient un peu à ces dames; et, dès le début, Mme Caroline s'était révélée une hospitalière admirable, que sa maternité inassouvie, son amour désespéré des enfants, enflammait d'une tendresse active pour tous ces pauvres êtres, qu'on tâchait de sauver du ruisseau parisien. Donc, à la dernière séance de la commission, elle s'était rencontrée avec la comtesse de Beauvilliers; mais celle-ci ne lui avait adressé qu'un salut un peu froid, cachant sa secrète gêne, ayant sans doute la sensation qu'elle avait en elle un témoin de sa misère. Toutes deux, maintenant, se saluaient, chaque fois que leurs yeux se rencontraient et qu'il y aurait eu une trop grosse impolitesse à feindre de ne pas se reconnaître.

      Un jour, dans le grand cabinet, pendant qu'Hamelin rectifiait un plan d'après de nouveaux calculs, et que Saccard, debout, suivait son travail, Mme Caroline, devant la fenêtre, comme à son habitude, regardait la comtesse et sa fille faire leur tour de jardin. Ce matin-là, elle leur voyait, aux pieds, des savates qu'une chiffonnière n'aurait pas ramassées contre une borne.

      «Ah! les pauvres femmes! murmura-t-elle, que cela doit être terrible, cette comédie du luxe qu'elles se croient forcées de jouer.»

      Et elle se reculait, se cachait derrière le rideau de vitrage, de peur que la mère ne l'aperçût et ne souffrit davantage d'être ainsi guettée. Elle-même s'était apaisée, depuis trois semaines qu'elle s'oubliait, chaque matin, à cette fenêtre: le grand chagrin de son abandon s'endormait, il semblait que la vue du désastre des autres lui fit accepter plus courageusement le sien, cet écroulement qu'elle avait cru être celui de toute sa vie. De nouveau, elle se surprenait à rire.

      Un instant encore, elle suivit les deux femmes dans le jardin vert de mousse, d'un air de profonde songerie. Puis, se retournant vers Saccard, vivement:

      «Dites-moi donc pourquoi je ne peux pas être triste.... Non, ça ne dure pas, ça n'a jamais duré, je ne peux pas être triste, quoi qu'il m'arrive.... Est-ce de l'égoïsme? Vraiment, je ne crois pas. Ce serait trop vilain, et d'ailleurs j'ai beau être gaie, j'ai le cœur fendu tout de même au spectacle de la moindre douleur. Arrangez cela, je suis gaie et je pleurerais sur tous les malheurs qui passent, si je ne me retenais, comprenant que le moindre morceau de pain ferait bien mieux leur affaire que mes larmes inutiles.»

      En disant cela, elle riait de son beau rire de bravoure, en vaillante qui préférait l'action aux apitoiements bavards.

      «Dieu sait pourtant, continua-t-elle, si j'ai eu lieu de désespérer de tout. Ah! la chance ne m'a pas gâtée jusqu'ici.... Après mon mariage, dans l'enfer où je suis tombée, injuriée, battue, j'ai bien cru qu'il ne me restait qu'à me jeter à l'eau. Je ne m'y suis pas jetée, j'étais vibrante d'allégresse, gonflée d'un espoir immense, quinze jours après, quand je suis partie avec mon frère pour l'Orient.... Et, lors de notre retour à Paris, lorsque tout a failli nous manquer, j'ai eu des nuits abominables, où je nous voyais mourant de faim sur nos beaux projets. Nous ne sommes pas morts, je me suis remise à rêver des choses énormes, des choses heureuses qui me faisaient rire parfois toute seule.... Et, dernièrement, quand j'ai reçu ce coup affreux dont je n'ose parler encore, mon cœur a été comme déraciné; oui, je l'ai positivement senti qui ne battait plus; je l'ai cru fini, je me suis crue finie, anéantie moi-même. Puis, pas du tout! voici que l'existence me reprend, je ris aujourd'hui, demain, j'espérerai! je voudrai vivre encore, vivre toujours.... Est-ce extraordinaire, de ne pas pouvoir être triste longtemps!»

      Saccard, qui riait lui aussi, haussa les épaules.

      «Bah! vous êtes comme tout le monde. C'est l'existence, ça.

      —Croyez-vous, s'écria-t-elle, étonnée. Il me semble, à moi, qu'il y a des gens si tristes, qui ne sont jamais gais, qui se rendent la vie impossible, tellement ils se la peignent en noir.... Oh! ce n'est pas que je m'abuse sur la douceur et la beauté qu'elle offre. Elle a été trop dure, je l'ai trop vue de près, partout et librement. Elle est exécrable, quand elle n'est pas ignoble. Mais, que voulez-vous! je l'aime. Pourquoi? je n'en sais rien. Autour de moi, tout a beau péricliter, s'effondrer, je suis quand même, dès le lendemain, gaie et confiante sur les ruines.... J'ai pensé souvent que mon cas est, en petit, celui de l'humanité, qui vit, certes, dans une misère affreuse, mais que ragaillardit la jeunesse de chaque génération. A la suite de chacune des crises qui m'abattent, c'est comme jeunesse nouvelle, un printemps dont les promesses de sève me réchauffent et me relèvent le cœur. Cela est tellement vrai, que, après une grosse peine, si je sors dans la rue, au soleil, tout de suite je me remets à aimer, à espérer, à être heureuse. Et l'âge n'a pas de prise sur moi, j'ai la naïveté de vieillir sans m'en apercevoir.... Voyez-vous, j'ai beaucoup trop lu pour une femme, je ne sais plus du tout où je vais, pas plus, d'ailleurs, que ce vaste monde ne le sait lui-même. Seulement, c'est malgré moi, il me semble que je vais, que nous allons tous à quelque chose de très bien et de parfaitement gai.»

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