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L'Argent. Emile ZolaЧитать онлайн книгу.

L'Argent - Emile Zola


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à payer la somme de dix mille francs mademoiselle Léonie Cron, le jour de sa majorité.»

      «Le comte de Beauvilliers, reprit-il lentement, réfléchissant tout haut, oui, il a eu des fermes, tout un domaine, du côté de Vendôme.... Il est mort d'un accident de chasse, il a laissé une femme et deux enfants dans la gêne. J'ai eu des billets autrefois, qu'ils ont payés difficilement.... Un farceur, un pas-grand-chose...»

      Tout d'un coup, il éclata d'un gros rire, reconstruisant l'histoire.

      «Ah! le vieux filou, c'est lui qui a fichu dedans la petite!... Elle ne voulait pas, et il l'aura décidée avec ce chiffon de papier, qui était légalement sans valeur. Puis, il est mort.... Voyons, c'est daté de 1854, il y a dix ans. La fille doit être majeure, que diable! Comment cette reconnaissance pouvait-elle se trouver entre les mains de Charpier?... Un marchand de grains, ce Charpier, qui prêtait à la petite semaine. Sans doute la fille lui a laissé ça en dépôt pour quelques écus; ou bien peut-être s'était-il chargé du recouvrement...

      —Mais, interrompit la Méchain, c'est très bon, ça, un vrai coup!»

      Busch haussa dédaigneusement les épaules.

      «Eh! non, je vous dis qu'en droit ça ne vaut rien.... Que je présente ça aux héritiers, et ils peuvent m'envoyer promener, car il faudrait faire la preuve que l'argent est réellement dû... Seulement, si nous retrouvons la fille, j'espère les amener à être gentils et à s'entendre avec nous, pour éviter un tapage désagréable.... Comprenez-vous? cherchez cette Léonie Cron, écrivez à Fayeux pour qu'il nous déniche là-bas. Ensuite, nous verrons à rire.»

      Il avait fait des papiers deux tas qu'il se promettait d'examiner à fond, quand il serait seul, et il restait immobile, les mains ouvertes, une sur chaque tas.

      Après un silence, la Méchain reprit:

      «Je me suis occupée des billets Jordan.... J'ai bien cru que j'avais retrouvé notre homme. Il a été employé quelque part, il écrit maintenant dans les journaux. Mais on vous reçoit si mal, dans les journaux; on refuse de vous donner les adresses. Et puis, je crois qu'il ne signe pas ses articles de son vrai nom.»

      Sans une parole, Busch avait allongé le bras pour prendre, à sa place alphabétique, le dossier Jordan. C'étaient six billets de cinquante francs, datés de cinq années déjà et échelonnés de mois en mois, une somme totale de trois cents francs, que le jeune homme avait souscrite à un tailleur, aux jours de misère. Impayés à leur présentation, les billets s'étaient grossis de frais énormes, et le dossier débordait d'une formidable procédure. A cette heure, la dette atteignait sept cent trente francs quinze centimes.

      «Si c'est un garçon d'avenir, murmura Busch, nous le pincerons toujours.»

      Puis, une liaison d'idées se faisant sans doute en lui, il s'écria:

      «Et dites donc, l'affaire Sicardot, nous l'abandonnons?»

      La Méchain leva au ciel ses gros bras éplorés. Toute sa monstrueuse personne en eut un remous de désespoir.

      «Ah! Seigneur Dieu! gémit-elle de sa voix de flûte, j'y laisserai ma peau!»

      L'affaire Sicardot était toute une histoire romanesque qu'elle aimait conter. Une petite-cousine à elle, Rosalie Chavaille, la fille tardive d'une sœur de son père avait été prise à seize ans, un soir, sur les marches de l'escalier, dans une maison de la rue de la Harpe, où elle et sa mère occupaient un petit logement au sixième. Le pis était que le monsieur, un homme marié, débarqué depuis huit jours à peine, avec sa femme, dans une chambre que sous-louait une dame du second, s'était montré si amoureux, que la pauvre Rosalie, renversée d'une main trop prompte contre l'angle d'une marche, avait eu l'épaule démise. De là, juste colère de la mère, qui avait failli faire un esclandre affreux, malgré les larmes de la petite, avouant qu'elle avait bien voulu, que c'était un accident et qu'elle aurait trop de peine, si l'on envoyait le monsieur en prison. Alors, la mère, se taisant, s'était contentée d'exiger de celui-ci une somme de six cents francs, répartie en douze billets, cinquante francs par mois, pendant une année; et il n'avait pas eu de marché vilain, c'était même modeste, car sa fille, qui finissait son apprentissage de couturière, ne gagnait plus rien, malade, au lit, coûtant gros, si mal soignée d'ailleurs, que, les muscles de son bras s'étant rétractés, elle devenait infirme.

      Avant la fin du premier mois, le monsieur avait disparu, sans laisser son adresse. Et les malheurs continuaient, tapaient dru comme grêle: Rosalie accouchait d'un garçon, perdait sa mère, tombait à une sale vie, à une misère noire. Échouée à la Cité de Naples, chez sa petite-cousine, elle avait traîné les rues jusqu'à vingt-six ans, ne pouvant se servir de son bras, vendant parfois des citrons aux Halles, disparaissant pendant des semaines avec des hommes, qui la renvoyaient ivre et bleue de coups. Enfin, l'année d'auparavant, elle avait eu la chance de crever, des suites d'une bordée plus aventureuse que les autres. Et la Méchain avait dû garder l'enfant, Victor; et il ne restait de toute cette aventure que les douze billets impayés, signés Sicardot. On n'avait jamais pu en savoir davantage: le monsieur s'appelait Sicardot.

      D'un nouveau geste, Busch prit le dossier Sicardot, une mince chemise de papier gris. Aucun frais n'avait été fait, il n'y avait là que les douze billets.

      «Encore si Victor était gentil! expliquait lamentablement la vieille femme. Mais imaginez-vous, un enfant épouvantable.... Ah! c'est dur de faire des héritages pareils, un gamin qui finira sur l'échafaud, et ces morceaux de papier dont jamais je ne tirerai rien!»

      Busch tenait ses gros yeux pâles obstinément fixés sur les billets. Que de fois il les avait étudiés ainsi, espérant, dans un détail inaperçu, dans la forme des lettres, jusque dans le grain du papier timbré, découvrir un indice. Il prétendait que cette écriture pointue et fine ne devait pas lui être inconnue.

      «C'est curieux, répétait-il une fois encore, j'ai certainement vu déjà des a et des o pareils, si allongés, qu'ils ressemblent à des i

      Juste à ce moment, on frappa; et il pria la Méchain d'allonger la main pour ouvrir; car la pièce donnait directement sur l'escalier. Il fallait la traverser si l'on voulais gagner l'autre, celle qui avait vue sur la rue. Quant à la cuisine, un trou sans air, elle se trouvait de l'autre côté du palier.

      «Entrez, monsieur.»

      Et ce fut Saccard qui entra. Il souriait, égayé intérieurement par la plaque de cuivre, vissée sur la porte et portant en grosses lettres noires le mot Contentieux.

      «Ah! oui, monsieur Saccard, vous venez pour cette traduction.... Mon frère est là, dans l'autre pièce.... Entrez, entrez donc.»

      Mais la Méchain bouchait absolument le passage, et elle dévisageait le nouveau venu, l'air de plus en plus surpris. Il fallut tout une manœuvre lui recula dans l'escalier, elle-même sortit, s'effaçant sur le palier, de façon qu'il pût entrer et gagner enfin la chambre voisine, où il disparut. Pendant ces mouvements compliqués, elle ne l'avait pas quitté des yeux.

      «Oh! souffla-t-elle, oppressée, ce M. Saccard, je ne l'avais jamais tant vu.... Victor est tout son portrait.»

      Busch sans comprendre d'abord, la regardait. Puis, une brusque illumination se fit, il eut un juron étouffé.

      «Tonnerre de Dieu! c'est ça, je savais bien que j'avais vu ça quelque part!»

      Et, cette fois, il se leva, bouleversa les dossiers, finit par trouver une lettre que Saccard lui avait écrite, l'année précédente, pour lui demander du temps en faveur d'une dame insolvable. Vivement, il compara l'écriture des billets à celle de cette lettre c'étaient bien les mêmes a et les mêmes o, devenus avec le temps plus aigus encore et il y avait aussi une identité de majuscules évidente.

      «C'est lui, c'est lui, répétait-il. Seulement, voyons, pourquoi Sicardot, pourquoi pas Saccard?»

      Mais, dans sa mémoire, une histoire confuse s'éveillait, le passé de Saccard, qu'un agent d'affaires


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