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La Débâcle. Emile ZolaЧитать онлайн книгу.

La Débâcle - Emile Zola


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encore se perdirent, les trois ombres disparurent, noyées, fondues. Dans un frémissement de tout son être, Maurice s'était mis debout.

      — Mon Dieu! Bégaya-t-il.

      Et il ne trouvait rien autre chose, tandis que Jean, le coeur glacé, murmurait:

      — Ah! fichu sort!… Ce monsieur, votre parent, avait tout de même raison de dire qu'ils sont plus forts que nous.

      Hors de lui, Maurice l'aurait étranglé. Les Prussiens plus forts que les Français! C'était de cela que saignait son orgueil. Déjà, le paysan ajoutait, calme et têtu:

      — Ca ne fait rien, voyez-vous. Ce n'est pas parce qu'on reçoit une tape, qu'on doit se rendre… Faudra cogner tout de même.

      Mais, devant eux, une longue figure s'était dressée. Ils reconnurent Rochas, drapé encore de son manteau, et que les bruits errants, le souffle de la défaite peut-être venait de tirer de son dur sommeil. Il questionna, voulut savoir.

      Quand il eut compris, à grand-peine, une immense stupeur se peignit dans ses yeux vides d'enfant. À plus de dix reprises, il répéta:

      — Battus! Comment battus? Pourquoi battus?

      Maintenant, à l'orient, le jour blanchissait, un jour louche d'une infinie tristesse, sur les tentes endormies, dans l'une desquelles on commençait à distinguer les faces terreuses de Loubet et de Lapoulle, de Chouteau et de Pache, qui ronflaient toujours, la bouche ouverte. Une aube de deuil se levait, parmi les brumes couleur de suie qui étaient montées, là-bas, du fleuve lointain.

       Table des matières

      Vers huit heures, le soleil dissipa les nuées lourdes, et un ardent et pur dimanche d'août resplendit sur Mulhouse, au milieu de la vaste plaine fertile. Du camp, maintenant éveillé, bourdonnant de vie, on entendait les cloches de toutes les paroisses carillonner à la volée, dans l'air limpide. Ce beau dimanche d'effroyable désastre avait sa gaieté, son ciel éclatant des jours de fête.

      Gaude, brusquement, sonna à la distribution, et Loubet s'étonna. Quoi? Qu'y avait-il? Était-ce le poulet qu'il avait promis la veille à Lapoulle? Né dans les halles, rue de la Cossonnerie, fils de hasard d'une marchande au petit tas, engagé «pour des sous», comme il disait, après avoir fait tous les métiers, il était le fricoteur, le nez tourné continuellement à la friandise. Et il alla voir, pendant que Chouteau, l'artiste, le peintre en bâtiments de Montmartre, bel homme et révolutionnaire, furieux d'avoir été rappelé après son temps fini, blaguait férocement Pache, qu'il venait de surprendre en train de faire sa prière, à genoux derrière la tente. En voilà un calotin! est-ce qu'il ne pouvait pas lui demander cent mille livres de rente, à son bon Dieu? Mais Pache, arrivé d'un village perdu de la Picardie, chétif et la tête en pointe, se laissait plaisanter, avec la douceur muette des martyrs. Il était le souffre-douleur de l'escouade, en compagnie de Lapoulle, le colosse, la brute poussée dans les marais de la Sologne, si ignorant de tout, que, le jour de son arrivée au régiment, il avait demandé à voir le roi. Et, bien que la nouvelle désastreuse de Froeschwiller circulât depuis le lever, les quatre hommes riaient, faisaient avec leur indifférence de machine les besognes accoutumées.

      Mais il y eut un grognement de surprise goguenarde.

      C'était Jean, le caporal, qui, accompagné de Maurice, revenait de la distribution, avec du bois à brûler. Enfin, on distribuait le bois, que les troupes avaient vainement attendu la veille, pour cuire la soupe. Douze heures de retard seulement.

      — Bravo, l'intendance! cria Chouteau.

      — N'importe, ça y est! dit Loubet. Ah! ce que je vais vous faire un chouette pot-au-feu!

      D'habitude, il se chargeait volontiers de la popote; et on l'en remerciait, car il cuisinait à ravir. Mais il accablait alors Lapoulle de corvées extraordinaires.

      — Va chercher le champagne, va chercher les truffes…

      Puis, ce matin-là, une idée baroque de gamin de Paris se moquant d'un innocent, lui traversa la cervelle.

      — Plus vite que ça! Donne-moi le poulet.

      — Où donc, le poulet?

      — Mais là, par terre… Le poulet que je t'ai promis, le poulet que le caporal vient d'apporter!

      Il lui désignait un gros caillou blanc, à leurs pieds. Lapoulle, interloqué, finit par le prendre et par le retourner entre ses doigts.

      — Tonnerre de Dieu! veux-tu laver le poulet!… Encore! Lave-lui les pattes, lave-lui le cou!… À grande eau, feignant!

      Et, pour rien, pour la rigolade, parce que l'idée de la soupe le rendait gai et farceur, il flanqua la pierre avec la viande dans la marmite pleine d'eau.

      — C'est ça qui va donner du goût au bouillon! Ah! tu ne savais pas ça, tu ne sais donc rien, sacrée andouille!… Tu auras le croupion, tu verras si c'est tendre!

      L'escouade se tordait de la tête de Lapoulle, maintenant convaincu, se pourléchant. Cet animal de Loubet, pas moyen de s'ennuyer avec lui! Et, lorsque le feu crépita au soleil, lorsque la marmite se mit à chanter, tous, en dévotion, rangés autour, s'épanouirent, regardant danser la viande, humant la bonne odeur qui commençait à se répandre. Ils avaient une faim de chien depuis la veille, l'idée de manger emportait tout. On était rossé, mais ça n'empêchait pas qu'il fallait s'emplir. D'un bout à l'autre du camp, les feux des cuisines flambaient, les marmites bouillaient, et c'était une joie vorace et chantante, au milieu des claires volées de cloches qui continuaient à venir de toutes les paroisses de Mulhouse.

      Mais, comme il allait être neuf heures, une agitation se propagea, des officiers coururent, et le lieutenant Rochas, à qui le capitaine Beaudoin avait donné un ordre, passa devant les tentes de sa section.

      — Allons, pliez tout, emballez tout, on part!

      — Mais la soupe?

      — Un autre jour, la soupe! On part tout de suite!

      Le clairon de Gaude sonnait, impérieux. Ce fut une consternation, une colère sourde. Eh quoi! Partir sans manger, ne pas attendre une heure que la soupe fût possible! L'escouade voulut quand même boire le bouillon; mais ce n'était encore que de l'eau chaude; et la viande, pas cuite, résistait, pareille à du cuir sous les dents. Chouteau grogna des paroles rageuses. Jean dut intervenir, afin de hâter les préparatifs de ses hommes. Qu'y avait-il donc de si pressé, à filer ainsi, à bousculer les gens, sans leur laisser le temps de reprendre des forces? Et, comme, devant Maurice, on disait qu'on marchait à la rencontre des Prussiens, pour la revanche, il haussa les épaules, incrédule. En moins d'un quart d'heure, le camp fut levé, les tentes pliées, rattachées sur les sacs, les faisceaux défaits, et il ne resta, sur la terre nue, que les feux des cuisines qui achevaient de s'éteindre.

      C'étaient de graves raisons qui venaient de décider le général Douay à une retraite immédiate. La dépêche du sous-préfet de Schelestadt, vieille déjà de trois jours, se trouvait confirmée: on télégraphiait qu'on avait vu de nouveau les feux des Prussiens qui menaçaient Markolsheim; et, d'autre part, un télégramme annonçait qu'un corps d'armée ennemi passait le Rhin à Huningue. Des détails arrivaient, abondants, précis: la cavalerie et l'artillerie aperçues, les troupes en marche, se rendant de toutes parts à leur point de ralliement. Si l'on s'attardait une heure, c'était sûrement la ligne de retraite sur Belfort coupée. Dans le contre-coup de la défaite, après Wissembourg et Froeschwiller, le général, isolé, perdu à l'avant-garde, n'avait qu'à se replier en hâte; d'autant plus que les nouvelles, reçues le matin, aggravaient encore celles de la nuit.

      En avant, était parti l'état-major, au grand trot, poussant de l'éperon les montures, dans la crainte d'être devancé et de trouver déjà les Prussiens à Altkirch. Le général Bourgain- Desfeuilles, qui prévoyait


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