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Le pilote du Danube. Jules VerneЧитать онлайн книгу.

Le pilote du Danube - Jules Verne


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volatilisés, ainsi que les objets matériels, parfois très encombrants, qui représentaient leur butin.

      Les gouvernements intéressés avaient fini par s'émouvoir de ces échecs successifs, vraisemblablement imputables au défaut de cohésion des forces répressives. Une conversation diplomatique s'était engagée à ce sujet, et, ainsi que la presse en donnait la nouvelle ce matin même du 8 août, les négociations venaient d'aboutir à la création d'une police internationale répartie sur tout le cours du Danube sous l'autorité d'un chef unique. La désignation de ce chef avait été particulièrement laborieuse, mais finalement on s'était mis d'accord sur le nom de Karl Dragoch, détective hongrois bien connu dans la région.

      Karl Dragoch était, en effet, un policier, remarquable, et la difficile mission qui lui était confiée n'aurait pu l'être à un plus digne. Agé de quarante-cinq ans, c'était un homme de complexion moyenne, plutôt maigre, et doué de plus de force morale que de force physique. Il avait assez de vigueur, cependant, pour supporter les fatigues professionnelles de son état, comme il avait assez de bravoure pour en affronter les dangers. Légalement, il demeurait à Budapest, mais le plus souvent il était en campagne, occupé à quelque enquête délicate. Sa connaissance parfaite de tous les idiomes du Sud-Est de l'Europe, de l'allemand et du roumain, du serbe, du bulgare et du turc, sans parler du hongrois, sa langue maternelle, lui permettait de n'être jamais embarrassé, et, en sa qualité de célibataire, il n'avait pas à craindre que des soucis de famille vinssent entraver la liberté de ses mouvements.

      Sa nomination avait, comme on dit, une bonne presse. Quant au public, il l'approuvait à l'unanimité. Dans la grande salle du Rendez-vous des Pêcheurs, la nouvelle en était accueillie d'une manière tout particulièrement flatteuse.

      «On ne pouvait mieux choisir, affirmait, au moment où s'allumaient les lampes du cabaret, M. Ivetozar, titulaire du second prix du poids, lors du concours qui venait de finir. Je connais Dragoch. C'est un homme.

      —Et un habile homme, renchérit le Président Miclesco.

      —Souhaitons, s'écria un Croate, du nom peu facile à prononcer de Svrb, propriétaire d'une teinturerie dans un des faubourgs de Vienne, qu'il réussisse à assainir les rives du fleuve. La vie n'y était plus tolérable, en vérité!

      —Karl Dragoch a affaire à forte partie, dit l'Allemand Weber, en hochant la tête. Il faudra le voir à l'oeuvre.

      —A l'oeuvre!... s'écria M. Ivetozar. Il y est déjà, n'en doutez pas.

      —Certes! approuva M. Miclesco. Karl Dragoch n'est pas d'un caractère à perdre son temps. Si sa nomination remonte à quatre jours, comme le disent les journaux, il y en a au moins trois qu'il est en campagne.

      —Par quel bout va-t-il commencer? demanda M. Piscéa, un Roumain au nom prédestiné pour un pêcheur à la ligne. Je serais bien embarrassé, je l'avoue, si j'étais à sa place.

      —C'est précisément pour ça qu'on ne vous y a pas mis, mon cher, répliqua plaisamment un Serbe. Soyez sûr que Dragoch n'est pas embarrassé, lui. Quant à vous dire son plan, c'est autre chose. Peut-être s'est-il dirigé sur Belgrade, peut-être est-il resté à Budapest... A moins qu'il n'ait préféré venir précisément ici, à Sigmaringen, et qu'il ne soit en ce moment parmi nous au Rendez-vous des Pêcheurs!

      Cette supposition obtint un grand succès d'hilarité.

      —Parmi nous!... se récria M. Weber. Vous nous la baillez belle, Michael Michaelovitch. Que viendrait-il faire ici, où, de mémoire d'homme, on n'a jamais eu à déplorer le moindre crime?

      —Eh! riposta Michael Michaelovitch, ne serait-ce que pour assister après-demain au départ d'Ilia Brusch. Ça l'intéresse peut-être, cet homme.... A moins, toutefois, qu'Ilia Brusch et Karl Dragoch ne fassent qu'un.

      —Comment, ne fassent qu'un! S'écria-t-on de toutes parts. Qu'entendez-vous par là?

      —Parbleu! ce serait très fort. Sous la peau du lauréat, personne ne soupçonnerait le policier, qui pourrait ainsi inspecter le Danube en parfaite liberté.

      Cette fantaisiste boutade fit ouvrir de grands yeux aux autres buveurs. Ce Michael Michaelovitch!... Il n'y avait que lui pour avoir des idées pareilles!

      Mais Michael Michaelovitch ne tenait pas autrement à celle qu'il venait de risquer.

      —A moins ... commença-t-il, en employant une tournure qui lui était décidément familière.

      —A moins?

      —A moins que Karl Dragoch n'ait un autre motif de venir ici, poursuivit-il, passant sans transition à une autre hypothèse non moins fantaisiste.

      —Quel motif?

      —Supposez, par exemple, que ce projet de descendre le Danube la ligne à la main lui paraisse louche.

      —Louche!... Pourquoi louche?

      —Dame! ce ne serait pas bête, non plus, pour un filou, de se cacher dans la peau d'un pêcheur, et surtout d'un pêcheur aussi notoire. Une telle célébrité vaut tous les incognitos du monde. On pourrait faire les cent coups à son aise, à la condition de pêcher dans l'intervalle, histoire de donner le change.

      —Oui, mais il faudrait savoir pêcher, objecta doctoralement le Président Miclesco, et c'est là un privilège réservé aux honnêtes gens.

      Cette observation morale, peut-être un peu hasardeuse, fut frénétiquement applaudie par tous ces passionnés pêcheurs. Michael Michaelovitch profita avec un tact remarquable de l'enthousiasme général.

      —A la santé du Président! s'écria-t-il en levant son verre.

      —A la santé du Président! répétèrent tous les buveurs, en vidant les leurs comme un seul homme.

      —A la santé du Président! répéta un consommateur solitairement attablé, qui, depuis quelques instants, semblait prendre un vif intérêt aux répliques échangées autour de lui.

      M. Miclesco fut sensible à l'aimable procédé de cet inconnu, et, pour l'en remercier, il esquissa à son adresse un geste de toast. Le buveur solitaire, estimant sans doute la glace suffisamment rompue par ce geste courtois, se considéra comme autorisé à faire part de ses impressions à l'honorable assistance.

      —Bien répondu, ma foi! dit-il. Oui, certes, la pêche est un plaisir d'honnêtes gens.

      —Aurions-nous l'avantage de parler à un confrère? demanda M. Miclesco, en s'approchant de l'inconnu.

      —Oh! répondit modestement celui-ci, un amateur tout au plus, qui se passionne pour les beaux coups, mais n'a pas l'outrecuidance de chercher à les imiter.

      —Tant pis, monsieur...?

      —Jaeger.

      —Tant pis, monsieur Jaeger, car je dois en conclure que nous n'aurons jamais l'honneur de vous compter au nombre des membres de la Ligue Danubienne.

      —Qui sait? répondit M. Jaeger. Je me déciderai peut-être un jour à mettre moi aussi la main à la pâte ... à la ligne, je veux dire, et, ce jour-là, je serai certainement des vôtres, si je réunis toutefois les conditions requises pour l'admission.

      —N'en doutez pas, affirma avec précipitation M. Miclesco excité par l'espoir de recruter un nouvel adhérent. Ces conditions fort simples ne sont qu'au nombre de quatre. La première est de payer une modeste cotisation annuelle. C'est la principale.

      —Bien entendu, approuva M. Jaeger en riant.

      —La seconde, c'est d'aimer la pêche. La troisième, c'est d'être un agréable compagnon, et je considère que cette troisième condition est d'ores et déjà réalisée.

      —Trop aimable! remercia M. Jaeger.

      —Quant à la quatrième, elle consiste uniquement dans l'inscription du nom et de l'adresse sur les listes de la Société. Or, ayant


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