Gunnar et Nial scènes et moeurs de la vieille Islande. AnonymeЧитать онлайн книгу.
bateaux à vapeur, ses fils électriques, ses téléphones et ses mille machines ingénieuses à faucher les épis et les hommes, enfants de la terre les uns et les autres, pour prendre pied en plein xe siècle, aux confins de la Scandinavie, à l'époque des haches d'armes, des cottes de mailles et des vikings écumeurs de mer.
Le pays dans lequel nous le transportons est un des plus étranges de ce bas monde, où se voient cependant bien des étrangetés. Situé sur la ligne de la grande banquise polaire qui s'étend du Groënland au Spitzberg, il mérite bien son nom de Terre-de-Glace[1] que lui donnèrent les navigateurs qui abordèrent les premiers sur ses rives; mais, malgré ses frimas et ses neiges, il mérite aussi celui de Terre-de-Feu, attendu que son sol tout entier est formé des laves et des cendres vomies par les cratères de ses monts émergés jadis du sein de l'Océan. C'est là, vous le savez, que se trouve entre autres ce fameux Hécla ou la cime du manteau[2], qui, avec l'Etna et le Vésuve, sis au bout opposé de l'Europe, sous le beau ciel où fleurit l'oranger, a été regardé, pendant bien longtemps, comme un des «soupiraux de l'enfer».
Ce n'est pourtant point, je me hâte de vous le dire, aux feux d'aucun volcan terrestre que doit s'allumer le drame qu'on va lire; l'étincelle destinée à l'alimenter jaillira du cœur même de l'homme, cet autre volcan sans cesse embrasé et toujours prêt à faire éruption. Ce ne sera d'abord qu'un faible jet, une toute petite lueur à peine perceptible; mais, comme le dit la vieille saga[3], «le tison s'allume avec le tison, la flamme monte avec la flamme,» et ce qui n'était qu'un sourd pétillement devient bientôt, sans qu'on y prenne garde, un immense et dévorant incendie.
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Donc, il y aura un millier d'années tout à l'heure, vivait en Islande un riche paysan appelé Hogi. Sa propriété, l'Hogistad, se trouvait dans la vallée de la Laxa, non loin de l'endroit où cette rivière se jette dans le fiord[4] de Vam, embranchement de ce grand fiord de Breidi qui se replie le long de la côte occidentale du pays.
Son père Dalekol avait été du nombre de ces Norwégiens qui, pour échapper au despotisme d'Harald aux beaux cheveux, s'étaient embarqués pour la Terre-de-Glace avec leurs biens, leurs familles et toute leur clientèle d'hommes libres et d'esclaves. Lui mort, il était resté en Islande, s'y était marié, et de cette union était née une fille qui, sous le nom d'Halgierde, jouera un des rôles dominants de ce récit. Quant à la veuve de Dalekol, n'ayant pu se faire à sa nouvelle patrie, elle était retournée en Norwège, où, d'un second hymen, elle avait eu un autre fils nommé Rut.
Ce Rut, devenu grand, avait rejoint en Islande son frère utérin, et s'y était fait bâtir, non loin de lui, une habitation, la Rutstad.
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En ce temps-là, de même qu'aujourd'hui, les plus grosses fermes islandaises étaient loin d'offrir un aspect agréable. C'étaient de lourdes et basses constructions en pierres de lave et en bois flotté dont le faite était revêtu d'une couche de tourbe où l'herbe poussait dans la belle saison. Aussi ces rustiques demeures se confondaient-elles volontiers de loin avec la végétation rase d'alentour, et souvent le voyageur ne les apercevait que lorsqu'il les avait juste sous ses yeux.
Mais, pour n'avoir rien de très plaisant, ces bœrs, comme on les appelle, n'en formaient pas moins, chacun pris à part, une sorte de petit monde clos, arrangé pour se suffire à soi-même. Qu'on se figure, réunies à la file sous un toit commun, ou se faisant vis-à-vis sur deux rangs, une série de bâtisses (hus) dont la principale, la «maison à feu», renfermait l'appartement du maître, la chambre commune où se réunissait la famille, et d'ordinaire aussi la cuisine. À part venaient la stofa, réservée aux femmes, puis le logis des hôtes et amis et les divers magasins aux provisions.
On accédait à la plus grande pièce, servant à la fois de salle à manger et de lieu de réception, par un vestibule plus ou moins spacieux dont l'issue extérieure donnait sur une sorte de préau pavé. Cette pièce était en outre munie de deux portes latérales, l'une pour les hommes, l'autre pour les femmes; chaque sexe y avait sa place distincte; les hommes s'asseyaient sur les bancs disposés de chaque côté du siège du milieu ou siège d'honneur, lequel était tourné vers le soleil, et les femmes occupaient le banc transversal établi plus loin sur une estrade.
Sous le toit était généralement ménagée une soupente constituant une façon d'étage supérieur et pourvue d'une lucarne. Les autres annexes de l'habitation étaient formées par les écuries, les étables, la remise aux traîneaux (sledi), les greniers à fourrage et à grain, la forge, et, si la maison était près de la mer ou sur un fiord y aboutissant,—ce qui était le cas le plus habituel,—une hutte-séchoir pour le poisson, et un hangar sous lequel on halait l'hiver, au moyen de rouleaux, le navire à l'abri des intempéries. Parfois aussi, chez les gens tout à fait aisés, il y avait une cabine de bain, à ciel ouvert la plupart du temps, où arrivait quelqu'une de ces sources chaudes si nombreuses dans le pays.
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Tout cet ensemble de constructions grandes et petites était enceint d'une clôture. À côté d'elles se trouvait un jardin planté en legumes; aux environs étaient les prés pour les chevaux et les bœufs; plus haut, sur les collines ou les monts d'alentour, se voyaient des pâtis plus ou moins rocheux; et quant aux pentes les mieux exposées, elles étaient aménagées en cultures où se récoltaient orges et pommes de terre. N'oublions pas de mentionner la tourbière, élément indispensable entre tous dans l'économie domestique de la contrée.
Ce qui manquait le plus dans ce paysage, c'étaient les arbres. Cependant, à l'époque lointaine où nous reporte ce récit, bien des bœrs islandais devaient offrir un cadre ou un arrière-plan de verdure qu'ils ont complètement perdu depuis lors. Les vieilles chroniques ne nous parlent-elles pas de grands bois (skogar) qui auraient jadis existé dans l'île, et que les constructeurs de navires, les fondeurs et les charbonniers exploitaient à l'envi selon leurs besoins? Une flore étiolée de plantes ligneuses est tout ce qu'il en reste actuellement, et ce n'est tout au plus que dans les endroits le mieux abrités des tempêtes de neige et du vent qu'on voit surgir du sol tourbeux, où reposent les débris putréfiés des antiques forêts, quelques essences un peu plus relevées, telles que des saules, des sorbiers, des bouleaux.
La faune locale, à toute époque, n'a guère été plus riche que la flore. Seules deux espèces domestiques ont toujours été abondamment représentées dans le pays, qui fournit, l'été, un foin excellent: ce sont les moutons et les chevaux.
On connaît cette race de poneys islandais, infatigable, sobre et nerveuse, sans laquelle, en une région dénuée de routes, il n'y aurait pas moyen de voyager. Le paysan, dur à ses bêtes autant qu'à lui-même, les lâche volontiers, de nuit comme de jour, au milieu de la campagne, et là où les pâtis manquent, l'animal broute comme il peut les mousses et les gramens des rochers.
L'été, cette provende de hasard suffit à le maintenir frais et dispos pour les longues courses du maître à travers les marais semés de fondrières ou les plateaux de roche volcanique; mais, l'hiver, moutons et chevaux ne trouvent pas aussi aisément à se repaître, et beaucoup périssent avant le printemps.
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Pour l'homme, l'hiver est aussi la triste saison. La neige intercepte alors toute communication d'un bœr à l'autre, et chaque famille, isolée durant des mois sous son toit, n'a d'autre ressource que la table, la causerie, la lecture ou les longs récits faits à la veillée par quelque hôte étranger arrivé en automne des lointains pays, et qui demeure jusqu'au renouveau dans la maison où on l'a accueilli.
Mais aussi quel frémissement de joie et quel réveil subit de la vie quand le printemps vient dissoudre les glaces, fondre la neige des collines et des plaines et rouvrir aux eaux, jusqu'alors captives, le chemin des fiords attiédis et de la mer!
Cette résurrection de la nature boréale ne s'accomplit point sans fracas ni trouble. Les torrents échappés des hautes cimes entraînent