Les mille et une nuits: contes choisis. AnonymeЧитать онлайн книгу.
de félicité! ô jour d'agréable surprise et de joie!
La dame s'arrêta à la boutique d'une marchande de fruits et de fleurs, où elle choisit de plusieurs sortes de pommes, des abricots, des pêches, des coings, des limons, des citrons, des oranges, du myrte, du basilic, des lis, du jasmin et de quelques autres sortes de fleurs et de plantes de bonne odeur. Elle dit au porteur de mettre tout cela dans le panier et de la suivre. En passant devant l'étalage d'un boucher, elle se fit peser vingt-cinq livres de la plus belle viande qu'il eût; ce que le porteur mit encore dans son panier par son ordre.
A une autre boutique, elle prit des câpres, de l'estragon, de petits concombres, de la perce-pierre et autres herbes, le tout confit dans le vinaigre; à une autre, des pistaches, des noix, des noisettes, des pignons, des amandes et d'autres fruits semblables; à une autre encore elle acheta toutes sortes de pâtes d'amande. Le porteur, en mettant toutes ces choses dans son panier, remarquant qu'il se remplissait, dit à la dame: Ma bonne dame, il fallait m'avertir que vous feriez tant de provisions, j'aurais pris un cheval ou plutôt un chameau pour les porter. J'en aurai beaucoup plus que ma charge, pour peu que vous en achetiez d'autres. La dame rit de cette plaisanterie, et ordonna de nouveau au porteur de la suivre.
Elle entra chez un droguiste, où elle se fournit de toutes sortes d'eaux de senteur, de clous de girofle, de muscade, de poivre, de gingembre, d'un gros morceau d'ambre gris et de plusieurs autres épiceries des Indes, ce qui acheva de remplir le panier du porteur, auquel elle dit encore de la suivre. Alors ils marchèrent tous deux, jusqu'à ce qu'ils arrivèrent à un hôtel magnifique, dont la façade était ornée de belles colonnes et qui avait une porte d'ivoire. Ils s'y arrêtèrent et la dame frappa un petit coup.
XXIIE NUIT
Pendant que la jeune dame et le porteur attendaient que l'on ouvrît la porte de l'hôtel, continua la sultane, le porteur faisait mille réflexions. Il était étonné qu'une dame, faite comme celle qu'il voyait, fît l'office de pourvoyeur; car enfin il jugeait bien que ce n'était pas une esclave: il lui trouvait l'air trop noble pour penser qu'elle ne fût pas libre, et même une personne de distinction. Il lui aurait volontiers fait des questions pour s'éclaircir de sa qualité; mais dans le temps qu'il se préparait à lui parler, une autre dame vint ouvrir la porte.
Lorsqu'elle fut entrée avec le porteur, la dame, qui avait ouvert la porte, la ferma, et tous trois, après avoir traversé un beau vestibule, passèrent dans une cour très-spacieuse, et environnée d'une galerie à jour, qui communiquait à plusieurs appartements de plain-pied, de la dernière magnificence. Il y avait dans le fond de cette cour un sofa richement garni, avec un trône d'ambre au milieu, soutenu de quatre colonnes d'ébène, enrichies de diamants et de perles d'une grosseur extraordinaire, et garnies d'un satin rouge, relevé d'une broderie d'or des Indes, d'un travail admirable. Au milieu de la cour, il y avait un grand bassin bordé de marbre blanc et plein d'une eau très-claire, qui y tombait abondamment par un mufle de lion de bronze doré.
Le porteur, tout chargé qu'il était, ne laissait pas d'admirer la magnificence de cette maison, et la propreté qui y régnait partout; mais ce qui attira particulièrement son attention fut une troisième dame, qui était assise sur le trône dont j'ai parlé. Elle en descendit dès qu'elle aperçut les deux premières dames, et s'avança au-devant d'elles.
Il jugea, par les égards que les autres avaient pour celle-là, que c'était la principale; en quoi il ne se trompait pas. Cette dame se nommait Zobéide; celle qui avait ouvert la porte s'appelait Safie, et Amine était le nom de celle qui avait été aux provisions.
Zobéide dit aux deux dames en les abordant: Mes sœurs, ne voyez-vous pas que ce bonhomme succombe sous le fardeau qu'il porte? Qu'attendez-vous à le décharger? Alors Amine et Safie prirent le panier, l'une par devant et l'autre par derrière; Zobéide y mit aussi la main, et toutes les trois le posèrent à terre. Elles commencèrent à le vider, et quand cela fut fait, l'agréable Amine tira de l'argent et paya libéralement le porteur.
XXIIIE NUIT
Le porteur, reprit la sultane la nuit suivante, très-satisfait de l'argent qu'on lui avait donné, devait prendre son panier et se retirer; mais il ne put s'y résoudre: il se sentait, malgré lui, arrêter par le plaisir de voir trois beautés si rares, et qui lui paraissaient également charmantes; car Amine avait aussi ôté son voile et il ne la trouvait pas moins belle que les autres. Néanmoins la plupart des provisions qu'il avait apportées, comme les fruits secs et les différentes sortes de gâteaux et de confitures, ne convenaient proprement qu'à des gens qui voulaient boire et se réjouir.
Zobéide crut d'abord que le porteur s'arrêtait pour prendre haleine; mais voyant qu'il restait trop longtemps: Qu'attendez-vous? lui dit-elle, n'êtes-vous pas payé suffisamment? Ma sœur, ajouta-t-elle, en s'adressant à Amine, donnez-lui encore quelque chose; qu'il s'en aille content. Madame, répondit le porteur, ce n'est pas cela qui me retient; je ne suis que trop payé de ma peine. Je vois bien que j'ai commis une incivilité en demeurant ici plus que je ne devais; mais j'espère que vous aurez la bonté de la pardonner à l'étonnement où je suis de ne voir aucun homme dans cette maison.
Les dames se prirent à rire du raisonnement du porteur. Après cela, Zobéide lui dit, d'un air sérieux: Mon ami, vous poussez un peu trop loin votre indiscrétion; mais, quoique vous ne méritiez pas que j'entre dans aucun détail avec vous, je veux bien toutefois vous dire que nous sommes trois sœurs, qui faisons si secrètement nos affaires, que personne n'en sait rien. Nous avons un trop grand sujet de craindre d'en faire part à des indiscrets; et un bon auteur que nous avons lu dit: Garde ton secret et ne le révèle à personne: qui le révèle n'en est plus le maître. Si ton sein ne peut contenir ton secret, comment le sein de celui à qui tu l'auras confié pourra-t-il le contenir?
Mesdames, reprit le porteur, à votre air seulement j'ai jugé d'abord que vous étiez des personnes d'un mérite très-rare, et je m'aperçois que je ne me suis pas trompé. Quoique la fortune ne m'ait pas donné assez de biens pour m'élever à une profession au-dessus de la mienne, je n'ai pas laissé de cultiver mon esprit, autant que je l'ai pu, par la lecture des livres de science et d'histoire, et vous me permettrez, s'il vous plaît, de vous dire que j'ai lu aussi dans un autre auteur une maxime que j'ai toujours heureusement pratiquée: Nous ne cachons notre secret, dit-il, qu'à des gens reconnus de tout le monde pour des indiscrets, qui abuseraient de notre confiance; mais nous ne faisons nulle difficulté de le découvrir aux sages, parce que nous sommes persuadés qu'ils sauront le garder. Le secret chez moi est dans une aussi grande sûreté que s'il était dans un cabinet dont la clef fût perdue et la porte bien scellée.
Zobéide connut que le porteur ne manquait pas d'esprit; mais jugeant qu'il avait envie d'être du régal qu'elles voulaient se donner, elle lui repartit en souriant: Vous savez que nous nous préparons à nous régaler; mais vous savez en même temps que nous avons fait une dépense considérable, et il ne serait pas juste que, sans y contribuer, vous fussiez de la partie. La belle Safie appuya le sentiment de sa sœur. Mon ami, dit-elle au porteur, n'avez-vous jamais ouï dire ce que l'on dit assez communément: Si vous apportez quelque chose, vous serez quelque chose avec nous; si vous n'apportez rien, retirez-vous avec rien?
Le porteur, malgré sa rhétorique, aurait peut-être été obligé de se retirer avec confusion, si Amine, prenant fortement son parti, n'eût dit à Zobéide et à Safie: Mes chères sœurs, je vous conjure de permettre qu'il demeure avec nous: il n'est pas besoin de vous dire qu'il nous divertira, vous voyez bien qu'il en est capable. Je vous assure que, sans sa bonne volonté, sa légèreté et son courage à me suivre, je n'aurais pu venir à bout de faire tant d'emplettes en si peu de temps.
A ces paroles d'Amine, le porteur, transporté de joie, se laissa tomber sur les genoux, baisa la terre aux pieds de cette charmante personne, et en se relevant: Mon aimable dame, lui dit-il, vous avez commencé aujourd'hui mon bonheur; vous y mettez le comble par une action si généreuse; je ne puis assez vous témoigner ma reconnaissance. Au reste, mesdames, ajouta-t-il en s'adressant aux trois sœurs ensemble, puisque vous me faites un si grand honneur, ne croyez pas que j'en abuse et que je me