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Au soleil de juillet (1829-1830). Paul AdamЧитать онлайн книгу.

Au soleil de juillet (1829-1830) - Paul Adam


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Praxi-Blassans; mais je ne saurais permettre à Jésus même de me voler ma gloire!

      Le rire strident du sexagénaire retentit à deux reprises dans le silence et l'ombre. Les cousins se turent. Cavrois inspectait, depuis longtemps, l'effet d'un réactif dans une éprouvette qu'il élevait devant le clair-obscur de l'œil-de-bœuf. La mémoire d'Omer lui répétait les mots étranges et sublimes de cette conversation. Était-ce au séminaire qu'Édouard avait appris cette science religieuse si différente de la foi catholique ordinairement prêchée?

      —Cependant, il importe de ramener les peuples à la foi, à ses vertus et à ses forces, par l'éblouissement des miracles, suppliait encore la voix mélodieuse du prêtre...

      Balthazar Claës ne répondit rien. Avec son attitude courbée de vieux vigneron, il tripotait, au fond d'une caisse, des cristaux de potasse, tout en s'informant du comte et de la comtesse Aurélie, tout en usant de la meilleure urbanité.

      Enfin, un domestique âgé apporta deux flambeaux; et ce fut le signal du départ...

      Dehors, Édouard enragea. Dieudonné compatit:

      —Je t'avais prévenu, cousin; je t'avais prévenu... Console-toi, je t'indiquerai un autre Chalcas pour te fabriquer des miracles... et comprendre ton pathos!

      Profitant de cette émotion, Omer questionna sur les leçons du séminaire. Édouard convint assez vite qu'après ses dix-huit premiers mois d'études, un évêque en visite d'inspection l'avait pris à part et l'avait éclairé de façon inattendue sur les sens des mystères, non sans exiger un serment de taciturnité. Aussi l'abbé n'en pouvait-il avouer davantage. On n'avait consenti cette faveur de divulgation qu'à cinq diacres élus entre les plus nobles d'esprit, sur trois cents. Quelques-uns parmi les intelligents et les érudits, étaient de même, à chaque Pentecôte, initiés, soit par un évêque, soit par un prédicateur, à la signification scientifique et métaphysique des trois mystères. Mais on leur interdisait de répandre ces notions dans la foule inapte à les comprendre. Devant Balthazar Claës, le prêtre n'avait parlé qu'en vertu d'une autorisation pontificale obtenue grâce au P. Ronsin.

      —Omer, ajouta-t-il, je ne regrette pas le moins du monde que tu aies surpris le principal de cette conversation. Tu réfléchiras mieux à ce que tu perds en quittant l'Église pour le siècle. Oui, derrière le tabernacle et l'ostensoir, il y a des vérités vraiment divines... Tu foules aux pieds, sans les voir, les trésors les plus précieux.

      Il ne cessa d'affirmer cela dans les rues noires et désertes par lesquelles il entraînait ses cousins vers les lueurs faibles des lampadaires clignotant au milieu des cordes transversales. Il expliqua comment s'accomplissait l'initiation, lorsqu'on avait obtenu des diacres choisis leur promesse d'honneur et leur serment religieux de ne pas trahir, s'ils se refusaient ensuite à solliciter l'ordination. Quelques-uns, pour avoir jugé difficile d'instruire les foules en leur cachant l'essentiel, avaient renoncé à l'état ecclésiastique. Jamais on n'ouït dire qu'ils manquèrent à leur parole qu'ils imputèrent à l'Église elle-même le dogme occulte. D'ailleurs, la Croix est forte. Elle est puissante. Elle possède aussi des justiciers.

      A ces mots, Omer se revit dans une étroite rue caillouteuse, devant le cruel neveu de l'évêque, le matin du duel suscité par le P. Ronsin. Et il eut peur de cet Édouard marchant vite, les mains croisées dans les manches de sa soutane, le tricorne sur les yeux. Comment l'ami d'enfance, le compagnon des premières débauches, l'ancien amoureux passionné de Denise Héricourt, était-il en si peu de temps, devenu ce terrible soldat de l'Église. Trois ans de séminaire avaient à ce point transformé l'âme du sentimental adolescent qui récitait les vers de M. de Lamartine avec emphase, dans la cour du collège.

      L'abbé tira de sa poche une clef; il ouvrit la porte bâtarde d'un grand mur blafard, que coiffait le lierre d'un parc intérieur. Une odeur de cuisine succulente remplissait l'étroite antichambre où brûlait une veilleuse. Édouard fit à ses cousins les honneurs d'une pièce vaste et nue qu'occupaient un prie-dieu et un lit de sangle, une croix de sapin cru, appliquée contre le lambris. Seule, la fontaine d'argent massif, dans une gaine de bois sculptée par un artiste flamand d'autrefois, dénonçait le luxe et la richesse de la demeure. Jaillie d'une coquille, l'eau frappait une vasque brillante et très large, que soutenaient les douze apôtres de la Pentecôte, saillis entièrement hors l'épaisseur du tronc de chêne, en douze portraits de bourgeois. Le goût d'une âme fervente avait su découvrir ce meuble de la Renaissance afin de parer la chambre du confesseur, en excusant, par la nécessité des ablutions, la magnificence du cadeau. Tous les trois se lavèrent le visage et les mains, se brossèrent. L'abbé se parfuma très soigneusement. Ensuite ils parcoururent un large corridor dallé de marbre noir et blanc. Trois lanternes l'éclairaient à travers une ferronnerie curieuse, imitant des lézards qui grimpaient sur des tiges d'orties le long des vitres convexes. Une série de gravures allemandes, représentaient, à la façon d'Albert Durer, les épisodes de la vie du Christ. Au bout du couloir, des portières de tapisseries furent écartées par un vieillard. Alors, dans un salon illuminé, une femme en deuil fit la révérence.

      Elle avait le teint haut en couleur, les cheveux noirs, vernis, une taille épaisse et majestueuse enveloppée d'écharpes flottantes, les mains exsangues très fines d'une vieille race oisive depuis plusieurs siècles, une parole timide et tendre que ravalait sans cesse une sorte de sanglot minime. Des bahuts sculptés au temps de la régence élevaient une série de statues en bois peint, habillées d'étoffes véritables, assemblées par groupes qui, sous globes de verre, jouaient les scènes de la Passion. En manteau de pourpre, Jésus reparaissait au centre de chaque groupe. Les casques et les cuirasses des soldats romains luisaient sous les candélabres d'argent chargés de bougies. Édouard s'installa dans une bergère à coussins de brocart cramoisi, et il se caressa les mains, pendant que la dame expliquait, afin d'entretenir une conversation, la provenance espagnole du Chemin de Croix. La chose appartenait à sa famille depuis le dix-septième siècle. C'était un cadeau du stathouder Guillaume II de Nassau, prince d'Orange, au batteur de cuivre qui avait enrôlé ses ouvriers et ses clients dans une compagnie d'arquebusiers, pour l'aider à vaincre définitivement les Espagnols, avant le traité de Westphalie. La dame flamande montrait avec orgueil, dans une enveloppe de damas vert, un parchemin de l'époque reconnaissant le courage et la fidélité de Jacques Horpsvrahen, ancêtre de feu son mari. Sur un tableau de Wouvermann, elle désigna le portrait de ce glorieux marchand. Rouge et malin, il donnait du pistolet dans la figure d'un cavalier au morion de fer et se courbant pour allonger la pointe de son estramaçon vers cette panse en velours noir, barrée d'une abondante écharpe bleue, encastrée dans une selle monumentale, sous le faix de quoi pliait un énorme cheval gris; cependant, du pont que se disputaient les combattants un palefroi tombait les sabots crispés; une masse d'arquebusiers, la mèche en main, s'avançait, l'un plantant sa fourche pour appuyer le mousquet, l'autre épaulant une arme plus légère, celui-ci assurant son feutre, l'épée au poing, celui-là pointant sa lourde pertuisane contre une cavale cabrée, serrée par les bottes d'un homme en justaucorps écarlate, et, hardi, usant du cimeterre; dans le fond, la nature grasse, verte, paisible des Flandres ondulait jusqu'à la métairie où fuyait une vache éperdue, où des oies gagnaient l'abri d'un char à foin.

      Dieudonné Cavrois accepta de se souvenir qu'une Horpsvrahen avait épousé un Héricourt au début du dix-huitième siècle. Omer feignit également de croire à ce que la dame leur confia de sa généalogie qui remontait jusqu'à Mahaud de Vrahen, dame de Horps, laquelle fut une magicienne notoire, à l'époque des batailles entre Bourguignons et Armagnacs. Composée au milieu du quinzième siècle, une vieille chronique assura l'orgueilleuse flamande, relatait la vie et les malheurs des châtelains de Horps. Elle put citer leur devise armoriale: «Estre.»

      On ouvrit les portes de la salle à manger, quand furent entrés le notaire Pierquin et deux parentes en deuil, également grasses, l'une possédant la chevelure blonde, attribuée par Rubens à la Madeleine dans la «Descente de Croix», l'autre les joues roses et le teint frais de ses lourdes nymphes offertes au gré des satyres.

      Le souper commença. Les servantes offrirent des œufs mollets pris dans une gelée de venaison et mis en de courts gobelets d'argent, sur lesquels étaient


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