Au soleil de juillet (1829-1830). Paul AdamЧитать онлайн книгу.
mots allant au cœur, des consolations, des excuses et des pardons. Ils n'avaient de recours que dans les paroles inutiles et vagues, relatives aux insignifiances de la vie. Elle évoqua seulement, à l'exemple de la tante Caroline, le temps jadis, les espiègleries des jeunes Praxi-Blassans, celles de Dieudonné, celles de son fils. Faiblement elle riait, les dents mauvaises. Bientôt une idée triste effaçait la joie timide.
—Au reste, remarquait-elle, tu as toujours été trop adroit.
—Trop adroit?
—Oh!
Elle leva vers les solives du plafond sa main au chapelet et, hochant la tête, elle s'approuva de juger ainsi le fiancé de la riche Elvire.
—Et moi qui pensais... Quelle sotte je fais, grand Dieu... Oui, oui, tu as su mettre dans tes intérêts l'Église, Rome et la Sainte Congrégation... Faut-il, Seigneur, que ce soient vos prêtres mêmes qui me persuadent de lui laisser suivre une voie profane...?
—Profane!... La vie que je souhaite couler auprès d'Elvire, de «votre ange!» Se peut-il que vous m'accusiez ainsi... que vous l'accusiez!
—Je prévois que, par cette porte ouverte sur le monde, tu t'en iras loin du ciel...
—Allons, Virginie... Trêve de reproches, aujourd'hui, du moins. Je veux qu'il voie mon salon et qu'il me donne son avis, ce fashionnable du boulevard de Gand...
—Ah! tu l'emportes. Il est ce que tu veux: l'avocat des Moulins... la parole de notre argent, de son argent, de ton argent! Il n'est point l'avocat du Christ. Tu l'emportes, Caroline! Tu l'emportes! Il est plus ton fils que mon fils... Tu l'avais bien dit en 1812, quand tu es venue au château de Lorraine pour acheter la moisson sur pied, et la revendre en grains aux armées de Leipzig, puis aux alliés. Tu l'avais bien dit qu'il te fallait un avocat dans la famille... Et moi je ne suis rien qu'un pauvre chien sans pouvoir! Mon Dieu...
—Comment, mère, comment? Ne suis-je pas l'avocat des humbles selon que le recommanda le Christ? Et qui donc a défendu les malheureux, ce major Ulbach?
Là-dessus, il déclama. Les traditions du carbonarisme italien, qui faisaient paraître le récipiendaire sous la figure du Christ, l'inspirèrent. Il assuma de continuer la tâche messianique. L'avocat des pauvres n'est-il pas l'avocat de Dieu? Il s'étendit sur ce thème, en achevant sa bière. Maman Virginie haussait les épaules, et poussait de gros soupirs.
—Non, non... tu n'es pas noble et généreux comme ton père, comme moi. Je le sens bien, et tu ne m'en feras pas accroire, ni toi, ni l'abbé de Praxi-Blassans...
—Ma mère!
—Oh! tu es si adroit, reprit amèrement Mme Héricourt. Édouard lui-même, qui te connaît bien, lui, qui est à la fois un savant et un saint: il n'a pas refusé la tonsure, lui! Eh bien, Édouard aussi t'excuse... Comment t'y prends-tu pour les tourner tous en ta faveur!
—Mais, ma mère, je suis, je vous assure, un piètre Machiavel. Demandez au Père Ronsin. Bien qu'il ait quitté la Congrégation, il vous renseignera sur elle et sur moi.
—Ah! celui-là te juge, comme je te juge. Il me plaint, lui! Non qu'il se prive d'indulgence à ton égard; mais enfin il voit clair...
—Et que voit-il?
—Il voit que tu deviens le disciple de mon frère Edme, du major Gresloup, et de tous ces demi-soldes, suppôts des Jacobins!... Il ne veut pas que dans la Sainte Congrégation, tu apportes le mauvais esprit des anges révoltés. Et il a prié son successeur de t'exclure.
Omer se permit de sourire, fier d'être redouté par le P. Ronsin.
—Oh! tu ris, mon pauvre enfant! Tu ris! Et pourtant, quelle douleur m'accable aujourd'hui, quand je ne devrais être animée que de joie. Ce n'est donc pas mon fils, c'est Édouard de Praxi-Blassans qui plantera la croix de la Mission sur la place, sur la Terre de Cité. Pour rendre grâces à ce bon serviteur de Dieu, le préfet reçoit à l'Hôtel de Ville, l'évêque, en personne dit la messe, ton oncle de Praxi-Blassans et Augustin sont venus de Paris, toutes les jeunes filles s'habillent de blanc, la ville en fête se prépare. Et tu aurais pu être celui-là, celui qui fait rendre à Jésus tant d'honneurs!
—Eh bien, dit Caroline, quand on n'a pas ce que l'on aime, il faut aimer ce que l'on a... Embrasse ton fils, et viens au salon...
Mme Héricourt reçut d'abord mollement le baiser d'Omer.
—Estimez-vous, murmura-t-il, que le Dieu de Miséricorde exige de vous tant de peines, tant de douleurs, tant de sacrifices, et tant d'horribles angoisses?... Vraiment, le Dieu de douceur et de pardon peut-il tant exiger d'une sainte comme vous, ma mère!
—Hélas! hélas! ton âme pieuse est morte, si tu ne comprends pas la mesure de nos devoirs envers le Sauveur!
—Or ça, mon âme pieuse est donc morte aussi! plaisanta la tante Caroline, car je ne me donne pas ce tintouin!... Je suis de l'avis d'Omer... Notre Seigneur n'en demande pas tant!
Debout, Mme Héricourt avait enfoui sa tête dans l'épaule de son fils, et il conçut la sincérité de ces affreux sanglots. La foi consumait cette vie malheureuse. Nulle logique, nulle affection qui pût remédier. Contre son habit, Omer sentait battre le sang de la veine jugulaire dans le cou flétri. De la douleur gonflait en cette pauvre veuve, l'étouffait, l'étranglait, et puis s'expirait par saccades. Chaude et lourde, elle pesait là, sans espoir. Pouvait-il encore renoncer à la vie et prendre la soutane? Devait-il sacrifier sa jeune existence à cette malade. Il se consulta pendant les secondes qui s'écoulèrent. A l'égard de la société, de la science et du devoir humain, mieux valait que cette malheureuse femme périt, et qu'il vécut libre, autant que cela se pouvait. Une race doit sacrifier ses parties faibles à ses parties fortes si elle prétend s'accroître.
Maman Virginie s'appuyait mieux encore à l'épaule d'Omer. Sa persuasion, sa prière, jusqu'alors vainement traduites par le langage et l'écriture, elle tenta de les insinuer physiquement par l'application de son corps douloureux contre le cœur ému de son fils. Tous les organes, l'estomac gonflé, l'œsophage encombré, les intestins grouillants, Omer les sentit se crisper et souffrir contre lui. Il eut dit que sa mère essayait, pour le faire plus sien, de le résorber en elle dans le flanc qui l'avait porté. Du moins semblait-il qu'elle lui voulût rappeler comme ils étaient la même chair, et comme le fils dépendait du cerveau maternel, de par les lois de nature. Autant qu'un membre obéit à la volonté, ne devait-il pas obéir, l'enfant conçu, le lendemain d'Austerlitz, dans le château de Moravie, où campait le colonel Héricourt, vainqueur des tyrans.
La fermeté du jeune homme chancela. La loi de Rome indiquerait le devoir. La table d'airain, sur laquelle étaient gravés les préceptes, brilla dans sa mémoire qui se rappelait les frontispices des livres juridiques. La divinité de la Loi se dressait dans son esprit logique; elle et ses mérites, qui résument les conclusions de la sagesse humaine, depuis les époques obscures de la première famille, de la première horde et de la première tribu. Sa vénération envers l'œuvre des Latins le conseillerait parfaitement. Il réfléchit.
L'obéissance était due au chef de famille, au père, non à la mère. Et l'idéal du père mort, c'était celui de l'oncle Edme, du major Gresloup et du général Pithouët. Ce n'était point celui de l'abbé de Praxi-Blassans, ni du Père Ronsin, ni de Mme Héricourt. La loi de Rome s'opposait à la loi de la nature. Les vainqueurs des vierges commandent à la race, et non les femme qui sont soumises afin d'être fécondées.
Dût-elle en mourir, la mère ne devait pas être obéie.
Ce n'était pas le fils qui la condamnait à la détresse, ou même à la mort. C'était la Loi.
Maman Virginie eut-elle la conscience de cette décision? Elle tressaillit longuement, étouffa son fils contre sa poitrine. Un dernier sanglot nerveux la secoua toute. Il fut pénétré par les affres de cette torture morale.
Lui-même frémit, et ses lèvres effleurèrent les cheveux gris lissés au bord de la coiffe.
Sa