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Thaïs. Anatole FranceЧитать онлайн книгу.

Thaïs - Anatole France


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il attendit en songeant:

      —C'est en vain que le métal glorifie ces faux sages, leurs mensonges sont confondus; leurs âmes sont plongées dans l'enfer et le fameux Platon lui-même, qui remplit la terre du bruit de son éloquence, ne dispute désor mais qu'avec les diables.

      Un esclave vint ouvrir la porte et, trouvant un homme pieds nus sur la mosaïque du seuil, il lui dit durement:

      —Va mendier ailleurs, moine ridicule, et n'attends pas que je te chasse à coups de bâton.

      —Mon frère, répondit l'abbé d'Antinoé, je ne te demande rien, sinon que tu me conduises à Nicias, ton maître.

      L'esclave répondit avec plus de colère:

      —Mon maître ne reçoit pas des chiens comme toi.

      —Mon fils, reprit Paphnuce, fais, s'il te plaît, ce que je te demande, et dis à ton maître que je désire le voir.

      —Hors d'ici, vil mendiant! s'écria le portier furieux.

      Et il leva son bâton sur le saint homme, qui, mettant ses bras en croix contre sa poitrine, reçut sans s'émouvoir le coup en plein visage, puis répéta doucement:

      —Fais ce que j'ai demandé, mon fils, je te prie.

      Alors le portier, tout tremblant, murmura.

      —Quel est cet homme qui ne craint point la souffrance?

      Et il courut avertir son maître.

      Nicias sortait du bain. De belles esclaves promenaient les strigiles sur son corps. C'était un homme gracieux et souriant. Une expression de douce ironie était répandue sur son visage. À la vue du moine, il se leva et s'avança les bras ouverts:

      —C'est toi, s'écria-t-il, Paphnuce mon condisciple, mon ami, mon frère! Oh! je te reconnais, bien qu'à vrai dire tu te sois rendu plus semblable à une bête qu'à un homme. Embrasse-moi. Te souvient-il du temps où nous étudiions ensemble la grammaire, la rhétorique et la philosophie? On te trouvait déjà l'humeur sombre et sauvage, mais je t'aimais pour ta parfaite sincérité. Nous disions que tu voyais l'univers avec les yeux farouches d'un cheval, et qu'il n'était pas surprenant que tu fusses ombrageux. Tu manquais un peu d'atticisme, mais ta libéralité n'avait pas de bornes. Tu ne tenais ni à ton argent ni à ta vie. Et il y avait en toi un génie bizarre, un esprit étrange qui m'intéressait infiniment. Sois le bienvenu, mon cher Paphnuce, après dix ans d'absence. Tu as quitté le désert; tu renonces aux superstitions chrétiennes, et tu renais à l'ancienne vie. Je marquerai ce jour d'un caillou blanc.

      —Crobyle et Myrtale, ajouta-t-il en se tournant vers les femmes, parfumez les pieds, les mains et la barbe de mon cher hôte.

      Déjà elles apportaient en souriant l'aiguière, les fioles et le miroir de métal. Mais Paphnuce, d'un geste impérieux, les arrêta et tint les yeux baissés pour ne les plus voir; car elles étaient nues. Cependant Nicias lui présentait des coussins, lui offrait des mets et des breuvages divers, que Paphnuce refusait avec mépris.

      —Nicias, dit-il, je n'ai pas renié ce que tu appelles faussement la superstition chrétienne, et qui est la vérité des vérités. Au commencement était le Verbe et le Verbe était en Dieu et le Verbe était Dieu. Tout a été fait par lui, et rien de ce quia été fait n'a été fait sans lui. En lui était la vie, et la vie était la lumière des hommes.

      —Cher Paphnuce, répondit Nicias, qui venait de revêtir une tunique parfumée, penses-tu m'étonner en récitant des paroles assemblées sans art et qui ne sont qu'un vain murmure? As-tu oublié que je suis moi-même quelque peu philosophe? Et penses-tu me contenter avec quelques lambeaux arrachés par des hommes ignorants à la pourpre d'Amélius, quand Amélius, Porphyre et Platon, dans toute leur gloire, ne me contentent pas? Les systèmes construits par les sages ne sont que des contes imaginés pour amuser l'éternelle enfance des hommes. Il faut s'en divertir comme des contes de l'Ane, du Cuvier, de la Matrone d'Éphèse ou de toute autre fable milésienne.

      Et, prenant son hôte par le bras, il l'entraîna dans une salle où des milliers de papyrus étaient roulés dans des corbeilles.

      —Voici ma bibliothèque, dit-il; elle contient une faible partie des

       systèmes que les philosophes ont construits pour expliquer le monde.

       Le Sérapéum lui-même, dans sa richesse, ne les renferme pas tous.

       Hélas! ce ne sont que des rêves de malades.

      Il força son hôte à prendre place dans une chaise d'ivoire et s'assit lui-même. Paphnuce promena sur les livres de la bibliothèque un regard sombre et dit:

      —Il faut les brûler tous.

      —O doux hôte, ce serait dommage! répondit Nicias. Car les rêves des malades sont parfois amusants. D'ailleurs, s'il fallait détruire tous les rêves et toutes les visions des hommes, la terre perdrait ses formes et ses couleurs et nous nous endormirions tous dans une morne stupidité.

      Paphnuce poursuivait sa pensée:

      —Il est certain que les doctrines des païens ne sont que de vains mensonges. Mais Dieu, qui est la vérité, s'est révélé aux hommes par des miracles. Et il s'est fait chair et il a habité parmi nous.

      Nicias répondit:

      —Tu parles excellemment, chère tête de Paphnuce, quand tu dis qu'il s'est fait chair. Un Dieu qui pense, qui agit, qui parle, qui se promène dans la nature comme l'antique Ulysse sur la mer glauque, est tout à fait un homme. Comment penses-tu croire à ce nouveau Jupiter, quand les marmots d'Athènes, au temps de Périclès, ne croyaient déjà plus à l'ancien? Mais laissons cela. Tu n'es pas venu, je pense, pour disputer sur les trois hypostases. Que puis-je faire pour toi, cher condisciple?

      —Une chose tout à fait bonne, répondit l'abbé d'Antinoé. Me prêter une tunique parfumée semblable à celle que tu viens de revêtir. Ajoute à cette tunique, par grâce, des sandales dorées et une fiole d'huile, pour oindre ma barbe et mes cheveux. Il convient aussi que tu me donnes une bourse de mille drachmes. Voilà, ô Nicias, ce que j'étais venu te demander, pour l'amour de Dieu et en souvenir de notre ancienne amitié.

      Nicias fit apporter par Crobyle et Myrtale sa plus riche tunique; elle était brodée, dans le style asiatique, de fleurs et d'animaux. Les deux femmes la tenaient ouverte et elles en faisaient jouer habilement les vives couleurs, en attendant que Paphnuce retirât le cilice dont il était couvert jusqu'aux pieds. Mais le moine ayant déclaré qu'on lui arracherait plutôt la chair que ce vêtement, elles passèrent la tunique par-dessus. Comme ces deux femmes étaient belles, elles ne craignaient pas les hommes, bien qu'elles fussent esclaves. Elles se mirent à rire de la mine étrange qu'avait le moine ainsi paré. Crobyle l'appelait son cher satrape, en lui présentant le miroir, et Myrtale lui tirait la barbe. Mais Paphnuce priait le Seigneur et ne les voyait pas. Ayant chaussé les sandales dorées et attaché la bourse à sa ceinture il dit à Nicias, qui le regardait d'un oeil égayé:

      —O Nicias! il ne faut pas que les choses que tu vois soient un scandale pour tes yeux. Sache bien que je ferai un pieux emploi de cette tunique, de cette bourse et de ces sandales.

      —Très cher, répondit Nicias, je ne soupçonne point le mal, car je crois les hommes également incapables de mal faire et de bien faire. Le bien et le mal n'existent que dans l'opinion. Le sage n'a, pour raisons d'agir, que la coutume et l'usage. Je me conforme aux préjugés qui règnent à Alexandrie. C'est pourquoi je passe pour un honnête homme. Va, ami, et réjouis-toi.

      Mais Paphnuce songea qu'il convenait d'avertir son hôte de son dessein.

      —Tu connais, lui dit-il, cette Thaïs qui joue dans les jeux du théâtre?

      —Elle est belle, répondit Nicias, et il fut un temps où elle m'était chère. J'ai vendu pour elle un moulin et deux champs de blé et j'ai composé à sa louange trois livres d'élégies fidèlement imitées de ces chants si doux dans lesquels Cornélius Gallus célébra Lycoris. Hélas! Gallus chantait, en un siècle d'or, sous


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