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L'Holocauste: Roman Contemporain. Ernest La JeunesseЧитать онлайн книгу.

L'Holocauste: Roman Contemporain - Ernest La Jeunesse


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qui cernent cet argent ont des têtes où il se reflète, en son horreur soudaine, têtes plombées, têtes bossuées comme les pièces qui ont beaucoup roulé; têtes de cauchemars comme les écus qui ont longtemps dormi; têtes vieillies tout à coup de toute la vieillesse de ces pièces, de ces écus qui les quittent, qu'ils chassent; têtes creusées, sinistres, punies de tous les crimes, de toutes les douleurs des rois dont les effigies s'impriment, se figent et s'effacent parmi le disque gris ou blond.

      Les femmes déposent leur beauté et leur élégance au vestiaire, avec leur ombrelle—et se couvrent d'un uniforme tacite de gêne et de cupidité; c'est une poussière d'or et d'argent qui les embue et ce sont des rides qui viennent.

      Les hommes se ressemblent tous, vieillis, jaunes et verts.

      Je perdis bien évidemment à ce jeu de perte et de perdition et je ne m'obstinai pas en cette prison de cendre et de plomb.

      Je me précipitai dans le soleil, dans les fleurs, dans les arbres et dans la mer.

      C'était le temps où le printemps tremble sur les côtes, où les arbres se trouent des murmures hésitants, des murmures impétueux de la vie, c'était le temps où le crépuscule s'alanguit et repousse le soir dans la mer, où le jour veut avoir le temps de mourir et de s'étendre paresseusement sur les flots.

      Le soleil s'évanouissait dans de l'azur, c'était le moment de l'azur, où l'azur veut tout conquérir, veut tout avoir, veut être tout, où il couvre, où il masque tout, jusqu'à la médiocrité, jusqu'au néant, où il s'épand, en coulées larges et sûres, presque par blocs, sur les arbres, sur les fleurs et c'est un azur profond et massif, un azur plein, vivace, torrentiel et calme.

      Je ne m'assis pas au bord de la mer: c'est une mer devant laquelle on ne doit pas s'asseoir, c'est une mer qui veut qu'on la respecte.

      L'azur léger qui, en un balancement léger, s'en venait mourir au ras de la terre, à la pointe du roc, s'épaississait tout de suite d'un azur plus lourd, d'un azur de puissance, presque indigo; du mauve se gonflait des violets les plus sombres, les plus veloutés, lumineux d'une lumière intime et lointaine.

      Pas un bruit, pas un souffle pour troubler l'atmosphère de prédestination, le silence de gestation, le crépuscule d'apothéose.

      Et j'entendis un souffle, moins qu'un souffle, un rythme secret.

      Je regardai.

      Sur les larges et plats degrés qui descendent insensiblement à la mer, une forme glissait, sans couper le ciel, sans violer l'azur, une forme qui se mariait à l'azur du ciel, à l'azur de l'heure, une forme rythmique, en son rythme secret, mélodieuse comme le silence et lente comme le crépuscule. Et, devant cette mer où l'on ne voit jamais personne, devant cette mer jalouse de sa beauté, égoïste en sa splendeur, devant cette mer qui ne chante que pour soi, qui n'est coquette que pour soi, devant cette mer qui semble grosse d'un dieu inconnu, devant cette mer d'indifférence et de pudeur, devant cette mer de mystère, je crus voir s'avancer je ne sais quelle ondine, je ne sais quelle nymphe de pudeur et de mystère, je crus à une apparition, je crus que je troublais une cérémonie, que je troublais un rite.

      L'ondine qui descendait était la grâce et la jeunesse et, en ce soleil couchant, en cet azur tyrannique, en ce midi autocratique, elle apportait comme un reflet, comme un rayon de lune—et de lune allemande, comme un reflet des lacs d'Écosse, comme un reflet des ciels de l'Écosse aux ciels gris-perle.

      Il y a des nuances dans le silence: j'étais si ému que je voulus me taire davantage, d'un silence plus anxieux et plus respectueux.

      Et des paroles glissèrent à moi, de l'ondine glissante. Oh! des paroles qui n'outragèrent pas le paysage, qui n'humilièrent rien en la nature, des paroles de paix en la paix universelle, des paroles profondes en la profondeur du mystère.

      —C'est vous? demanda la nymphe. Quel beau soir!

      Je la connaissais! J'eus devant la mer; le scrupule de ne pas trop me la rappeler, de ne pas l'interroger sur sa santé et sur des choses autour d'elle.

      Elle me paraissait nouvelle, fille de cette ville et de cette mer: je ne l'avais pas remarquée jusque-là; je l'avais rencontrée et saluée sans la remarquer.

      Et j'avais envie de pleurer à ses pieds.

      Jamais je ne fus plus faible, jamais je ne me sentis plus près des choses, plus près de m'évanouir dans les choses.

      La nature qui ne me frappe jamais parce que je la sens en moi, que je n'admire jamais, parce que je l'admire trop, que je ne puis exprimer de mots parce que je la sens de tout moi, de mon cœur, de mes yeux, de mon âme, de la volupté et de la souffrance de tout mon corps et de mon âme élargie, aiguë, immense, les arbres, les fleurs, les rochers, le ciel et la mer même, tout se cabrait, se convulsait en moi, tout se déchirait, tout se lamentait, tout s'exaltait en moi, d'un spasme.

      —Oui, dis-je, c'est un beau soir.

      De quel ton avais-je parlé? J'avais parlé la langue de l'amour, car elle me considéra étrangement.

      —Je ne vous ai jamais entendu parler ainsi. Vous avez mal?

      Je ne la regardai pas. Elle était là qui errait sur la mer, qui emplissait l'immensité et je la fixais tout près, là-bas, et ailleurs dans le vague et dans le vide.

      —Oui, répondis-je, j'ai mal. Mais ce n'est rien!

      Non, petite fille, ce n'est rien, c'est tout,—et c'est plus et c'est pis et c'est mieux. Ma vie,—mais qu'est-ce que ma vie?—vient de s'échouer au bord de cette mer, au bord de ce rocher. Mais non! ce n'est pas un naufrage:

      C'est un appareillage sur cette mer sans barques, sur cette mer fraternelle, orgueilleuse comme nos deux âmes.

      Et nos deux âmes et nos deux songes s'en vont sur cette mer, en une étreinte. Tu ne le sais pas: je ne te le dirai pas. Les fiançailles doivent être secrètes et rien n'est discret comme la mer, rien n'est discret comme la beauté.

      Tu me dis, petite fille:

      «La mer est magnifique de sévérité. Ne voyez-vous pas qu'elle se glace en pensant aux joueurs de là-haut. Pauvres gens!»

      La mer ne se glace pas, petite: elle se fait plus lente pour mieux permettre à notre songe, à notre âme de s'enlacer sur elle.

      Mais je ne voulus pas rompre le charme.

      Je dis:

      «La mer a autre chose à faire ou à ne pas faire. Elle ne sait pas ce que sont les joueurs. Le seul jeu qu'elle admette, c'est celui de la fatalité et de l'éternité. Elle ne pense pas, étant indolente et ne se prête pas à des pensées: elle est indulgente seulement aux rêves parce que les rêves voguent au-dessus d'elle, en ne la caressant qu'à peine, elle est indulgente aux désirs qui meurent sur elle et à l'amour qui a des ailes.»

      Je parlais bas, en cette chapelle d'immensité.

      La nymphe dit tout bas, elle aussi:

      —Ah! l'amour!...

      Ce mot-là vibra, frémit, résonna longtemps sur la mer. Il ne se dispersa, ne s'éteignit que peu à peu—et la mer en fut plus bleue et le silence s'en fit plus fervent.

      L'ondine continua:

      —Comme la mer est compacte et quel fluide elle épand! C'est une mer qui jette des sorts. Elle les jette sans fatigue: elle les laisse se lever d'elle et se poser comme des papillons, des papillons bleus, d'un bleu profond, tout près d'elle, tout de suite.

      —Croyez-vous, râlai-je, croyez-vous qu'elle a jeté un sort sur nous?

      Elle ne comprenait pas.

      —Sur vous ou sur moi?

      —Sur vous, sur moi, sur nous deux ensemble—ensemble.

      Elle ne se révolta pas, demeura muette et interrogea la mer.


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