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Les voyageurs du XIXe siècle. Jules VerneЧитать онлайн книгу.

Les voyageurs du XIXe siècle - Jules Verne


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72.)

      Nommé, à sa rentrée à Saint-Pétersbourg, académicien extraordinaire, il fut, peu après, chargé, sur la proposition du comte Potocki, d'une mission historique, archéologique et géographique dans le Caucase. Klaproth passa une année entière en courses, souvent périlleuses, au milieu de populations pillardes, dans des contrées difficiles, et il visita les pays qu'avait parcourus Guldenstædt à la fin du siècle précédent.

      «Tiflis, dit Klaproth,—et sa description est curieuse lorsqu'on la rapproche de celles des auteurs contemporains,—Tiflis, ainsi nommée à cause de ses eaux thermales, se divise en trois parties: Tiflis proprement dite ou l'ancienne ville, Kala ou la forteresse, et le faubourg d'Isni. Baignée par le Kour, cette ville n'offrait, dans la moitié de son enceinte, que des décombres. Ses rues étaient si étroites, qu'un «arba», un de ces carrosses haut perchés qui figurent si souvent dans les vues de l'Orient, n'y pouvait aisément passer, et c'étaient les plus larges; quant aux autres, un cavalier n'y trouvait qu'un passage à peine suffisant. Les maisons, mal bâties en cailloux et en briques liées par de la boue, ne duraient qu'une quinzaine d'années. Tiflis avait deux marchés, mais tout y était extrêmement cher, et les châles ainsi que les étoffes de soie, qui sont le produit de manufactures asiatiques voisines, y atteignaient des prix plus élevés qu'à Saint-Pétersbourg.

      Parler de Tiflis sans dire quelques mots de ses eaux chaudes est impossible. Nous citerons donc ce passage de Klaproth:

      «Les fameux bains chauds étaient autrefois magnifiques, mais ils tombent en ruines; cependant, on en voit plusieurs dont les parois et les planchers sont revêtus de marbre. L'eau contient peu de soufre. L'usage en est très salutaire; les indigènes et surtout les femmes en font usage jusqu'à l'excès; ces dernières y restent des journées entières et y apportent leurs repas.»

      La base de l'alimentation, dans les districts montagneux du moins, est le «phouri», sorte de pain très dur et d'un goût désagréable, dont la préparation singulière répugne à nos idées sybarites.

      «Quand la pâte est suffisamment pétrie, dit la relation, on fait, avec du bois bien sec, un feu clair et vif dans des vases de terre hauts de quatre pieds, larges de deux et enfoncés dans le sol. Dès que le feu est bien ardent, les Géorgiennes y secouent leurs chemises et leurs culottes de soie rouge pour faire tomber dans les flammes la vermine qui infeste ces vêtements. Ce n'est qu'après cette cérémonie que l'on jette dans les pots la pâte partagée en morceaux de la grosseur de deux poings; on bouche aussitôt l'ouverture avec un couvercle et on le recouvre avec des chiffons, afin qu'il ne se perde rien de la chaleur et que le pain se cuise bien. Ce phouri est néanmoins toujours mal cuit et de très difficile digestion.»

      Après avoir décrit ce qui forme la base de tout festin chez le pauvre montagnard, assistons maintenant avec Klaproth à un repas de prince.

      Si ce tableau des mœurs est piquant, la manière dont Klaproth raconte les différents incidents de son voyage n'est pas non plus sans intérêt. Écoutez plutôt ce récit de l'excursion du voyageur aux sources du Térek, sources dont Guldenstædt avait assez exactement indiqué l'emplacement, mais qu'il n'avait pas vues:

      «Je partis du village d'Outsfars-Kan, le 17 mars, par une matinée belle mais froide. Quinze Ossètes m'accompagnaient. Après une demi-heure de marche, nous avons commencé à gravir, par une route escarpée et difficile, jusqu'au point où l'Outsfar-Don se jette dans le Térek. Nous avons eu ensuite pendant une lieue un chemin encore plus mauvais le long de la rive droite de cette rivière, qui a ici à peine dix pas de large; elle était cependant gonflée par la fonte des neiges. Ce côté de ses bords est inhabité. Nous avons continué à monter, et nous avons atteint le pied du Khoki, nommé aussi Istir-Khoki. Nous sommes enfin arrivés à un lieu où de grosses pierres amoncelées dans la rivière en facilitaient le passage pour entrer dans le village de Tsiwratté-Kan, où nous avons déjeuné; c'est là que se réunissent les petits courants d'eau qui forment le Térek. Satisfait d'être parvenu au but de mon voyage, je versai un verre de vin de Hongrie dans le fleuve et je fis une seconde libation au génie de la montagne dont le Térek tire sa source. Les Ossètes, qui crurent que je m'acquittais d'un devoir religieux, me contemplèrent avec recueillement. Je fis tracer en couleur rouge, sur un énorme rocher schisteux dont les pans étaient lisses, la date de mon voyage, ainsi que mon nom et celui de mes compagnons, ensuite je montai encore un peu, jusqu'au village de Ressi.»

      A la suite de ce récit de voyage, dont nous pourrions multiplier les extraits, Klaproth résume les informations qu'il a recueillies sur les populations du Caucase et insiste tout particulièrement sur les ressemblances marquées que présentent les différents dialectes géorgiens avec les langues finnoises et wogoules. C'était là un rapprochement nouveau et fécond.

      Parlant des Lesghiens, qui occupent le Caucase oriental et dont le territoire porte le nom de Daghestan ou Lezghistan, Klaproth dit qu'on ne doit se servir du mot Lesghien «que comme on employait autrefois celui de Scythe ou de Tartare pour désigner les Asiatiques du nord;» puis, il ajoute un peu plus tard qu'ils sont loin de former une même nation, comme l'indique le nombre des dialectes parlés, «qui, cependant, paraissent dériver d'une source commune, quoique le temps les ait considérablement altérés.» Il y a là une contradiction singulière: ou les Lesghiens, parlant la même langue, forment une même nation, ou bien, ne formant pas une même nation, ils ne doivent pas parler des dialectes dont l'origine est la même.

      Suivant Klaproth, les mots lesghiens montrent beaucoup de rapports avec d'autres langues du Caucase et avec celles de l'Asie septentrionale, principalement avec les dialectes samoyèdes et finnois de la Sibérie.

      A l'ouest et au nord-ouest des Lesghiens, on trouve les Metzdjeghis ou Tchetchentses, qui sont vraisemblablement les plus anciens habitants du Caucase. Tel n'était pas, cependant, l'avis de Pallas, qui voyait en eux une tribu séparée des Alains. La langue des Tchetchentses offre beaucoup de ressemblance et d'analogie avec le samoyède, le wogoule et d'autres langues sibériennes, et même avec les dialectes slaves.

      Les Tcherkesses ou Circassiens sont les Sykhes des Grecs. Ils habitaient jadis le Caucase oriental et la presqu'île de Crimée, mais ils ont souvent changé de demeure. Leur langue diffère beaucoup des autres idiomes caucasiens, bien que les Tcherkesses «appartiennent, ainsi que les Wogouls et les Ostiakes—on vient de voir que le lesghien et la langue des Tchetchentses ressemblent à ces idiomes sibériens,—à une même souche, qui, à une époque très reculée, s'est divisée en plusieurs branches, dont une était formée vraisemblablement par les Huns.» La langue des Tcherkesses est l'une des plus difficiles à prononcer; certaines consonnes doivent être articulées d'un coup de gosier si fort, qu'aucun Européen n'en peut rendre les sons.

      On trouve encore, dans le Caucase, les Abazes, qui n'ont jamais abandonné les bords de la mer Noire, où ils sont établis de toute antiquité, et les Ossètes ou As, qui appartiennent à la souche des nations indo-germaniques. Ils appellent leur pays Ironistan et se donnent le nom d'Iron. Klaproth voit en eux des Mèdes Sarmates, non seulement à cause de ce nom, qu'il rapproche d'Iran, mais par la nature même de la langue, «qui prouve encore mieux que les documents historiques,


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