Vie de Jeanne d'Arc. Vol. 1 de 2. Anatole FranceЧитать онлайн книгу.
soupçonnait en tout cela quelque sortilège. Pour elle, elle n'avait jamais rencontré les dames sous l'arbre. Mais qu'elle eût vu des fées ailleurs, c'est ce qu'elle n'aurait pas su dire187. Les fées ne sont pas comme les anges; elles ne se font pas toujours connaître pour ce qu'elles sont188.
Chaque année, le quatrième dimanche de Carême, que l'Église nomme le dimanche de Lætare, parce qu'on chante à la messe de ce jour l'introït qui commence par ces mots: Lætare Jerusalem, les paysans du Barrois célébraient une fête rustique et faisaient ce qu'ils appelaient leurs Fontaines, c'est-à-dire qu'ils allaient en troupe boire à quelque source et danser sur l'herbe. Ceux de Greux faisaient leurs Fontaines à la chapelle de Notre-Dame de Bermont; ceux de Domremy les faisaient à la Fontaine-des-Groseilliers et à l'Arbre-des-Fées189. On se rappelait le temps où le seigneur et la dame de Bourlémont y conduisaient eux-mêmes la jeunesse du village. Mais Jeanne était encore dans les langes, quand Pierre de Bourlémont, seigneur de Domremy et de Greux, mourut sans enfants, laissant ses terres à sa nièce Jeanne de Joinville qui, mariée à un chambellan du duc de Lorraine, vivait à Nancy190.
Le jour des Fontaines, les filles et les garçons de Domremy se rendaient ensemble au vieux hêtre. Après y avoir suspendu des guirlandes de fleurs, ils soupaient, sur une nappe étendue à terre, de noix, d'œufs durs et de petits pains d'une forme étrange, que les ménagères avaient pétris tout exprès. Puis ils allaient boire à la Fontaine-des-Groseilliers, dansaient des rondes et s'en retournaient chacun chez soi à la tombée de la nuit.
Jeanne faisait ses Fontaines comme toutes les jouvencelles de la contrée. Bien qu'elle fût de la partie de Domremy rattachée à Greux, elle les faisait non pas à Notre-Dame de Bermont, mais à la Fontaine-des-Groseilliers et à l'Arbre-des-Fées191.
En son premier âge, elle dansait avec ses compagnes au pied de l'arbre. Elle y tressait des guirlandes pour l'image de Notre-Dame de Domremy, dont la chapelle s'élevait sur un coteau voisin. Les jeunes filles avaient coutume de suspendre des guirlandes aux branches de l'Arbre-des-Fées. Jeanne en suspendait, comme les autres, et, comme les autres, tantôt elle les emportait, tantôt elle les laissait. On ne savait ce qu'elles devenaient, et il paraît que la disparition de ces fleurs était de nature à inquiéter les personnes scientifiques et d'entendement. Ce qui est certain c'est que les malades, s'ils buvaient à la fontaine et se promenaient ensuite sous l'arbre, guérissaient de la fièvre192.
Pour fêter le printemps on faisait un homme de mai, un mannequin de feuilles et de fleurs193.
Près de l'Arbre-des-Dames, sous un coudrier, une mandragore promettait les richesses à qui, n'ayant peur ni de l'entendre crier, ni de voir le sang dégoutter de son petit corps humain et de ses pieds fourchus, oserait, durant la nuit, selon les rites, l'arracher de terre194.
L'arbre, la fontaine, la mandragore, rendaient les habitants de Domremy suspects de commercer avec les mauvais esprits. Un savant docteur a dit en propres termes que le pays était connu pour le grand nombre de ses habitants qui usaient de maléfices195.
Jeanne, encore en sa prime jeunesse, fit plusieurs fois le voyage de Sermaize en Champagne, où elle avait des parents. Le curé de la paroisse, messire Henri de Vouthon, était son oncle maternel. Elle y avait un cousin, Perrinet de Vouthon, qui y exerçait l'état de couvreur avec son fils Henri196.
Domremy est séparé de Sermaize par quinze grandes lieues de forêts et de landes. Jeanne, à ce qu'on peut croire, faisait le voyage en croupe avec son frère sur la petite jument, la bâtière du gagnage197. À chaque fois que l'enfant s'y rendait, elle passait plusieurs jours dans la maison de Perrinet, son cousin198.
Le village de Domremy se divisait, selon le droit féodal, en deux parties distinctes. Celle du midi, avec le château sur la Meuse et une trentaine de feux, appartenait aux seigneurs de Bourlémont et dépendait de la châtellenie de Gondrecourt, mouvant de la couronne de France. C'était Lorraine et Barrois. La partie du nord, sur laquelle s'élevait le moustier, relevait de la prévoté de Montéclaire et Andelot au bailliage de Chaumont en Champagne199. On l'appelait quelquefois Domremy de Greux, parce qu'elle ne faisait qu'un, pour ainsi dire, avec le village de Greux tout proche sur la route, vers Vaucouleurs200. Un ruisseau jailli à peu de distance, au couchant, d'une triple source et qu'on nommait, dit-on, pour cela le ruisseau des Trois-Fontaines, séparait les serfs de Bourlémont des hommes du roi. Il passait humblement sous une pierre plate devant l'église, puis se jetait par une pente rapide dans la Meuse, vis-à-vis de la maison de Jacques d'Arc, qu'il avait laissée à gauche, en terre de Champagne et de France201. Voilà ce qui paraîtrait le plus solidement établi; mais craignons de savoir ces choses mieux qu'on ne les savait à l'époque. En 1429, on ignorait dans le conseil du roi Charles, si Jacques d'Arc était de condition libre ou serve202. Et sans doute, Jacques d'Arc lui-même n'en savait rien. Lorrains ou Champenois, des deux côtés du ruisseau c'était pareillement des paysans menant une même vie de labeur et de peine. Pour ne point dépendre du même maître, les uns et les autres n'en formaient pas moins une communauté étroitement unie, une seule famille rustique. Intérêts, besoins et sentiments, ils partageaient tout. Menacés des mêmes dangers, ils avaient tous les mêmes inquiétudes.
Situé à la pointe sud de la châtellenie de Vaucouleurs, le village de Domremy se trouvait pris entre le Barrois et la Champagne au levant, la Lorraine au couchant203. Terribles voisins que ces ducs de Lorraine et de Bar, ce comte de Vaudemont, ce damoiseau de Commercy, ces seigneurs évêques de Metz, de Toul et de Verdun, toujours en guerre entre eux. Querelles de princes. Le villageois les observait comme la grenouille de la vieille fable regarde les taureaux combattre dans la prairie. Pâle, tremblant, le pauvre Jacques se voyait déjà piétiné par les féroces combattants. En un temps où la chrétienté tout entière était au pillage, les hommes d'armes des Marches de Lorraine avaient renommée des plus grands pillards du monde. Malheureusement pour les laboureurs de la châtellenie de Vaucouleurs, tout contre ce domaine, au nord, vivait de rapines Robert de Saarbruck, damoiseau de Commercy, particulièrement prompt à dérober selon la coutume lorraine. Il était de l'avis de ce roi d'Angleterre qui disait que guerre sans incendie ne valait rien, non plus qu'andouilles sans moutarde204. Un jour, assiégeant une petite place où les paysans s'étaient enfermés, le damoiseau fit brûler pendant toute une nuit les moissons d'alentour, pour y voir plus clair à prendre ses positions205.
En 1419, ce seigneur faisait la guerre aux frères Didier et Durand de Saint-Dié. Il n'importe pour quelle raison. De cette guerre, ainsi que des autres, les villageois faisaient les frais. Et comme les gens d'armes se battaient sur toute la châtellenie de Vaucouleurs, les habitants de Domremy avisèrent à leur sûreté. Voici de quelle manière. Il y avait à Domremy un château qui s'élevait dans la prairie à la pointe d'une île formée par deux bras de la rivière, dont l'un, le bras oriental, est depuis longtemps comblé206. De ce château dépendaient une chapelle de Notre-Dame, une cour munie d'ouvrages de défense et un grand jardin entouré de fossés larges et profonds. C'est ce qu'on nommait communément la forteresse de l'Île, ancienne habitation des sires de Bourlémont. Le dernier de ces seigneurs étant mort sans enfants, Jeanne de Joinville, sa nièce, hérita de ses biens. Mais ayant épousé, peu de temps après la naissance de Jeanne, un seigneur lorrain nommé
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Sur les traditions relatives aux fées à Domremy et sur ce qu'en pensait Jeanne:
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Sur le dimanche et la fête des Fontaines à Domremy:
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Cela est probable, non certain. —
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Capitaine Champion,
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Boucher de Molandon,
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E. Misset,
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P. Jollois,
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Colonel de Boureulle,
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Juvénal des Ursins, dans la
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A. Tuetey,
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