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Vie de Jeanne d'Arc. Vol. 1 de 2. Anatole FranceЧитать онлайн книгу.

Vie de Jeanne d'Arc. Vol. 1 de 2 - Anatole France


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fois l'oncle Lassois à ramener au logis Jeannette bien souffletée322.

      Après huit jours d'absence, elle revint au village. Le mépris du capitaine et les outrages de la garnison ne l'avaient ni humiliée, ni découragée; elle les tenait au contraire comme des preuves de la vérité de sa mission, s'imaginant que ses Voix les lui avaient annoncées323. Comme ceux qui marchent en dormant, elle était douce à l'obstacle et d'une obstination paisible. À la maison, au courtil, aux prés, elle continuait ce sommeil merveilleux, plein des images du dauphin, de sa chevalerie, et des batailles sur lesquelles flottaient des anges.

      Elle ne pouvait se taire; son secret lui échappait de toutes parts. Sans cesse elle prophétisait, mais on ne la croyait pas. La veille de la Saint-Jean-Baptiste, environ un mois après son retour, elle dit sentencieusement à Michel Lebuin, laboureur à Burey, qui était un tout jeune garçon:

      – Il y a entre Coussey et Vaucouleurs une fille qui, avant un an d'ici, fera sacrer le roi de France324.

      Un jour même, avisant Gérardin d'Épinal, qui seul à Domremy n'était pas du parti du dauphin, et à qui, de son aveu, elle eût volontiers coupé la tête, encore qu'elle fût la marraine de son fils, elle ne put se tenir de lui faire à mots couverts l'annonce du mystère qu'il y avait entre elle et Dieu:

      – Compère, si vous n'étiez Bourguignon, je vous dirais quelque chose325.

      Le bonhomme crut qu'il s'agissait de fiançailles prochaines, et que la fille de Jacques d'Arc épouserait bientôt quelqu'un des garçons avec qui elle avait mangé des petits pains sous l'arbre des Fées et bu l'eau de la fontaine des Groseilliers.

      Hélas! Jacques d'Arc eût bien voulu que le secret de sa fille fût de cette sorte. Cet homme de sens droit, très ferme et soucieux de la bonne conduite de ses enfants, s'inquiétait des allures que prenait Jeanne. Il ne savait pas qu'elle entendait des Voix; il ne se doutait pas que c'était, dans son jardin, toute la journée une descente du Paradis, que du Ciel à sa maison allaient et venaient sans cesse plus d'anges que n'en avait porté l'échelle de Jacob et qu'enfin, pour Jeannette seule, sans qu'on n'en vît rien, un mystère se jouait, plus riche et plus beau mille fois que ceux qu'on représentait sur un échafaud, aux jours de fête, dans des villes comme Toul ou Nancy. Il était à cent lieues de soupçonner ces incroyables merveilles. Mais il voyait bien que sa fille était hors de sens, qu'elle avait l'esprit égaré, qu'elle disait des folies. Il s'apercevait bien qu'elle n'avait en tête que chevauchées et batailles; il ne pouvait ignorer tout à fait l'équipée de Vaucouleurs. Il craignait vivement qu'un jour cette malheureuse enfant ne partît pour tout de bon et n'allât courir le monde. Cette pénible inquiétude le poursuivait jusque dans son sommeil. Il rêva, une nuit, qu'il la voyait s'enfuyant avec des hommes d'armes; et l'impression de ce rêve fut si forte qu'elle lui resta encore à son réveil. Durant plusieurs jours il dit et répéta à ses fils Jean et Pierre:

      – Si je croyais vraiment qu'advînt cette chose que j'ai songée de ma fille, je voudrais qu'elle fût noyée par vous; et si vous ne le faisiez, je la noierais moi-même326.

      Isabelle répéta le propos à sa fille, pour l'effrayer et la corriger. Tout dévote qu'elle était, elle partageait les craintes du père. C'était une chose cruelle à penser pour ces braves gens, que leur enfant pût devenir une ribaude. En ces temps de guerre, il y avait foison de ces folles femmes que les gens d'armes menaient en croupe; chacun avait la sienne.

      Par l'étrangeté de leurs actions, fréquemment les saintes, en leur jeunesse, prêtent à de pareils soupçons. Et Jeanne donnait des signes de sainteté. Elle était la fable du village. On la montrait au doigt en disant par moquerie: «Voilà celle qui relèvera la France et le sang royal327

      Voyant le mal qui tenait cette fille, les gens du pays n'étaient pas embarrassés pour en trouver la cause. Ils l'attribuaient à quelque sortilège. Elle avait été vue sous le beau Mai, elle y avait suspendu des guirlandes. On savait que le vieux hêtre était hanté, de même que la fontaine voisine. Et c'était une chose bien connue que les fées jetaient des sorts. Certains découvrirent que Jeanne avait rencontré une dame méchante. Ils disaient: «Jeannette a pris son fait près de l'arbre des Fées328.» Encore s'il n'y avait jamais eu que des paysans pour le croire!

      Antoine de Vergy, gouverneur de Champagne, reçut, le 22 juin, du duc de Bedford, régent de France au nom de Henri VI, commission d'équiper mille hommes d'armes destinés à placer en l'obéissance des Anglais la châtellenie de Vaucouleurs. Trois semaines après, la petite armée se mettait en route sous les ordres des deux Vergy, Antoine et Jean. Quatre chevaliers bannerets, quatorze chevaliers bacheliers, trois cent soixante-trois hommes d'armes la composaient. Pierre de Trie, capitaine de Beauvais, Jean, comte de Neufchâtel et Fribourg, reçurent l'ordre de rejoindre le corps principal329.

      Dans sa marche sur Vaucouleurs, Antoine de Vergy mettait, selon la coutume, à feu et à sang tous les villages situés sur le territoire de la châtellenie. Les gens de Domremy et de Greux, menacés à nouveau d'un mal qu'ils ne connaissent que trop, voyaient déjà leurs bestiaux enlevés, leurs granges incendiées, leurs femmes, leurs filles violées. Ayant éprouvé déjà que le château de l'Île ne suffisait point à leur sûreté, ils se résolurent à fuir et à chercher asile dans la ville de Neufchâteau, distante de deux lieues seulement de Domremy et qui était le marché où ils fréquentaient. Donc, vers la mi-juillet, abandonnant leurs maisons et leurs champs, ils partirent et, poussant devant eux leurs bestiaux, suivirent la route à travers les champs de froment et de seigle et les coteaux de vignes jusqu'à la ville, où ils se logèrent comme ils purent330.

      La famille d'Arc fut reçue par la femme de Jean Waldaires, qu'on nommait la Rousse et qui tenait une auberge où logeaient soldats, moines, marchands et pèlerins. Certains la soupçonnaient de donner asile à des femmes de mauvaise vie331. Et il y a apparence qu'elle n'hébergeait pas que d'honnêtes dames. Cependant elle était elle-même une bonne femme, c'est-à-dire une femme riche. Elle avait assez d'argent pour en prêter parfois à des concitoyens332. Bien que Neufchâteau appartînt au duc de Lorraine, qui était du parti des Bourguignons, on a cru savoir que cette hôtelière inclinait vers les Armagnacs; mais il est peut-être un peu vain de rechercher les sentiments de la Rousse sur les troubles du royaume de France333.

      À Neufchâteau comme à Domremy, Jeanne menait aux champs les bêtes de son père et gardait les troupeaux334. Adroite et robuste, elle aidait aussi la Rousse dans les soins du ménage335; c'est ce qui a fait dire méchamment aux Bourguignons qu'elle avait été meschine dans une auberge de soudards et de ribaudes336. Au vrai, Jeanne passait aux églises tout le temps qu'elle n'employait pas à soigner les animaux et à donner aide à son hôtesse337.

      Il y avait dans la ville deux beaux couvents, l'un de Cordeliers, l'autre de Clarisses, fils et filles du bon saint François338. La maison des Cordeliers avait été bâtie, deux cents ans en çà, par Mathieu II de Lorraine. Le duc régnant venait encore de la richement doter. De nobles dames, de hauts seigneurs et entre autres un Bourlémont, seigneur de Domremy et Greux, y gisaient sous lame339.

      Ces moines mendiants qui, jadis en leur bel âge, affiliaient à leur tiers-ordre bourgeois et paysans en foule et une multitude de princes et de rois340, maintenant languissaient corrompus et déchus. Les querelles


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<p>322</p>

Procès, t. II, p. 444. – L. Mougenot, Jeanne d'Arc, le Duc de Lorraine et le Sire de Baudricourt, Nancy, 1895, in-8o.

<p>323</p>

Procès, t. II, p. 53.

<p>324</p>

Ibid., t. II, p. 440.

<p>325</p>

Ibid., t. II, p. 423.

<p>326</p>

Procès, t. I, pp. 131-132 et 219.

<p>327</p>

Ibid., t. II, p. 421.

<p>328</p>

Procès, t. I, p. 68.

<p>329</p>

Compte d'André d'Épernon dans S. Luce, Jeanne d'Arc à Domremy, p. CLXVII et preuves, pp. 217-218 et 220.

<p>330</p>

Procès, t. I, pp. 51, 214; t. II, pp. 392-454. – S. Luce, Jeanne d'Arc à Domremy, p. CLXXVI.

<p>331</p>

Procès, t. I, p. 214.

<p>332</p>

S. Luce, Jeanne d'Arc à Domremy, p. CLXXVII.

<p>333</p>

Procès, t. I, pp. 51, 214; t. II, p. 402.

<p>334</p>

Procès, t. I, pp. 409, 423, 428, 463.

<p>335</p>

Ibid., t. I, p. 417.

<p>336</p>

Monstrelet, t. III, p. 314.

<p>337</p>

Procès, t. I, p. 51.

<p>338</p>

S. Luce, Jeanne d'Arc à Domremy, p. CLXXVII.

<p>339</p>

Expilly, Dictionnaire géographique de la France, au mot: Neufchâteau.

<p>340</p>

S. – M. de Vernon, Histoire générale et particulière du tiers-ordre de Saint-François, Paris, 1667, 3 vol. in-8o. – Hilarion de Nolay, Histoire du tiers-ordre, Lyon, 1694, in-4o.

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