Ruy Blas: Drame. Victor HugoЧитать онлайн книгу.
Qui désole Madrid malgré notre police,
Il est de vos amis!
DON CÉSAR.
Raisonnons, s’il vous plaît.
Sans lui j’irais tout nu, ce qui serait fort laid.
Me voyant sans habit, dans la rue, en décembre,
La chose le toucha.—Ce fat parfumé d’ambre,
Le comte d’Albe, à qui l’autre mois fut volé
Son beau pourpoint de soie...
DON SALLUSTE.
Eh bien?
DON CÉSAR.
C’est moi qui l’ai.
Matalobos me l’a donné.
DON SALLUSTE.
L’habit du comte!
Vous n’êtes pas honteux?...
DON CÉSAR.
Je n’aurai jamais honte
De mettre un bon pourpoint, brodé, passementé,
Qui me tient chaud l’hiver et me fait beau l’été.
—Voyez, il est tout neuf.—
Il entr’ouvre son manteau qui laisse voir un superbe pourpoint de satin rose brodé d’or.
Les poches en sont pleines
De billets doux au comte adressés par centaines.
Souvent, pauvre, amoureux, n’ayant rien sous la dent,
J’avise une cuisine au soupirail ardent
D’où la vapeur des mets aux narines me monte;
Je m’assieds là, j’y lis les billets doux du comte,
Et, trompant l’estomac et le cœur tour à tour,
J’ai l’odeur du festin et l’ombre de l’amour!
DON SALLUSTE.
Don César...
DON CÉSAR.
Mon cousin, tenez, trêve aux reproches.
Je suis un grand seigneur, c’est vrai, l’un de vos proches;
Je m’appelle César, comte de Garofa;
Mais le sort de folie en naissant me coiffa.
J’étais riche, j’avais des palais, des domaines,
Je pouvais largement renier les Célimènes.
Bah! mes vingt ans n’étaient pas encore révolus
Que j’avais mangé tout! il ne me restait plus
De mes prospérités, ou réelles, ou fausses,
Qu’un tas de créanciers hurlant après mes chausses.
Ma foi, j’ai pris la fuite et j’ai changé de nom.
A présent, je ne suis qu’un joyeux compagnon,
Zafari, que, hors vous, nul ne peut reconnaître.
Vous ne me donnez pas du tout d’argent, mon maître;
Je m’en passe. Le soir, le front sur un pavé,
Devant l’ancien palais des comtes de Tevé,
—C’est là, depuis neuf ans, que la nuit je m’arrête.—
Je vais dormir avec le ciel bleu sur ma tête.
Je suis heureux ainsi. Pardieu, c’est un beau sort!
Tout le monde me croit dans l’Inde, au diable,—mort.
La fontaine voisine a de l’eau, j’y vais boire,
Et puis je me promène avec un air de gloire.
Mon palais, d’où jadis mon argent s’envola,
Appartient à cette heure au nonce Espinola,
C’est bien. Quand par hasard jusque-là je m’enfonce,
Je donne des avis aux ouvriers du nonce
Occupés à sculpter sur la porte un Bacchus.—
Maintenant, pouvez-vous me prêter dix écus?
DON SALLUSTE.
Écoutez-moi...
DON CÉSAR, croisant les bras.
Voyons à présent votre style.
DON SALLUSTE.
Je vous ai fait venir, c’est pour vous être utile
César, sans enfants, riche, et de plus votre aîné.
Je vous vois à regret vers l’abîme entraîné,
Je veux vous en tirer. Bravache que vous êtes,
Vous êtes malheureux. Je veux payer vos dettes,
Vous rendre vos palais, vous remettre à la cour,
Et refaire de vous un beau seigneur d’amour.
Que Zafari s’éteigne et que César renaisse.
Je veux qu’à votre gré vous puisiez dans ma caisse,
Sans crainte, à pleines mains, sans soin de l’avenir.
Quand on a des parents il faut les soutenir,
César, et pour les siens se montrer pitoyable...
Pendant que don Salluste parle, le visage de don César prend une expression de plus en plus étonnée, joyeuse et confiante; enfin il éclate.
DON CÉSAR.
Vous avez toujours eu de l’esprit comme un diable,
Et c’est fort éloquent ce que vous dites là.
—Continuez!
DON SALLUSTE.
César, je ne mets à cela
Qu’une condition.—Dans l’instant je m’explique.
Prenez d’abord ma bourse.
DON CÉSAR, empoignant la bourse qui est pleine d’or.
Ah çà! c’est magnifique!
DON SALLUSTE.
Et je vais vous donner cinq cents ducats...
DON CÉSAR, ébloui.
Marquis!
DON SALLUSTE, continuant.
Dès aujourd’hui!
DON CÉSAR.
Pardieu, je vous suis tout acquis.
Quant aux conditions, ordonnez. Foi de brave!
Mon épée est à vous. Je deviens votre esclave,
Et, si cela vous plaît, j’irai croiser le fer
Avec don Spavento, capitan de l’enfer.
DON SALLUSTE.
Non, je n’accepte pas, don César, et pour cause,
Votre épée.
DON CÉSAR.
Alors quoi? je n’ai guère autre chose.
DON SALLUSTE, se rapprochant de lui et baissant la voix.
Vous connaissez,—et c’est en ce cas un bonheur,—
Tous les gueux de Madrid?
DON CÉSAR.
Vous me faites honneur.
DON