A fond de cale. Майн РидЧитать онлайн книгу.
marmots joyeux ne se doutent guère que le vieillard qui les amuse, et qui partage leur bonheur, a passé la plus grande partie de son existence au milieu d'aventures effrayantes et de dangers imminents.
Toutefois il y a dans le village plusieurs personnes, qui connaissent quelques chapitres de mon histoire; elles les tiennent de moi-même, car je n'ai aucune répugnance à raconter mes aventures à ceux qu'elles peuvent intéresser; et j'ai trouvé dans cet humble coin de terre un auditoire qui mérite bien qu'on lui raconte quelque chose. Nous avons près de notre bourgade une école, célèbre dans le canton; elle porte le titre pompeux d'établissement destiné à l'éducation des jeunes gentlemen, et c'est elle qui me fournit mes auditeurs les plus attentifs.
Habitués à me voir sur le rivage, où ils me rencontraient dans leurs courses joyeuses, et devinant à ma peau brune et à mes allures que j'avais été marin, ces écoliers s'imaginèrent qu'il m'était arrivé mille incidents étranges dont le récit les intéresserait vivement. Nous fîmes connaissance, je fus bientôt leur ami, et à leur sollicitation je me mis à raconter divers épisodes de ma carrière. Il m'est arrivé souvent de m'asseoir sur la grève et d'y être entouré par une foule de petits garçons, dont la bouche béante et les yeux avides témoignaient du plaisir que leur faisait mon récit.
J'avoue sans honte que j'y trouvais moi-même une satisfaction réelle: les vieux marins, comme les anciens soldats, aiment tous à raconter leurs campagnes.
Un jour, étant allé sur la plage dès le matin, j'y trouvai mes petits camarades, et je vis tout de suite qu'il y avait quelque chose dans l'air. La bande était plus nombreuse que de coutume, et le plus grand de mes amis tenait à la main un papier plié en quatre, et sur lequel se trouvait de l'écriture.
Lorsque j'arrivai près de la petite troupe, le papier me fut offert en silence; je l'ouvris, puisque c'était à moi qu'il était adressé, et je reconnus que c'était une pétition, signée de tous les individus présents; elle était conçue en ces termes:
«Cher capitaine, nous avons congé pour la journée entière, et nous ne voyons pas de moyen plus agréable de passer notre temps que d'écouter l'histoire que vous voudrez bien nous dire. C'est pourquoi nous prenons la liberté de vous demander de vouloir bien nous faire le plaisir de nous raconter l'un des événements de votre existence. Nous préférerions que ce fût quelque chose d'un intérêt palpitant; cela ne doit pas vous être difficile, car on dit qu'il vous est arrivé des aventures bien émouvantes dans votre carrière périlleuse. Choisissez néanmoins, cher capitaine, ce qui vous sera le plus agréable à raconter; nous vous promettons d'écouter attentivement; car nous savons tous combien cette promesse nous sera facile à tenir.
«Accordez-nous, cher capitaine, la faveur qui vous est demandée, et tous ceux qui ont signé cette pétition vous en conserveront une vive reconnaissance.»
Une requête aussi poliment faite ne pouvait être refusée; je n'hésitai donc pas à satisfaire au désir de mes petits camarades, et je choisis, entre tous, le chapitre de ma vie qui me parut devoir leur offrir le plus d'intérêt, puisque j'étais enfant moi-même lorsque m'arriva cette aventure. C'est l'histoire de ma première expédition maritime, et les circonstances bizarres qui l'ont accompagnée me firent donner pour titre à mon récit: Voyage au milieu des ténèbres.
J'allai m'asseoir sur la grève, en pleine vue de la mer étincelante, et disposant mes auditeurs en cercle autour de moi, je pris la parole immédiatement.
CHAPITRE II.
Sauvé par des cygnes.
Dès ma plus tendre enfance j'ai eu pour l'eau une véritable passion; j'aurais été canard, ou chien de Terre-Neuve, que je ne l'aurais pas aimée davantage. Mon père avait été marin, comme son père et son grand'père, et il est possible que j'aie hérité de ce goût qui était dans la famille. Toujours est-il que j'avais pour l'eau un amour aussi passionné que si elle eût été mon élément. On m'a dit plus d'une fois combien il fut difficile de m'éloigner des mares et des étangs dès que j'eus la force de me traîner sur leurs bords. C'est en effet dans une pièce d'eau que m'est arrivée ma première aventure; je me la rappelle fort bien, et je vais vous la conter pour vous donner une preuve de mes penchants aquatiques.
J'étais, à cette époque, un tout petit garçon, juste assez grand pour courir de côté et d'autre, et à l'âge où l'on s'amuse à lancer des bateaux de papier. Je construisais mes embarcations moi-même avec les feuillets d'un vieux livre, ou un morceau de journal, et je portais ma flotille sur la mare qui était mon océan. Je ne tardai pas néanmoins à mépriser le bateau de papier; j'étais parvenu, après six mois d'épargne, à pouvoir acquérir un sloop ayant tous ses agrès, et qu'un vieux pêcheur avait construit pendant ses moments de loisir.
Mon petit vaisseau n'avait que quinze centimètres de longueur à la quille, mais bien près de huit de large, et son tonnage pouvait être de deux cent cinquante grammes. Chétif bâtiment, direz-vous; néanmoins il me paraissait aussi grand, aussi beau qu'un trois-ponts.
La mare de la basse-cour me sembla trop étroite, et je me mis en quête d'une pièce d'eau assez vaste pour que mon navire pût faire valoir la supériorité de sa marche.
Je trouvai bien vite un grand bassin, que je me plus à nommer un lac, et dont les ondes, aussi transparentes que le cristal, étaient ridées à la surface par une brise imperceptible, mais cependant suffisante pour gonfler les voiles de mon sloop, qui gagna l'autre bord avant que j'y fusse arrivé pour le recevoir.
Que de fois nous avons lutté de vitesse, dans ces courses où j'étais vainqueur ou vaincu, suivant que la brise était plus ou moins favorable à mon embarcation!
Il faut vous dire que ce bel étang, près duquel j'ai passé les heures les plus joyeuses de mon enfance, était situé dans un parc du voisinage, et appartenait par conséquent au propriétaire du parc. Celui-ci néanmoins était assez bon pour permettre aux habitants de la commune de se promener chez lui autant que bon leur semblait, et n'empêchait ni les petits garçons de faire naviguer leurs bateaux sur le bassin, ni les hommes de jouer à la balle dans l'une de ses clairières, pourvu que l'on ne touchât pas aux plantes qui tapissaient les murailles, et qu'on respectât les arbrisseaux qui formaient les massifs. Tout le monde était si reconnaissant de la bonté du propriétaire, que je n'ai jamais entendu dire qu'on eût fait le moindre dégât chez lui.
Ce parc existe toujours, vous en connaissez les murs; mais l'excellent homme qui le possédait autrefois est mort depuis de longues années; il était déjà vieux à l'époque dont je vous parle, et qui date de soixante ans.
Si mes souvenirs sont exacts, on voyait alors sur le bassin une demi-douzaine de cygnes, et d'autres oiseaux aquatiques dont l'espèce était rare. C'était pour les enfants un grand plaisir que de donner à manger à ces jolies créatures; quant à moi je n'allais jamais au parc sans avoir les poches pleines.
Il en résulta que ces oiseaux, particulièrement les cygnes, étaient devenus si familiers qu'ils venaient chercher ce que nous leur présentions, et nous mangeaient dans la main, sans la moindre frayeur.
Nous avions surtout une manière extrêmement amusante de leur donner la pâture: le bord du petit lac s'élevait, d'un côté, à plus d'un mètre; l'eau était profonde en cet endroit, et comme la rive se trouvait pour ainsi dire à pic, il était presque impossible de la gravir. C'est là que nous attirions les cygnes, qui, du reste, y venaient d'eux-mêmes lorsqu'ils nous voyaient arriver. Nous placions un petit morceau de pain au bout d'une baguette fendue, et tenant cette baguette au-dessus des oiseaux, à la plus grande hauteur possible, nous avions la joie de voir les cygnes allonger leur grand cou, et sauter en l'air de temps en temps pour saisir la bouchée de pain, absolument comme un chien aurait pu le faire.
Un jour, étant arrivé de très-bonne heure sur la bord du petit lac, je n'y trouvai pas mes camarades. J'avais mon petit bateau sous le