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Au soleil de juillet (1829-1830). Paul AdamЧитать онлайн книгу.

Au soleil de juillet (1829-1830) - Paul Adam


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      A l'intention d'Omer, l'oncle Augustin, toujours affable, remplit de Chypre un verre de Bohême. Pendant que le jeune homme goûtait la saveur du précieux liquide, venu dans une outre en peau de bouc, le général gouvernait la conversation. Il la mena des curiosités romaines aux lettres échangées entre le voyageur et Denise, aux billets de Dolorès Alviña.

      Le comte parlait alors confidentiellement à Mme Héricourt que la tante Caroline servait et abreuvait. Les chiens s'étant partagé un coq du poulailler au milieu de la pelouse, Dieudonné se précipita, et leur infligea des châtiments justes, mais indéfinis. Le général en profita pour entreprendre son neveu.

      —Cette pauvre Dolorès est folle... Imaginez-vous que votre sœur a surpris, dans une armoire, tout un costume de cavalier. Cette enfant comptait l'endosser pour suivre à distance ma chaise de poste et vous apercevoir ici, pendant la procession... Elle a tout avoué dans un déluge de larmes... J'ai dû la mettre sous clef avant de partir... Heureux mortel! Ariadne s'arrache les cheveux sur le promontoire en guettant votre retour. Cruel, que de malheureuses vous faites!...

      —Je ne les fais point, s'il en est. Elles se font toutes seules.

      —On n'est pas plus séduisant que vous... C'est un crime de se montrer agréable à l'égard de pauvres innocentes quand on a votre tournure et votre éloquence. Elles en perdent l'esprit. Peu vous importe!... Sans doute... Mais enfin? Le cœur d'une fille sensible est chose très fragile. On meurt de ces jeux-là... On en meurt.

      —Ah! diable!...

      —Ne raillez point...

      —Mais c'est Mlle Alviña, qui me bloque dans les coins de votre salon, et Denise, qui l'encourage à m'y bloquer. On a fait le siège de ma personne, et je n'étais pas malotru jusqu'à répondre par des violences. La politesse m'enjoignait de subir le siège, en évitant les assauts aussi bien que les sorties. Je m'en suis tiré fort proprement de cette manière, à mon goût. Et mes réponses d'Italie n'excitaient point Mlle Dolorès à se déguiser en chevalière d'Éon pour me darder ici une œillade romantique. Faut-il que, l'ayant prévenue, je coudoie des brigands qui m'attaquent afin qu'elle me délivre..., et que cela nous lie comme à la dernière page de deux tomes, avec frontispice gravé en taille douce, où l'on voit un cadavre poignardé et deux amants sous un chêne que l'orage foudroie!

      —Voilà bien les jeunes gens d'aujourd'hui. Quelle sécheresse de cœur! Dès vingt ans, comme dit M. Beyle, ils visent à être députés du cens, et à se prononcer sur la conversion de la rente... Il faudra que je vous présente au jeune de Montalivet. Vous êtes bâtis l'un et l'autre pour vous convenir... A votre âge, nous courions l'Europe, le sabre au poing, en criant: «Vive la liberté!» Nous lisions les ruines de Volney à la lueur du bivouac; et nous nous battions en duel, pour garder le ruban d'une belle Allemande éplorée... Vous autres, vous préférez la fortune aux belles-lettres et aux sentiments généreux... Après tout, peut-être, avez-vous raison... Nous étions de grands fous.

      —Peuh! ça ne vous a guère empêché de devenir un grand sage mon oncle, un grand sage honoré de plaques et de cordons, héritier d'une riche Hollandaise... près d'être fait comte. Vous nous la baillez belle...

      —Chut.

      Le général accentua sa mine sévère; mais, sans corriger la grâce affable de sa voix:

      —Vous ne croyez plus à rien.

      —Parce que vous êtes notre exemple.

      L'oncle Augustin sourit; se tut un instant; puis, s'étant levé, prit Omer sous le bras. En camarade affectueux, il dissertait. De la morale à la philosophie, de la philosophie aux actions qu'elle inspire, il en vint à parler du triomphe de Bolivar, du Pérou, puis du Congrès de Panama, qui réglerait les rapports entre les libéraux américains et la Sainte-Alliance espagnole. Bolivar semblait promettre la restitution de leurs biens aux héritiers des absolutistes exilés ou morts au cours de la guerre civile. Dolorès Alviña deviendrait alors un très beau parti. Son feu père cultivait le coton sur la côte de la mer des Antilles. Leurs plantations étaient nombreuses entre Porte-Caballo et La Guayra. Si l'on réglait ainsi les affaires des vaincus, la tante Caroline aurait bientôt avantage à traiter avec Mlle Alviña. Car, en dépit de divers prêts hypothécaires consentis à la filature de Marchiennes par la Banque d'Artois, la mauvaise administration de l'emprunteur le réduisait aux pires extrémités. La Compagnie Héricourt avait résolu, pour se rembourser, de reprendre cette affaire, en appointant l'industriel malheureux, afin qu'il continuât de gérer la fabrique, mais sous la surveillance de Mme Cavrois. Le général supputa les gains probables. La Compagnie Héricourt pouvait, le lendemain de la décision officielle promulguée à Panama, conclure avec les planteurs de Dolorès un forfait pour les achats de coton en balles. Il déclara la combinaison fort bonne. A Roubaix, plusieurs tissages gagnaient une grosse importance financière. Ni la Compagnie Héricourt, ni la Banque d'Artois ne devaient permettre le développement d'une industrie régionale où elles n'auraient pas la main, et qui pourrait, dans l'avenir, fonder une concurrence pernicieuse à la suprématie commerciale des Moulins Héricourt.

      Omer s'amusait de toute cette stratégie fort adroite pour le jeter dans les fers de Dolorès Alviña. En son roide uniforme bleu, fleuri d'or au col, aux manches, le général marchait, penchait le profil de sa jolie tête fine, rasée aux joues, coiffée de courtes boucles presque blanches. Il était charmant, subtil, parfumé, flagorneur; et sûr de son influence. Il appela le comte en témoignage, puis Mme Cavrois. Ne pensaient-ils point à l'urgence d'enrichir la filature de Marchiennes? Ce fut, en effet, leur avis. L'oncle Augustin démontra que l'un d'eux devait plus spécialement s'occuper de la nouvelle affaire. La tante Caroline ne pouvait suffire à cet énorme travail. Omer Héricourt l'aiderait en cela, ainsi que le comte l'aidait pour les importations, le général pour la finance, et Dieudonné pour la fabrication du sucre de betterave. Le comte riposta:

      —Parbleu! il est grand temps que cet amateur de grisettes fasse l'apprentissage du rentier et qu'il apprenne à gérer son bien. A tout prendre, il se pourrait qu'il eût bientôt l'occasion de donner des soins à certaine fortune personnelle qui lui viendrait du pays de Galles par la voie des épousailles. Cela ferait de ce petit maître le plus gros actionnaire de notre Compagnie. Et c'est avec lui que vous auriez à débattre en dernier ressort, général, les clauses des décisions importantes. Il contrebalancerait votre influence et celle du comptoir de Java. J'ai toujours ouï dire qu'il n'était point mauvais, pour une Compagnie de commerce, d'être régie par deux opinions rivales qui se contrôlent réciproquement.

      —Deux avis valent mieux qu'un, conclut, sentencieuse, Mme Cavrois.

      Elle et Praxi-Blassans se regardaient avec malice devant le général, assez penaud.

      —Oh! la petite Elvire!... répondit-il... Rien n'est encore fait de ce côté-là; hormis un souhait! Denise ne partage pas votre confiance.

      —Ni Mlle Alviña, je gage..., riposta durement le comte, avant d'éternuer à plusieurs reprises.

      —La procession quitte la cathédrale à midi... Peut-être faut-il se mettre en route...; insinua Mme Héricourt, par esprit de conciliation.

      L'on s'apprêta pour le départ. Le comte et le général ceignirent leurs épées de parade, en plaisantant avec belle humeur. Dieudonné vint prendre Omer, qui se formulait de cette façon le résultat des deux entretiens:

      «Mon oncle de Praxi-Blassans tremble que je ne lui enlève Élodie; mon oncle Augustin tremble que, par le mariage avec Elvire, je ne lui retire l'autorité dans les conseils de la Compagnie et de la Banque. Il m'appartient de profiter de ces deux appréhensions, pour me grandir...»

      Ayant mis son chapeau, il se frotta vigoureusement les mains, sans rien répondre aux questions joviales du gros garçon.

      Ils allèrent à pied. Une demi-heure de marche était à peine nécessaire pour gagner Arras. Des cabriolets et des chars-à-bancs se succédaient à grand bruit sur le pavé du roi. Ils emportaient,


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